Un seul regard sur l’année 2020 le montre : la réalité est dure et ne va faire que se dégrader davantage. En tant que marxistes, il n’y a cependant aucune raison d’être pessimiste. La résistance entraînera les masses dans la lutte et nous pouvons y jouer un rôle décisif.

Alors que, cette année seulement, un demi-milliard de personnes ont glissé dans la pauvreté, les bénéfices des 32 plus grandes entreprises ont augmenté de 109 milliards de dollars. Ainsi, le 1% le plus riche de la population est assis sur près de la moitié de la richesse sociale, alors même que la moitié la plus pauvre de l’humanité doit se contenter de seulement un pour cent de cette même richesse. En Suisse, la fortune des 300 personnes les plus riches a augmenté de 5 pour cent cette année pour atteindre le montant astronomique de 707 milliards de francs. Tout cela pendant que la CSIAS prévoit que 28% des salariés tomberont dans l’aide sociale l’année prochaine. 

Cette inégalité est inhérente au capitalisme : La richesse d’un côté crée la pauvreté de l’autre – c’est le principe fondamental sur lequel la société de classe est construite. Mais la question se pose de manière concrète : pourquoi cette inégalité continue-t-elle de s’accroître ? 

L’année 2020 – un regard en arrière

En 2020, toutes les contradictions d’une décennie entière se sont déchaînées d’un coup. Un éclatement de la crise mondiale était déjà imminent en 2019, mais le rythme est époustouflant : le Covid-19 a joué simultanément le rôle d’accélérateur et d’aggravateur de la crise économique mondiale. Les prévisions excluant les deuxième et troisième vagues prévoient un effondrement de 4,4 % de l’économie mondiale. En Suisse aussi, le Seco prévoit une chute de 3 % du PIB, la pire chute depuis les années 1970.

Au printemps, tous les gouvernements ont dû puiser dans leurs trésors : des paquets de sauvetage historiques totalisant douze billions de dollars ont été évoqués. Or, il faut savoir que 30% de chômage supplémentaire et la faillite massive d’entreprises d’un seul coup auraient déclenché une crise bancaire et détruit la relative stabilité sociale et politique. Il ne s’agissait donc pas de dons philanthropiques – les capitalistes ont ainsi simultanément empêché l’effondrement du capitalisme mondial et sauvé leur propre peau, du moins à court terme : avec ces mesures, la dette publique monte en flèche jusqu’à atteindre des sommets vertigineux. Le FMI met en garde contre une catastrophe de la dette mondiale ! 

Et en Suisse ?

Il est vrai que la Suisse est toujours en bonne position en termes de dette publique – mais ici aussi, le gouvernement a dû dépenser plus de 30 milliards de francs pour amortir la mort des entreprises et prévenir la menace d’un chômage atteignant les 20%. Cela ne doit donc pas obscurcir la direction générale : la stratégie des capitalistes suisses et de leur Conseil fédéral consiste à décharger tout le poinds de la crise économique et sanitaire sur les salariés. Après le choc de la première vague, l’on a pu mesurer le degré d’inaction et d’incompétence dont peut faire preuve un gouvernement sans souffrir en retour de crise politique majeure (voir article p.5). Le ministre des finances, Ueli Maurer, a déclaré ouvertement : « Nous ne pouvons pas nous permettre un deuxième confinement » – en se plaçant clairement du seul point de vue des capitalistes. La santé de la classe ouvrière, en particulier celle des soignants épuisés, est ouvertement sacrifiée sur l’autel du profit. 

Les dettes d’aujourd’hui sont les mesures d’austérité de demain. Le Think tank bourgeois Avenir Suisse a rédigé un document stratégique intitulé : « L’État doit réapprendre à épargner » et la NZZ propose gracieusement des paquets d’épargne annuels de trois milliards pour les 15 prochaines années. Après des décennies de mesures d’austérité dans les domaines de l’éducation, de la santé et du bien-être, voici que se profile dans l’avenir le plus proche une offensive d’austérité sans précédent: sans pitié, la classe ouvrière doit payer pour le sauvetage du capitalisme. 

