[dropcap]A[/dropcap]u cours de la dernière semaine, nous avons assisté en Iran aux manifestations les plus répandues depuis la Révolution de 1979. Bien que le mouvement soit de plus petite taille que le mouvement vert de 2009, il s’est propagé beaucoup plus loin que les régions urbaines et les grandes villes où s’était confiné ce mouvement. Nous assistons à un changement radical qui secoue le régime jusque dans ses fondements.

Cet article est un résumé de deux articles publiés en anglais sur le site web In Defence of Marxism les 1er et 2 janvier dernier.

Les premières manifestations ont eu lieu à Mashad et visaient initialement le président Hassan Rohani. En fait, elles ont initialement reçu l’appui de Ahmad Alamolhoda, le réactionnaire partisan de la « ligne dure », imam de la prière du vendredi de Mashad et dépositaire du fonds Imam Reza, valant plus de 15 milliards de dollars US.

Cependant, les slogans se sont rapidement retournés contre l’establishment clérical tout entier. Mashad, la deuxième plus grande ville d’Iran, a toujours été considérée comme une ville conservatrice et religieuse dans laquelle les factions politiques de la « ligne dure » jouissaient d’un soutien élevé. Mais au cours des dernières années, l’humeur a changé dans la ville. En fait, le trait caractéristique de toutes ces manifestations est le fait qu’elles ont fait irruption dans des régions et parmi des couches de la population dans lesquelles le régime jouissait d’un important soutien.

Rohani est arrivé le pouvoir il y a cinq ans en portant des promesses de changement. Des millions de gens de toutes les couches de la société s’étaient ralliés à ses promesses de mettre fin à l’atmosphère sécuritaire, de libérer les prisonniers politiques, d’augmenter les droits démocratiques, de mettre fin à l’isolement de l’Iran et d’augmenter le niveau de vie. Mais cinq ans plus tard, les gens ordinaires souffrent toujours. Le chômage a constamment augmenté et bien que l’inflation ait été globalement maîtrisée, le coût de la vie n’a cessé d’augmenter. De plus, le gouvernement de Rohani prévoit de couper encore davantage dans les subventions pour les produits de première nécessité ainsi que dans les allocations pour les pauvres, et prévoit augmenter les prix de l’essence de 50 %.

Le taux de chômage chez les 15-29 ans est de plus de 24 %, et ce n’est que le chiffre officiel. Ce taux est même plus élevé chez les jeunes et les femmes des milieux urbains. Ce sont des gens qui s’attendaient à de l’aide de la part du gouvernement Rohani. Mais malgré une croissance de 4,2 % l’an dernier, la première année de croissance véritable au pays depuis longtemps, le chômage et le coût de la vie ont continué d’augmenter.

Pendant quatre décennies, les masses laborieuses ont gardé la tête basse et ont accepté leur sort ainsi que les excuses données par le clergé. Mais il ne se passe pas une journée sans qu’un scandale majeur éclate, impliquant des hauts placés du régime. Les mollahs ont bâti des empires de milliards de dollars et jouissent d’un mode de vie obscène, tandis qu’ils imposent l’austérité aux masses.

Les manifestations des derniers jours sont sans précédent dans l’histoire de la République islamique. Jamais on n’avait vu un mouvement aussi répandu, et jamais on n’avait vu un mouvement de contestation exprimer une humeur aussi radicale et intransigeante. Dans la ville profondément conservatrice de Hamedan, des centaines de personnes scandaient « Khamenei est un meurtrier, son gouvernement est nul ».

Dans la ville de Téhéran, les manifestations se sont poursuivies et ont mené à de lourds affrontements. Plus important encore, les manifestations se sont répandues aux villes et villages industriels autour de Téhéran. À Karaj, un bastion industriel situé juste à l’extérieur de Téhéran, des milliers de personnes ont pris la rue et se sont mesurées à la police.

Il y a également eu des manifestations à Zanjan, Tuyserkan, Arak, Saveh, Amol, Sari et Qazvin. Ce sont toutes des régions « périphériques » où le chômage est élevé, et la jeunesse non étudiante semble être à la tête du mouvement dans la plupart des villes.

