[dropcap]L[/dropcap]a révolution bolivarienne au Venezuela est confrontée à l’une de ses plus graves crises depuis l’élection de Chávez en 1998. Pendant 40 jours, le gouvernement a été l’objet de protestations violentes quasi continues, menées par l’opposition de droite, et combinées aux provocations de Washington et des gouvernements de droite latino-américains. Le but est clair : renverser le gouvernement par tous les moyens.

Une des principales dirigeantes de l’opposition, María Corina Machado, a ainsi très librement admis :
« Le danger va croissant que nous rations un point essentiel : le but n’est pas de tenir des élections dans le cadre du régime criminel de Maduro. Le but est de mettre un terme à ce régime… La première étape est de le faire tomber. »

 Les déformations médiatiques

Le monde des médias a, de nouveau, totalement défiguré la réalité de terrain au Venezuela. Le tableau qui a été dressé est celui d’un régime autoritaire, sans soutien, utilisant la répression pour conserver le pouvoir face à un grand nombre de manifestants pacifiques. La réalité est plus complexe.

Les manifestations de l’opposition, qui ont attiré un grand nombre de participants, ont été extrêmement violentes, menant à la mort de 40 personnes, dont de nombreuses tuées par les balles tirées du camp de l’opposition.

Alors que la popularité du gouvernement est au creux de la vague, un noyau dur constitué des travailleurs et des pauvres soutient toujours la révolution bolivarienne et a pris les rues en masse le 19 avril ainsi que le 1er mai.

A ces deux moments, des centaines de milliers de défenseurs de la révolution bolivarienne ont marché de trois points différents et convergé sur l’avenue Bolivar, qu’ils ont remplie d’un bout à l’autre.

Nous assistons au Venezuela à un conflit entre différentes institutions d’Etat – l’Assemblée nationale, dominée par l’opposition, contre la présidence bolivarienne – qui reflète différents intérêts de classe. L’opposition, principalement fondée sur les classes moyennes et hautes, renforcée par son succès aux élections parlementaires de décembre 2015, veut renverser le gouvernement actuel et prendre le pouvoir. Le gouvernement de Maduro, soutenu principalement par les travailleurs et les pauvres, souhaite le conserver.

Jusqu’à maintenant, l’opposition n’a pas su aller au-delà de sa base composée des classes moyennes et supérieures ; elle n’a pas attiré les travailleurs et les habitants des quartiers les plus pauvres. Le chavisme compte encore sur une base ferme de défenseurs qui peut être mobilisée, notamment pour faire face au fouet de la contre-révolution et des interventions étrangères qui se manifestent par des déclarations et actions très provocantes de la part de l’organisation des Etats américains et de Washington.

Contradictions économiques

Quelle est la raison de la chute du soutien au gouvernement bolivarien ?

Le Venezuela est plongé dans une profonde crise économique. La chute drastique des prix du pétrole a révélé toutes les contradictions de l’économie du pays. Depuis 2003, le secteur privé s’est rebellé contre l’introduction du contrôle des prix et des taux de change (introduit pour empêcher la spéculation et la fuite des capitaux). La classe dirigeante s’est embarquée dans une grève des investissements et a trouvé de multiples façons de détourner le contrôle du change, qui a désormais un effet opposé à celui escompté.

Lorsque le prix du pétrole était élevé, le gouvernement pouvait utiliser les revenus de sa vente pour financer des programmes sociaux massifs et importer de la nourriture, qui était ensuite revendue à des prix subventionnés. Pendant un moment, ceci a donné l’illusion qu’il était possible de maintenir des politiques sociales de grande ampleur sans régler la question de la propriété des moyens de production. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.

Les réserves de devises étrangères ont fondu, réduisant ainsi la capacité du gouvernement à subventionner les importations de denrées alimentaires et créant une situation de manque, alors que, dans le même temps, le secteur privé refuse de produire des biens qui seront revendus à des prix réglementés. Ajoutons à cela que le gouvernement a donné la priorité au remboursement de la dette étrangère, qu’il a effectué dans les délais. Pour maintenir un niveau d’investissement public, le gouvernement a en outre creusé le déficit public (jusqu’à 15% du PIB), qu’il finance en imprimant de l’argent. La combinaison de ces facteurs a mené à une dévaluation massive de la monnaie sur le marché noir, combinée à une hyper inflation et à la raréfaction des produits de base, en particulier des médicaments et denrées alimentaires.

Durant les trois dernières années, le gouvernement Maduro a suivi une ligne de défense politique contre l’opposition, tout en faisant de nombreuses concessions aux capitalistes sur le plan économique.

Ainsi, juste avant la vague de protestations, Maduro présidait l’Expo Venezuela 2017  (NDT : Salon en présence de 400 entreprises publiques et privées); il a souligné à cette occasion que son gouvernement n’a rien de communiste et qu’il est en faveur de la propriété privée. Il a ensuite accordé des prêts en bolivars et en dollars à taux bas à des compagnies nationales et étrangères.

