De la nuit du 24 au 25 octobre, des milliers de jeunes manifestaient dans la rue pour L’Usine. Leurs revendications ? S’opposer aux attaques du Grand Conseil genevois qui met en péril l’existence du centre culturel autogéré.  Pour rappel, avec la LRDBHD (loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement), l’Usine se voit contrainte, pour le maintient des cinq buvettes du lieu, d’attribuer une autorisation à une personne physique pour chacune d’entre elles. Cette clause est une attaque au modèle d’autogestion du lieu qu’il remet en question.

 

Notre camarade Michel Ribeiro a rencontré deux des permanents de l’Usine, Samantha Charbonnaz et Clément Demaurex, pour nous faire part de leur avis sur la question.  

 

Qu’est-ce que l’Usine et comment la percevez-vous ?

Clément Demaurex : L’Usine est un centre culturel autogéré et ces trois notions sont vraiment importantes. Tout d’abord, l’Usine est un centre, un lieu de partage, d’échange, interdisciplinaire. L’Usine est un espace culturel au sens large. Et notre mode de fonctionnement est l’autogestion, non pas dans le mode de financement mais dans l’organisation interne, grâce à un collectif sans hiérarchie où on retrouve cette notion de partage et d’échange.

Samantha Charbonnaz : Plus que les résultats et la mise en œuvre, ce qui nous intéresse c’est les processus et les mécanismes. On prend le temps de se dire du comment est-ce qu’on fait les choses.

C.D. : Dans notre production culturelle, il s’agit de trouver un équilibre : ce n’est pas la fin justifie les moyens, mais les moyens sont aussi importants que la fin.

 

Comment résumeriez-vous la situation dans laquelle se trouve actuellement l’Usine ?

S.C. : La relation entre l’Etat et l’Usine ne se sont pas mal dégradées ces dernières années.

C.D. : Il y a une intransigeance de leur côté pour qu’un modèle différent puisse exister. Nous réclamons vraiment le droit de fonctionner différemment, tout en n’étant pas marginalisés et précarisés. Pour nous, la société doit intégrer des modèles différents. Il y a une radicalisation de la droite : tous les moyens sont bons pour nous faire plier, que ce soit les moyens administratifs, par exemple que l’Usine modifie son fonctionnement pour entrer dans leurs cases ou encore en termes politiques en nous coupant notre subvention. Il y a une incapacité de laisser exister quelque chose de différent. On demandait à ce que la loi puisse encadrer nos pratiques, pas qu’elle nous demande, en les niant, des les modifier pour entrer dans ce cadre.

S.C. : L’Usine a fait tout un processus, dans cette reforme de loi, où on a demandé pas mal de choses. Et puis tout d’un coup, alors qu’on existe depuis 30 ans, du jour au lendemain, on est illégaux, par un processus, où ils ont exclu nos pratiques existantes d’une loi. On essaie de se faire entendre et ça ne marche pas. On a fait des commissions avec des députés, on a écrit aux députés, on a fait des tractations politiques, des prises de positions, des amendements… Et dans tout ça on ne nous entend pas, puis on descend dans la rue et se fait traiter de sauvages et de barbares. Ce qui nous montre que le processus démocratique du système est aussi à interroger. 

C.D. : On fait partie du tissu culturel genevois : on accueille 5000 personnes par semaine, ce qui est une part importante de la population et ils nous nient le droit à l’existence. […] Au départ, la LRDBHD (loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement), c’est une histoire de restaurateurs et on est un peu les dommages collatéraux de cette loi qui n’était pas prévue pour nous. Ils nous disent qu’on doit entrer dans le cadre pour ne pas faire de la concurrence déloyale, mais le problème est que cette loi, a priori, ne s’adressait pas à nous. On peut avoir de la concurrence déloyale seulement quand on parle d’activités comparables, et ici on ne fait pas la même chose.

S.C. : Et lorsqu’on parle avec les professionnels, issus des autres corps de métiers, concernés par la LRDBHD, nous sommes tous d’accord : un mec qui joue de la guitare dans un bar, ce n’est pas la même activité que nous !

C.D. : Dans la LRDBH actuelle, il y a déjà des cases qui distinguent le café-restaurant, d’un hôtel ; le bar, d’un club, d’une buvette etc. Nous on ne demandait pas à être exemptés de la loi, on demandait une case qui permette aux activités de perdurer. On demandait à ce que la formule associative, autogérée, puisse être reconnue comme un modèle de gestion légitime.

 

Quelles sont les conséquences de cette affaire pour vous ?

C.D. : Suite à la manifestation en soutient à l’Usine, il y a un risque d’amende. La suite reste la votation du budget 2016 : la droite étant majoritaire, si personne ne bouge dans cette droite élargie, il y a un risque que toutes les subventions soient coupées. Et par rapport au canton, on risque la fermeture administrative : s’ils ne reconnaissent pas nos activités, on se retrouve dans l’illégalité. […] La gestion de l’Usine a pour caractéristique d’être pluriforme, elle évolue. L’Usine est lieu d’émulsion de création et c’est ça qui est tout à fait réjouissant. C’est un lieu de possibles. Et à partir de là, il y a cette légitimité que qu’on permette à cette histoire-là de conserver son fonctionnement.

S.C. : Cette affaire prend des proportions incroyables, tout simplement parce qu’on veut un papier et qu’ils veulent nous en donner cinq. Pour une broutille administrative, on arrive jusqu’à la coupe de subventions à la hauteur d’un million de francs pour un des plus gros lieux culturels de Suisse romande.

C.D. : Si on nous compare avec HSBC qui fait du blanchiment d’argent à l’échelle internationale, qui permet à des réseaux de trafic d’armes et de drogues d’exister et à qui on donne une amende et c’est réglé : c’est ridicule.

S.C. : L’Usine est une fourmilière humaine et c’est un aspect que la droite ne comprend pas. On le voit quand des jeunes, qui ne sont pas forcement politisés et pour l’autogestion, scandent des slogans pour l’Usine à 2h du matin. Et c’est dans ce point-là où la droite n’est pas du tout visionnaire.

 

Michel Ribeiro
Stéphanie Gomes

JS Genève