Immédiatement après le discours de réconciliation de Rohani à la télévision, la répression a augmenté et le nombre d’arrestations s’élève maintenant à au moins 400 personnes [maintenant plus de 1000 personnes, NDLR], et les autorités rapportent qu’environ 20 personnes ont été tuées. Au même moment, le Corps des Gardiens de la révolution a annoncé qu’il prendra le contrôle de la sécurité de Téhéran des mains de la police. Cela est non seulement contraire aux déclarations du président Rohani qui, il y a quelques jours, disait que les gens auraient le droit de manifester pacifiquement, mais cela va également à l’encontre de sa promesse électorale d’il y a cinq ans de retirer les troupes paramilitaires des rues de Téhéran. Ces « démocrates » libéraux, soi-disant amis du peuple, adoptent exactement les méthodes auxquelles ils prétendent s’opposer.

Malheureusement, une mince couche d’intellectuels « de gauche » répète ce que beaucoup de libéraux disent, à savoir qu’en l’absence d’une organisation et d’un programme clair, le mouvement peut tomber sous l’influence des forces réactionnaires intérieures ou extérieures, ou tout simplement subir une défaite. Par conséquent, cela implique que nous ne devrions pas soutenir le mouvement.

Ce qu’ils sont en train de dire, c’est que nous devrions demander aux Iraniens affamés et désespérés de retourner à la maison et de continuer leur jeûne, et de ne revenir dans la rue qu’au moment où ils auront une organisation méritant l’appui de nos amis intellectuels « de gauche » !

Mais comment est-il même possible de construire une organisation de masse authentiquement démocratique sous une telle dictature ? Cela est très improbable, voire impossible. Ces messieurs et ces dames sont les mêmes qui abandonnent l’idée de construire une organisation car ils ne croient pas à la révolution et quand celle-ci survient, ils l’abandonnent car elle n’est pas munie d’une organisation. Dans tous les cas, ils s’opposent aux masses révolutionnaires auxquelles ils ne font pas confiance, et c’est là l’essence de la question.

Heureusement, les masses iraniennes ne se préoccupent pas vraiment de ces gens. Pendant 30 ans, les « démocrates » libéraux et leurs laquais sociaux-démocrates ont prôné les « réformes » et la « modération » chaque fois que les masses sont descendues la rue. Et qu’est-ce qui a été accompli ? Absolument rien. Ces trente années pendant lesquelles les conservateurs et les libéraux se sont échangé le pouvoir n’ont mené à rien. Les gens sont toujours opprimés, sans emploi et luttent pour survivre. Mais les pauvres et les personnes sous-éduquées d’Iran ont compris en quelques jours ce que ces intellectuels n’ont pas compris après trois décennies : seul un mouvement révolutionnaire audacieux peut donner des résultats. Le régime est clairement secoué par l’humeur radicale des manifestations, peut-être même plus encore que lors des différentes phases du mouvement vert de 2009.

Bien sûr, le mouvement a besoin d’une organisation et d’un programme révolutionnaire clair pour vaincre. Étant donné que le mouvement est très jeune et n’a pas de direction révolutionnaire, il devra faire face à de nombreux obstacles qui pourraient potentiellement le faire dérailler. Ce danger demeure, notamment aussi longtemps que le gros de la classe ouvrière ne s’est pas mis en mouvement. Ne serait-il donc pas tout à fait logique de soutenir et d’aider le mouvement, de tout faire en notre pouvoir pour développer une telle organisation et un tel programme, et ce, avant que le mouvement ne soit déraillé ou compromis ?

Nous assistons présentement aux tout débuts d’un processus révolutionnaire. Certaines couches de la population sont en train de prendre leur destinée en main. Il s’agit d’une anticipation des événements qui viennent. Les masses ne savent pas encore ce qu’elles veulent, mais elles savent exactement ce dont elles ne veulent pas, soit tout ce qui représente la République islamique. Le mouvement reflète également l’incapacité du capitalisme iranien à satisfaire les besoins de base du peuple d’Iran, incluant sa base de soutien traditionnelle.

À mesure que la lutte se développera, ce fait deviendra de plus en plus clair, tout comme les divisions de classe au sein de la population. La tâche des révolutionnaires n’est pas de rester sur le bas-côté et d’expliquer que ça « pourrait mal tourner si nous perdons », mais plutôt d’expliquer comment vaincre dans cette bataille ! Nous devons participer au mouvement et expliquer patiemment que c’est seulement en prenant le pouvoir entre ses mains que le peuple peut atteindre ses modestes objectifs.