[dropcap]C[/dropcap]omment rédiger des revendications ? Quelles revendications poussent les gens à s’intéresser au Socialisme. Le Comité directeur (CD) de la JS semble s’être à peine posé ces questions dans celles qu’il propose à l’Assemblée Annuelle (AA). Il ne va pas non plus emmener cette discussion devant la base du parti.


Grève générale reloaded – 9 revendications:
Proposition du comité directeur à l’attention de l’assemblée annuelle 17 et 18 mars 2018

1. Le féminisme comme branche scolaire
2. La semaine de 25 heures
3. La Retraite populaire
4. La nationalisation du territoire
5. La suppression de l’armée
6. La santé publique gratuite
7. La nationalité pour toutes et tous
8. Les entreprises en mains des travailleurs-euses
9. Le 100% des énergies & des ressources renouvelables


A l’occasion du 100e anniversaire de la grève nationale, le CD propose à l’AA de cette année neuf revendications « pour le siècle à venir ». Nous y voyons une bonne idée, mais aussi quelques points faibles. Par exemple, au sujet de la demande de « nationalisation du territoire »: La demande s’attaque à un problème brûlant de la classe ouvrière et des jeunes, à savoir l’augmentation constante des loyers, les expulsions et la pénurie de logements. La nationalisation sortirait de fait le domaine de l’immobilier de la logique de profit et réduirait ainsi les loyers. Mais il reste un problème, pour les jeunes et les salarié.e.s, qui ne sont pas (encore) convaincu de socialisme, la nationalisation du territoire n’est pas une nécessité évidente pour résoudre leurs problèmes. La revendication ne fait que s’approcher de la réalité des gens. Bref : Il faut discuter comment on rédige des revendications.

Prendre comme base les conditions de vie des gens.

Si nous pouvions planifier démocratiquement la production et la distribution des biens, la plupart des gens vivraient dans de meilleures conditions. Ainsi, le socialisme est dans l’intérêt d’une écrasante majorité. Cette intuition, cependant, ne tombe pas du ciel. Nous devons convaincre les gens que seule la lutte pour le socialisme peut résoudre leurs problèmes les plus urgents. C’est précisément la raison pour laquelle nous formulons des exigences: Nous faisons le lien entre les conditions de vie actuelles et le programme socialiste.

Par conséquent, les bonnes revendications ne peuvent être dérivées que des conditions économiques et sociales actuelles de la population. C’était également le cas des revendications de grève générale il y a cent ans: La guerre impérialiste avait aggravé la situation et a mené à la famine, à l’exploitation la plus flagrante, à la répression la plus brutale, à l’abandon des personnes âgées et des laissés-pour-compte et à une augmentation de la pression abusive sur femmes dans les usines. Basé sur ces constats, le mouvement de 1918 réclamait la sécurité alimentaire, la semaine de 48 heures, l’AVS, une armée populaire et le droit de vote pour les femmes.

Nous constatons donc : Les revendications ne surgissent pas de nulle part, elles proviennent des besoins réels des gens et donnent lieu à des luttes concrètes. C’est pourquoi l’approche du CD est également erronée: sans discussion sur les problèmes des salariés et des jeunes suisses, sans discussion sur les perspectives de mouvements et de luttes en Suisse, un catalogue de revendications n’a pas de base matérielle. Le  problème se pose pour la temporalité à laquelle le CD se réfère (100 ans). Nous ne pouvons persuader personne que le socialisme améliore fondamentalement les conditions de vie lorsque la JS pose des revendications pour le « siècle prochain ». En 1918, aucune revendication n’était prévue pour les 100 prochaines années ! La seule revendication correcte pour dans cent ans est le renversement du capitalisme, pour lequel nous sommes tous dans la JS. Toutes les autres revendications pour le « siècle à venir » ne sont rien d’autre qu’une promesse faite aux bourgeois que dans 100 ans, nous n’aurons pas atteint le socialisme.


Mode d’emploi pour des revendications socialistes

Nos revendications sont censées conduire les gens vers le socialisme et les gagner pour notre parti – des revendications qui fournissent aux gens une alternative à l’exploitation et à l’oppression auxquelles ils sont confrontés dans le capitalisme. À cette fin, nous pouvons nous concentrer sur les questions suivantes, entre autres :

  • La revendication découle-t-elle des problèmes auxquels sont confrontés aujourd’hui la classe ouvrière et les jeunes? Y a-t-il des combats ou des discussions en cours?
  • La revendication répond-elle aux problèmes actuels? La demande représente-t-elle une amélioration évidente des conditions de vie des gens?
  • L’appel révèle-t-il les limites du capitalisme? Est-ce un défi pour les capitalistes? Cela montre-t-il que le capitalisme ne peut pas satisfaire les besoins des gens?
  • La revendication indique-t-elle les oppositions de classe? Qui paie, qui en profite?
  • La revendication suscite-t-elle de nouvelles exigences plus ambitieuses? Les capitalistes doivent-ils faire des concessions, la demande est-elle alors complète ou peut-elle être poursuivie?
  • Structure du parti: La revendication montre-t-elle que nous devons nous organiser? Pouvons-nous gagner de nouveaux membres grâce à elle? La demande conduit-elle à des discussions théoriques et/ou à une expérience pratique?