Le gouvernement a tout fait sauf lever le contrôle des prix, les remplaçant plutôt par des livraisons ciblées de nourriture directement aux communautés (sous le nom de CLAPs [NDT : Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production]), et a ouvert une large partie du pays à des compagnies minières internationales à travers le projet Arco Minero.

Le  frein de la bureaucratie

Néanmoins, la baisse du soutien à la révolution bolivarienne dépasse des raisons purement économiques. Evidemment, les masses sont profondément affectées par la chute du pouvoir d’achat et des salaires, la pénurie de biens, etc. Mais ce qu’elles perçoivent surtout, c’est l’absence de solution avancée par le gouvernement pour faire face à ces problèmes. Alors qu’il parle d’une guerre économique menée par l’oligarchie contre la révolution, il s’assoit en parallèle à la table des capitalistes et leur fait des concessions ; alors qu’il parle de socialisme, l’initiative révolutionnaire des travailleurs et des comités révolutionnaires est tarie, étouffée ou ouvertement bloquée par les bureaucrates du gouvernement qui passent leur temps dans des bureaux somptueux avec air conditionné et conduisent des pick-up ou 4×4 de luxe.

La bureaucratie, la corruption et le blocage de la participation de la base sont ce qui a mené à la désillusion, au scepticisme et même au cynisme au sein des franges de la population qui soutenaient le mouvement révolutionnaire. Bien qu’il soit difficile de le mesurer de manière exacte, la population vénézuélienne semble aujourd’hui coupée en trois : un tiers qui soutient toujours la révolution bolivarienne ; un tiers qui soutient l’opposition de droite ; et finalement, un tiers qui s’oppose au gouvernement mais se méfie profondément des dirigeants de l’opposition.

C’est dans ce contexte que Maduro, lors de la marche du 1er mai, a annoncé la convocation d’une assemblée constituante. Cette proposition est un saut dans l’inconnu : la moitié des députés de cette assemblée seront élus dans les circonscriptions habituelles, territoriales, et l’autre moitié dans des circonscriptions découpées par secteur : travailleurs, femmes, jeunes, handicapés, indigènes, etc.

Maduro parle d’une assemblée « des travailleurs et des communes ». Il nous faut mettre en garde : en réalité, il est peu probable que cette proposition améliore le rapport de force pour la révolution bolivarienne. Nombreux sont ceux qui doutent de la capacité des dirigeants actuels de la révolution bolivarienne à s’engager pour tenir réellement compte de la base du mouvement.

Rien ne permet de dire que cette annonce signale un virage à gauche de la politique économique. Lors de son discours du 1er mai, Maduro a évoqué « un changement de paradigme économique » et « le dépassement d’un modèle fondé sur le pétrole », qui « respectera toutes les formes de propriété », mais il n’a même pas mentionné le mot socialisme.

Faites barrage au capitalisme et à l’impérialisme ! Luttez pour le socialisme !

Dans ces circonstances, l’annonce de Maduro va donner plus de poids aux arguments de l’opposition (comme si elle en avait besoin !), sans s’attaquer aux véritables problèmes qui ont miné le soutien au parti au pouvoir.

Si l’opposition réussissait à renverser le gouvernement, ce serait un désastre absolu pour les travailleurs et les pauvres. Des articles d’opinion parus dans la presse d’opposition indiquent déjà clairement quel serait son programme : privatisation des compagnies nationales, réduction du déficit fiscal en coupant massivement dans les dépenses publiques (notamment dans l’éducation et la santé), licenciement de centaines de milliers de travailleurs du secteur public, la libéralisation des prix, libre accès aux revenus du pétrole, abolition des droits des travailleurs et des syndicats (et surtout de l’interdiction de licenciement), etc. Et en plus de tout, ils feraient payer chèrement aux travailleurs et masses révolutionnaires le fait d’avoir osé défier leur pouvoir si longtemps.

Nous nous opposons entièrement à l’offensive actuelle des capitalistes et de l’impérialisme. Mais nous devons dire ouvertement que nous ne soutenons pas les politiques du gouvernement, qui ne font qu’aggraver les problèmes fondamentaux des travailleurs et des pauvres au lieu de les résoudre, et qui préparent le plus sûrement possible la défaite du mouvement bolivarien, que ce soit par les urnes ou par un renversement violent.

Les conquêtes de la révolution sont larges et nombreuses ; par exemple, la Mision Vivienda, le programme de logement du gouvernement, a permis de fournir 1,6 millions d’habitations à des familles dans le besoin. La seule façon de défendre ces acquis est de mener la révolution à son terme : il faut exproprier la classe capitaliste (qui fomente les tentatives de renversement actuelles), démanteler l’Etat capitaliste et le remplacer par une véritable démocratie des travailleurs. Seules de telles mesures seront capables de renforcer et d’augmenter la base sociale du mouvement bolivarien.

Notre tâche aujourd’hui est de nous opposer de toutes nos forces à l’assaut des réactionnaires et des impérialistes, par des moyens révolutionnaires, en menant une campagne sérieuse de clarification politique parmi l’avant-garde révolutionnaire au sujet des véritables causes de la crise actuelle et de la seule option qu’il reste pour avancer : le socialisme !