La victoire des leaders ultranationalistes et de droite aux dernières élections du 12 octobre dernier pour la présidence tripartite en Bosnie et les parlements cantonaux entre autres n’ont rien d’une surprise malgré les mauvaises prévisions des agences de sondages. Le gouvernement n’est pas encore mis en place et l’on ne peut qu’espérer qu’il ne faille pas plus de 15 mois, comme lors des élections générales de 2010 pour qu’il voie le jour.

 

La Bosnie est de jure un pays divisé en deux entités : La Fédération de Bosnie-Herzégovine (anciennement Fédération croato-musulmane) et la République serbe de Bosnie, cette dernière reconnue comme « collectivité territoriale autonome ». Ces entités sont elles-mêmes subdivisées en une dizaine de cantons au total, disposant chacun de leur propre gouvernement. Ainsi, aux dernières élections générales, ce ne sont pas moins de 518 fonction électives qui furent en jeu.

Cela traduit de la complexité du système électoral imposé par les accords de Dayton (1995), mettant fin à la guerre en Ex-Yougoslavie. Toute décision majeure doit trouver l’approbation des leaders politiques, déterminés ethniquement, sous un labyrinthe bureaucratique. Pas étonnant dès lors que le peuple de Bosnie se sente impuissant dans le processus démocratique. Le taux de participation de plus en plus faible depuis la fin de la guerre en est la preuve, passant de 83% de participation (1996) à 56,5% (2012), selon les chiffres officiels.

Crises économique et sociale, blocage politique

Or, ces élections ont eu lieu dans un contexte critique de taille : crise économique, fronde sociale et rhétorique nationaliste qui, au passage, minent tout espoir de redressement du pays et de rapprochement avec l‘Union européenne. L’UE, qui pourtant ne propose aucune réforme, se contentant de dénoncer la « non-représentativité des minorités juive et rom », notamment afin de bloquer le processus de candidature à l’Union du pays.

Au niveau économique, le pays est l’un des plus pauvres d’Europe, dépendant des capitaux étranger, des crédits du FMI et de la Banque mondiale, devenus désormais source vitale de revenus pour le pays. Ces instances imposant d’une part une dette illégitime et d’autre part, mais aussi la politique par le biais notamment du Bureau du Haut Représentant – OHR à ce « protectorat international » qui mérite bien son nom.

En effet, le Haut Représentant actuel depuis 2009, l’Autrichien Valentin Inzko est le plus haut pouvoir politique du pays. Il peut amender ou annuler des décisions de l’exécutif, comme du législatif et même exclure des politiques locaux du pouvoir, dans un pays formellement souverain (!). Cette situation de monopole du pouvoir, au départ présentée comme solution à court terme, perdure encore et toujours. Car les institutions étatiques font défaut face au pouvoir décentralisé d’une telle bureaucratie administrative, définie par l’ethno-territorialité. Celle-ci avait jusqu’à février le seul mérite de préserver un statut quo, une sorte de « stabilité » qu’un jeu politique totalement bloqué garantissait en apparence. Car les apparences sont l’essence même de la « paix de Dayton »,  il faut être « bien vu » des instances internationales pour attirer les investisseurs étrangers et espérer une intégration à l’UE.

Qui bono ?

Dans un contexte où le coût de la vie est relativement faible, la banque centrale, poursuivant sa mission d’attirer les devises étrangères, maintient un taux d’intérêt élevé (6,9%). Le tout couplé à de faibles revenus, l’épargne devient alors un luxe et les investissements internes deviennent très difficiles. La situation de monopole sur le marché intérieur de grandes holdings étrangères (tels les géants croates Agrokor/Konzum et Atlantic Grupa dans les secteurs du commerce et de la distribution) reflète cette faiblesse des entreprises locales.

Ce sont les capitalistes et investisseurs étrangers, qui privatisent les secteurs d’intérêt général, rachètent les usines pour en revendre les machines et déclarer banqueroute par la suite, qui profitent de ces conditions précaires de la population. Ce sont également les banques qui répondent à cette contradiction inhérente du néo-libéralisme exploitant l’ouvrier tout en lui ôtant son pouvoir d’achat, en proposant des crédits étouffants.

Etrangers, disions-nous ? Les banques ne font pas exception : Le secteur bancaire est privatisé à 90% et il est majoritairement détenu par des filiales de grandes banques européennes (notamment autrichiennes). La dénomination de « protectorat international » trouve ses fondements encore une fois.
Où sont dès lors passés les espoirs soulevés par les mouvements révolutionnaires héroïques de février ? Lorsque des travailleurs, faisant table rase des différences, voulant prendre leur destin en main suite à des fermetures d’usines, ont incendié des bâtiments gouvernementaux, d’abord à Tuzla, bastion industriel, puis Sarajevo, Mostar et dans le reste du pays – avec même des répercussions au Monténégro et en Macédoine, lit-on dans la presse surnommant le phénomène de « printemps des Balkans ». Où sont passés les plénums populaires ? Où est passée la démocratie directe (!) ? Tout a été noyé dans les inondations d’été. Le gouvernement technique « non-partisan » composé d’experts, qui devait prendre les rênes en attendant les élections a été compromis, car ces derniers étaient en fait des regroupements d’hommes d’affaires pour la plupart avec des affiliations politiques. Tout a été noyé dans « [l’] esprit de clocher », suite à la victoire des nationalismes et de l’oligarchie politique au pouvoir.

La crise sociale

En Bosnie, 18% de la population vit dans un seuil d’extrême pauvreté, un taux de chômage spectaculaire de plus de 44% a été enregistré, des salaires impayés et la corruption  inhérente à l’appareil gouvernemental1 qui – articulé autour de divisions ethniques – ne pouvait que devenir une forme oligarchique de pouvoir où chacun essaie de tirer un maximum de profits pour sa communauté respective. Le tout, sous le blocage institutionnel du processus décisionnel que représentent la présidence tournante et le principe de collégialité pour trois élus bosno-serbe, « musulman » et croate, en proie à une crise généralisée de représentativité.

Pourtant rien ne change à l’image des dernières élections, et l’on continue à voter pour « les siens » dans ce pays où le chauvinisme et la mémoire de la guerre sont encore vifs. Les raisons de la colère sont néanmoins toujours aussi forts et omniprésents ; 20 ans après la fin de la guerre, la situation est tout aussi précaire dans la « petite Yougoslavie » – du surnom donné à ce qui fût autrefois un berceau de la pluriethnicité.

Il est désormais du ressort du peuple dans son ensemble, au-delà des divisions ethniques, communautaristes et religieuses, de prendre conscience d’un destin commun et de lutter ensemble contre l’opression et l’exploitation ; en somme, de faire du « printemps des Balkans » une saison interminable !

Hrast
Association des étudiant-e-s marxistes de l’UNIGE