En tant que marxistes, nous avons le devoir de dire la vérité aux salariés et aux jeunes. Le capitalisme nous confronte à des réalités brutales et n’ouvre pour nous que de sombres perspectives. La fin de la pandémie ne change rien à cela. La crise économique mondiale va se poursuivre. Tant que nous ne nous organiserons pas et ne nous battrons pas en tant que classe, cette crise nous sera impitoyablement déversée, en Suisse comme au niveau international. L’urgence de combattre les capitalistes – et donc l’ensemble du système – s’accroît, ne serait-ce que pour assurer notre subsistance et celle de nos familles. 

Le pessimisme est superficiel et nuisible

Face à cette situation, le pessimisme semble approprié, et il est à la mode chez certains militants de gauche de déplorer la faible conscience et la passivité de la classe ouvrière suisse. Ce point de vue est superficiel et nuisible. Faire de la politique socialiste n’est pas un choix fondé sur le plaisir que l’on y trouve. Le socialisme scientifique – fondé par les géants du mouvement ouvrier Marx et Engels – nous oblige à prendre la réalité telle qu’elle est – avec toutes ses contradictions et tous ses obstacles. Ce n’est qu’en les reconnaissant pleinement pour ce qu’ils sont que nous pourrons les changer.

La réalité n’est pas statique, encore moins immuable – seuls celles et ceux capables de voir plus loin que le bout de leur nez peuvent la reconnaître comme telle. Nous sommes au beau milieu de la plus profonde crise du capitalisme depuis 300 ans (Banque d’Angleterre). Il n’y a pour les capitalistes aucune perspective de sortir rapidement ou facilement de cette crise : au contraire, la concurrence féroce, les guerres par procuration et le protectionnisme vont s’approfondir et les tensions s’exacerber. La seule chose sur laquelle tous s’entendent c’est au sujet de leur volonté commune de continuer à s’enrichir autant que possible aux dépens des salariés. Mais cette attitude porte en elle le germe d’une explosion sociale sans précédent. 

La Suisse n’est pas une île, et le conservatisme ouvrier n’est pas une vérité éternelle. Bien que la conscience soit façonnée par les périodes de calme passées, la jeunesse d’aujourd’hui grandit déjà dans une réalité complètement nouvelle : depuis douze ans, la crise économique mondiale latente, les nouvelles de conflits guerriers, le changement climatique et la diminution des perspectives de prospérité font partie de la vie quotidienne. Ces dernières années, nous avons déjà vu apparaître des mouvements contre les mesures d’austérité dans l’éducation, contre la répression policière, ainsi que des mouvements de solidarité pour les réfugié-e-s. La poursuite sur deux années consécutives du mouvement pour la Grève du climat, l’ampleur de la Grève des femmes de 2019, sont autant d’éléments qui témoignent de l’intensification de ces luttes

Avec le déclenchement de la pandémie et l’intensification de toutes les contradictions sociales, des couches plus conservatrices sont également poussées sur la voie de la résistance. Nous avons déjà assisté aux premières luttes ouvrières (XPO) et aux premières mobilisations pour de meilleures conditions de travail dans le secteur des soins (semaine pour la santé) et contre les paquets d’austérité (à Genève) prévus en Suisse. La conscience change sous les coups de marteau des attaques, mais plus encore et surtout avec l’entrée dans la lutte. Le pessimiste prend la conscience profonde des salariés comme excuse… pour ne pas avoir à se battre. C’est une partie du problème : ne pas se lancer dans la lutte, c’est se rendre en partie responsable du fait que la conscience de notre classe ne change pas plus vite.

Nous sommes des réalistes

Le plus grand obstacle n’est pas la conscience prétendument basse et figée des salariés, mais le fait que la classe ouvrière, en cette période historique de crise, n’a pas à sa tête une direction capable de lui montrer une issue et d’organiser la lutte efficacement pour atteindre celle-ci. La direction du PS, de même que les directions syndicales, ne parviennent pas à confronter la réalité de plus en plus brutale à la nécessité d’un programme socialiste. Ainsi, elles maintiennent la classe ouvrière dans l’impuissance et la passivité. 

