Depuis deux ans, nous voyons les travailleurs de la fonction publique se mobiliser. Ceci est un reflet de l’intensification des attaques menées par la ville et le canton de Genève contre ses fonctionnaires. Il faut maintenant un programme clair pour continuer la lutte.

Le début d’une longue série

Nous faisons face à une nouvelle mobilisation de la fonction publique genevoise. Mais cette mobilisation n’apparaît pas de nulle part, elle s’inscrit dans la continuation du mouvement que nous observions déjà l’année dernière (au niveau cantonal). En effet, au sein de son budget 2021, le Conseil d’État avait mis en place de grandes coupes pour la fonction publique. À travers des baisses de salaire et un gel des annuités, l’État a fait payer la crise du Covid aux fonctionnaires. L’intérêt des riches a quant à lui été préservé avec des mesures comme la RFFA. Concrètement, les travailleurs qui ont été essentiels au fonctionnement de la vie genevoise durant le Covid ont continué de subir des attaques pendant que les riches ont continué de s’enrichir.

Cependant, certaines parties de la fonction publique s’étaient rendu compte de l’attaque qu’on leur adressait. Pour riposter, un grand nombre de fonctionnaires du canton s’étaient mobilisés au cours de trois manifestations et grèves d’octobre à novembre 2020. Ces mobilisations avaient néanmoins fini par s’affaiblir dû à l’ancrage insuffisant dans les entreprises, au manque de programme combatif clair pour faire reculer les attaques et à la trahison du PS au sein du conseil d’État. Mais en l’absence de solution aux problèmes soulevés et avec de nouvelles attaques à l’horizon, nous avions dit en décembre 2020 que cet essoufflement du mouvement de la fonction publique n’était que temporaire.

La suite d’une longue série

Effectivement, cette analyse s’est prouvée être correcte. La chaîne d’attaques a repris en mars 2021 avec une réforme de la grille de salaires des fonctionnaires genevois annoncée par le conseil d’État. Mais c’est ce septembre dernier que les choses sont allées en s’intensifiant : le conseil administratif de la ville de Genève a présenté le plan de budget 2022. Encore une fois, la fonction publique est ciblée par un blocage de l’annuité, de la prime d’ancienneté et du 13ème salaire progressif. Encore une fois, ce sont les travailleurs dans des secteurs de première nécessité qui sont touchés. Cette énième attaque a à nouveau été expliquée par la nécessité de réduire le déficit jusqu’au retour à l’équilibre en 2028 obligé par la RFFA, qui donnait des cadeaux fiscaux massifs aux patrons. Mais c’est précisément la RFFA qui joue un rôle camouflé dans la baisse des recettes de Genève. En effet, les ressources fiscales de la ville provenant des entreprises privées seront passées de 200 millions en 2019 à 130 millions en 2022. En plus de la part qui est due directement à la RFFA, cette baisse est également une conséquence de la Covid-19. Mais à nouveau, une grande partie des dépenses liées à la Covid-19 s’est faite à destination des entreprises et des banques. Comme l’année précédente, les profits des entreprises ont été mis avant le niveau de vie des fonctionnaires.

Ce projet de budget se développe sous la supervision de la gauche, majoritaire à la fois au délibératif et à l’exécutif. Comme en 2020, le PS, historiquement le parti principal de la classe ouvrière suisse, se plie à nouveau devant les intérêts capitalistes. Cependant, cette trahison vient avant tout des représentants du PS au sein des exécutifs, laissant la base même du parti divisée. Pour ces représentants, il est donc plus important de garder l’illusion d’une “unité” nationale ou cantonale, plutôt que de se ranger fermement du côté des salariés. En réalité, de telles mesures sont nécessaires sous le capitalisme en crise ; elles ne se réduisent pas au “choix” du PS. Pour contrecarrer la pression accrue sur les profits d’entreprises, les baisses d’impôts sont utilisées. Pour pallier les pertes liées à la crise, c’est donc en premier lieu les travailleurs qui sont touchés. En rejoignant le gouvernement bourgeois – tant au niveau national que dans les gouvernements cantonaux – , le PS est voué à aider à faire le sale boulot des capitalistes. Résultat : à force de faire des compromis, la gauche réformiste fait le travail de la droite en faisant passer des coupes à sa place. Sans objectifs combatifs clairs, la gauche se retrouve incapable de défendre les travailleurs.