Les revendications du CD

Cela prouve rapidement que certaines revendications du CD sont insuffisantes. Le CD réclame à juste titre un système de santé gratuit, une retraite publique et des énergies renouvelables sans toutefois indiquer qui doit payer pour cela. Il n’est donc pas clair que pour de telles réalisations la lutte contre les capitalistes et l’organisation dans un parti est nécessaire.

La revendication du « féminisme comme branche scolaire » montre très clairement les limites de l’approche du CD. Premièrement, pour tous ceux qui n’ont pas encore abordé la question du féminisme, il n’est absolument pas clair dans quelle mesure cela pourrait être une mesure efficace contre le sexisme. Deuxièmement, elle ne signale pas l’opposition de classe (Qui bénéficie de l’oppression des femmes?). Troisièmement, il ne montre pas les limites du capitalisme – après tout, la demande pourrait être mise en œuvre dans le système actuel (voir les Études-genre à l’université) sans améliorer les conditions de vie des femmes. Quatrièmement, le pire, c’est qu’elle a un caractère démobilisateur: La revendication s’éloigne de la lutte pour l’émancipation des femmes, car elle y voit un problème purement éducatif. En plaçant la libération du sexisme entre les mains de l’appareil éducatif (bourgeois), le CD nie la lutte des opprimés contre leur oppression. Ainsi, on ne peut construire de mouvement !

Critique de l’approche du CD

Le « processus de détermination » du CD exige que toutes les revendications reçues soient présentées à l’Assemblée Annuelle. Enfin, les délégués voteront pour neuf des revendications « qui leur semblent prioritaires ». Nous avons déjà fait valoir en détail dans le dernier article sur la grève Générale que les revendications ne devraient pas être formulées individuellement, mais seulement dans le cadre d’un programme. Toutefois, ce n’est en aucun cas le seul point de critique concernant l’approche du CD.

Comment pouvons-nous avoir une bonne discussion si nous ne discutons pas d’avance de ce à quoi devrait ressembler une bonne revendication? La semaine dernière, par exemple, la JS Ville de Berne a présenté ses revendications, y compris le « logement gratuit ». Dans l’approche de CD, cette exigence n’est pas associée à la « nationalisation du territoire », ce qui serait logique en termes de contenu. Maintenant, la direction pourrait décider à court terme de discuter ensemble de ces revendications qui sont thématiquement similaires. Pour ce faire, cependant, cela nécessiterait inévitablement une discussion préalable sur les questions sur lesquelles nous voulons formuler des revendications. Quels sont les problèmes auxquels font face les gens que nous voulons attirer vers notre parti? Où se déroulent actuellement les batailles importantes pour la jeunesse radicalisée? Nous devrions donc avoir un débat sur le programme, ce qui nous ramènerait à la case départ.


Extraits du « processus de détermination » du CD :

  • « Lors de l’Assemblée annuelle des 17 et 18 mars 2018, toutes les revendications proposées seront présentées. »
  • « Les délégué-es reçoivent une liste avec toutes les revendications, sur laquelle ils-elles marquent d’une croix les neuf d’entre elles qui leur semblent prioritaires. »
  • « En quoi consiste une revendication ? Une revendication doit pouvoir être réalisée en Suisse au cours ces 100 prochaines années. Une revendication n’est pas l’analyse d’un système. »

Nous devons renforcer notre parti!

D’autre part, nous n’allons pas continuer à construire la JS avec cette approche, car elle ne peut mener à une bonne discussion : Sur la base de quels critères devrions-nous déterminer si une revendication est « plus importante » (CD) qu’une autre? Un processus décisionnel démocratique a été mis en place afin de renforcer davantage notre parti. Nous augmenterions l’efficacité de notre organisation en définissant une direction commune et unifiée. Nous n’ y parvenons pas par le seul fait que chaque délégué décide lui-même quels critères sont les plus importants pour formuler des revendications. C’est pourquoi, avant de formuler des revendications, en tant que parti, nous devons être clairs quant à ce que nous voulons obtenir avec elle – pourquoi posons-nous des revendications. La tendance marxiste l’Etincelle fera une proposition correspondante à l’AA et soumettra une résolution intitulée « Comment et pourquoi faisons-nous des revendications ? »

Un autre problème est que CD ne veut pas  » d’analyse du système » avec les revendications. Mais les bonnes exigences sont toujours basées sur une analyse du système. Pour gagner la jeunesse radicalisée à notre parti, il faut analyser comment le système exploite et réprime les jeunes. Ensuite, nous posons des revendications qui montrent que nous devons nous organiser pour mettre ce système à genoux. C’est seulement ainsi que nous pourrons gagner la jeunesse et les travailleurs pour notre parti.

Le Comité Directeur ne va pas porter cette idée à l’AA. Nous avons besoin d’une analyse du système, d’un programme clair composé d’exigences de dépassement du système, afin que la JS puisse progresser. La construction d’un parti puissant est une nécessité pour vaincre le capitalisme, La faisabilité de nos revendications est toujours une question de rapport de force. C’est pourquoi nous devons maintenant commencer à construire un parti révolutionnaire.

Dersu Heri
JUSO Genf