Mais nous devons également être honnêtes sur ce point : l’absence de direction rend certain le fait que pour notre classe non plus, il n’existe de  solution facile pour sortir de la crise. Alors que des couches de plus en plus larges continueront d’être poussées sur la voie de la confrontation directe avec le capital, et ce même sans direction, ces luttes seront isolées et contradictoires. La colère et la combativité ne suffiront pas à régler le problème; les salariés devront apprendre à la dure les leçons oubliées du mouvement ouvrier révolutionnaire : 1. mettre de côté les illusions qu’ils entretiennent encore vis-à-vis des capitalistes, et qui les poussent à accepter leurs compromis et à croire à leurs promesses (c’est-à-dire le réformisme). 2. Ne faire confiance qu’à leur propres forces et reconnaître en elles le potentiel et l’unique moyen pour atteindre leur propre libération face à l’exploitation et à l’oppression, c’est-à-dire le potentiel de la démocratie ouvrière socialiste et donc du renversement du capitalisme.  

Pas de raccourcis!

En tant que marxistes, nous sommes douloureusement conscients de la contradiction entre les tâches désormais nécessaires et l’absence simultanée d’une direction révolutionnaire. Mais nous ne pouvons pas simplement remplacer la direction actuelle, ni créer une direction révolutionnaire à partir de rien. Comme l’a dit Marx, nous, les communistes, n’avons pas d’intérêts distincts de ceux de la classe ouvrière, nous ne sommes que la « fraction la plus résolue qui stimule toutes les autres » parties de la classe elle-même. Nous avons « théoriquement, l’avantage sur le reste du prolétariat d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien » (Manifeste). Mais cela ne nous donne aucune formule magique qu’il nous suffirait d’appliquer pour conduire les masses laborieuses à tirer d’elles-mêmes ces enseignements.

Nous ne pouvons pas imposer notre conscience à la classe, mais devons montrer concrètement dans chaque lutte en quoi et pourquoi les objectifs que nous nous sommes fixés ne peuvent être atteints qu’avec les idées et les méthodes de lutte révolutionnaires du marxisme. Ce faisant, il est toujours important de ne pas surestimer ses propres forces. En tout temps, nous devons être honnêtes avec les salariés et les jeunes: il n’y a pas de raccourcis sur la route rocailleuse de la lutte des classes. Nous n’en sommes qu’au début de cette période historique sans précédent, où l’on assiste à une véritable lutte à mort du capitalisme – il ne s’agit pas de quelques années, mais plutôt de décennies. Nous ne devons pas non plus nous faire d’illusions quant à l’imminence d’une révolution réussie, ni  – et encore moins – reporter cette perspective à un avenir inatteignable. 

De l’optimisme, car nous savons ce que nous faisons !

Pour nous, la question n’est pas de savoir si, mais quand et comment la classe ouvrière va commencer à lutter, et où se situe notre marge de manœuvre à cet égard. Que celle-ci soit limitée par notre taille n’est pas un argument en faveur du pessimisme, au contraire, il ne fait que renforcer et rendre plus pressante l’urgence de construire le courant qu’est l’étincelle. Si nous voulons raccourcir le douloureux processus d’apprentissage de la classe laborieuse, nous devons commencer par nous renforcer : 500 à 1000 révolutionnaires bien formés en Suisse pourraient déjà jouer un rôle décisif dans les luttes à venir. Notre prochain objectif est donc de trouver les jeunes salariés et étudiants cherchant une alternative à cette barbarie croissante, de les organiser et de les armer avec les idées révolutionnaires du marxisme. 

Le pessimisme n’a pas sa place aujourd’hui. La période qui s’annonce pose une facture historique sur la table avec la question suivante : qui paie ? D’une part, on a une petite élite, qui s’enrichit et célèbre les excès aux dépens du grand public. De l’autre, la classe ouvrière : l’écrasante majorité de la société, qui crée toutes les richesses, mais qui devrait maintenant payer cette facture pendant des années, voire des décennies. Les masses de salariés et de jeunes seront inévitablement poussées sur le chemin de la résistance, et dans le cours de ces luttes, elles apprendront à sentir les limites de ce système et à éprouver celles de leur propre pouvoir. Le potentiel de révolution socialiste est inhérent au déroulement général de la lutte des classes. Mais pour le réaliser, nous devons maintenant nous atteler à la tâche urgente de construire une direction de classe du mouvement ouvrier. Notre génération a une occasion unique de transformer la question de savoir qui paie pour la crise en une question historique pour l’humanité, celle de l’alternative entre socialisme et capitalisme ! Il est grand temps de choisir son camp. 

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