Cependant, les coupes déjà très fortes ne le sont semble-t-il pas assez pour le PLR et le PDC. Ces derniers ont lancé une initiative le 15 septembre qui empêcherait l’État d’embaucher davantage d’employés en cas de budget déficitaire. À un moment où la crise nous a montré la nécessité de combler le besoin de personnel dans les secteurs surchargés, la logique capitaliste pousse l’État à faire le contraire : sauver les profits au détriment des humains. À cette longue liste, nous pourrions également ajouter le projet de réforme de la caisse de pension des fonctionnaires qui revient à une diminution du salaire des employés par une augmentation des cotisations des salariés et le gel d’indexation des salaires à l’inflation alors que les prix des biens de consommation, avant tout du logement, sont en hausse dramatique. 

Les fonctionnaires s’organisent

Face aux nouvelles annonces, la fonction publique s’est remise en mouvement afin de se mobiliser contre ces attaques. Tout d’abord, le 15 septembre, c’est 400 travailleurs de la petite enfance qui ont défilé devant le siège du Conseil administratif. “Fini les applaudissements, il faut maintenant passer à la caisse” a avancé une secrétaire syndicale de ce secteur qui est resté actif pendant la crise sanitaire. 

Ensuite, ce fut le tour du reste des fonctionnaires touchés par les coupes. Le 30 septembre, entre 600 et 800 travailleurs des services publics menèrent une grève historique. Les employés de la ville ne s’étaient pas mobilisés de cette manière depuis longtemps, leur dernière mise en grève remontant à il y a 15 ans. Nous voyons l’explosion de la colère qui monte depuis le début de cette longue crise à laquelle fait face le capitalisme suisse. Un éboueur interviewé par le SSP déclare : “Si les attaques continuent, les collègues plus jeunes ne pourront bientôt plus manger. À Genève, les salaires sont souvent trop bas par rapport au coût de la vie”.

Suite à la grève du 30 septembre, une grève reconductible a été prévue le 11 novembre par les syndicats. Cette grève était une étape positive dans le développement de la lutte qui aurait posé les bases pour se défendre contre les coupes. La nécessité de continuer de cette manière a été observée par les fonctionnaires eux-mêmes dans la lutte : “Quand nous avons appris, le jour de la grève [du 30], qu’ils voulaient nous faire rattraper le travail perdu, nous avons proposé à l’assemblée du personnel d’arrêter le travail durant deux jours en novembre: commencer le mouvement le jeudi, puis reconduire la grève le lendemain, avant de partir en week-end.” C’est d’en bas que cette radicalisation de la lutte était initiée, un pas très important dans le développement de la lutte de classes !

La nécessité d’un programme combatif

Comme concession face à cette mobilisation, le Conseil administratif a finalement rétabli les annuités des fonctionnaires. Suite à cette annonce, les syndicats ont décidé de ne pas mener la grève du 11 novembre. Cependant, rien n’a été dit sur les autres attaques. De plus, l’argent que la Ville comptait économiser avec le gel des annuités devra forcément être trouvé ailleurs. D’autres attaques restent alors en vue et, avec le développement de la crise, continueront de se multiplier. En abandonnant la grève, les syndicats relâchent la pression. Ceci ne peut que rendre le Conseil administratif plus confiant. Sachant que le budget final sera voté en décembre, il est donc probable que d’autres coupes plus “subtiles” soient intégrées au projet d’ici-là.

Il est évident que relâcher la mobilisation après cette concession, à un moment où les attaques se multiplient, est une erreur. Les fonctionnaires de la ville comme ceux du canton ne peuvent pas se permettre d’arrêter la lutte ; le secteur de la fonction publique doit agir de manière unie. Il faudrait non seulement maintenir la mobilisation, mais aussi l’étendre. Même les travailleurs de l’UNI et des cafétérias universitaires offrent un potentiel de convergence important. La grève du 30 septembre a montré que des secteurs peu syndiqués étaient maintenant prêts à se mobiliser – la voirie et la petite enfance par exemple. C’est justement une opportunité d’élargir l’ancrage actif des syndicats (SPP) dans les lieux de travail. Ceci permettrait réellement de changer le rapport de force et de ne pas s’arrêter aux premières concessions cédées par le Conseil administratif. 

Pourtant, au niveau cantonal, la mobilisation s’amorce aussi : vu les attaques susmentionnées (réforme de la caisse de retraite, non-indexation des salaires à l’inflation, attaques en cours contre les conditions de travail), le Cartel Intersyndical de Genève a convoqué une assemblée du personnel pour le 23. Novembre pour décider des moyens de lutte. Un préavis de grève est déjà mentionné comme possible proposition. C’est exactement le chemin à prendre. Néanmoins, il faut impérativement briser avec cette mobilisation séparée en deux voies (communal et cantonal) et réunir la mobilisation du personnel de la ville et du canton! Pour une mobilisation réussie, il nous faut un programme combatif qui montre une perspective de lutte aux salariés afin d’élargir la base des syndiqués et possibles grévistes dans les entreprises. Une leçon importante de l’année passée est qu’on ne peut pas juste espérer que le gouvernement ou le parlement va réagir aux revendications des grévistes. La tâche des syndicats est par conséquent de donner les outils aux travailleurs de mettre en place ces revendications sur leurs lieux de travail, sans attendre la politique. Il s’agit uniquement d’une question de rapport de force. Pour changer cela, il faut s’ancrer dans les entreprises et montrer aux travailleurs un chemin pour qu’ils prennent le contrôle sur leurs conditions de travail dans leurs propres mains. Les revendications dont on a besoin sont :

  • Fin des mesures d’austérité, retrait du projet de budget 2022 ! C’est aux capitalistes et à l’État de payer leur crise. La gestion désastreuse de la pandémie ne doit pas retomber sur celles et ceux qui étaient aux premières lignes pour continuer à faire fonctionner la société.
  • Pour un investissement massif dans la fonction publique ! La pandémie nous a montré la nécessité absolue de renforcer nos services publics. Il faut combler le manque de personnel dans les hôpitaux, les crèches, les écoles, etc. Il faut plus de moyens et d’employés, pas moins. Non aux licenciements !
  • Nationalisation des crèches et autres secteurs subventionnés, sous contrôle ouvrier ! Les services de première nécessité comme les cliniques et crèches doivent être séparés des intérêts privés ou semi-privés visant à faire du profit. Ces services doivent être garantis pour tous et toutes et gérés démocratiquement par les travailleurs.
  • Instauration des comités de contrôle des conditions de travail par le personnel dans tous les secteurs !
  • Réhausse de 50% des salaires dans les secteurs de première nécessité ! Ces employés qui travaillent pour l’instant dans des secteurs sous-financés doivent être compensés pour leur travail lors de la pandémie. Les applaudissements ne suffisent pas.
  • Pas d’augmentation du temps de travail, pour la semaine de 30 heures ! Pas de licenciements, intégration des chômeurs pour une répartition démocratique du travail à plein salaire.
Une classe ouvrière unie et des organisations combatives

Ces mouvements au sein de la petite enfance et de la fonction publique font écho aux luttes qui émergent dans tous les domaines de la vie genevoise. Par exemple, nous avions également vu s’organiser les salariés de Swissport suite à de violentes baisses de salaire en janvier 2021. Un employé nous avait déclaré : “peu importe la personne dans l’entreprise, le salaire va baisser. Tout le monde y perd”. Moins d’un an plus tard, ce 24 octobre, les capitalistes continuent les attaques en supprimant environ 20 postes à Genève Aéroport.

Malgré la reprise économique, les capitalistes attaquent les salariés à tous les niveaux : coupes budgétaires, réformes de l’AVS (en réalité une augmentation de l’âge de la retraite et une plus grande taxe sur la valeur ajoutée), libéralisation du temps de travail, attaques contre diverses CCTs, notamment. Nous nous rappelons également du personnel soignant, des enseignants, de la construction, etc. qui se sont tous mis en grève durant ces deux dernières années. Le 30 octobre, les syndicats ont organisé une journée de manifestation interprofessionnelle et, à l’approche des négociations de CCTs, les luttes vont aller en s’intensifiant.

Cependant, les syndicats peinent à briser avec leur routine de “journées d’action”. Il faudrait au contraire transformer ces journées en véritables grèves capables de lutter contre les mesures d’austérité. Le travail d’ancrage des syndicats dans différents secteurs est également assez minime, les syndicats préférant simplement appeler à venir aux manifs, plutôt que d’aider réellement à construire des cellules au sein des entreprises. Ceci se reflète dans leur manque de programme général contre la crise, laissant place à des mobilisations isolées qui ne parviennent pas à réunir tous les secteurs. Il faut un combat uni de tous les salariés du public et du privé pour renverser les mesures d’austérité qui les touchent. C’est bien quand elle agit ensemble que la classe ouvrière a le plus de force.

  • Pour une lutte unie des travailleurs contre les capitalistes et leur logique du profit !
  • Pour la grève reconductible de la fonction publique, vers une grève reconductible et générale !
  • Pour la construction de comités de travailleurs soutenus par les syndicats dans les entreprises publiques et privées !