[dropcap]E[/dropcap]n Macédoine depuis le 12 avril, des milliers de citoyens manifestent chaque soir dans les rues de Skopje contre l’amnistie accordée par le président du pays à une cinquantaine de personnalités politiques impliquées dans le scandale d’écoutes illégales. Malgré la décision du président de retirer l’amnistie suite à l’énorme mobilisation de la population, les manifestations continuent.

Depuis au moins 70 jours des manifestations massives ont lieu dans plusieurs villes de la Macédoine. La jeunesse, les travailleuses et travailleurs de tout âge, les précaires, les retraités se mobilisent quotidiennement.

L’échec de la politique économique néolibérale
Depuis 2006 la Macédoine est gouverné par le VMRO-DPMNE un parti nationaliste conservateur, avec un premier ministre très libéral qui a voulu attirer des investisseurs étrangers à coups de dumping fiscal et social. La propagande du parti affirmait que ces investissements ont permis l’ouverture d’usines qui aurait permis des embauches massives. Mais la réalité des faits montre que ces nouveaux emplois sont très pénibles pour les travailleurs qui travaillent pour un salaire minimum légal de 150 euros, dans des conditions insupportables, toujours sous pression, et sans aucune possibilité de liberté syndicale car le principal syndicat du pays est contrôlé par le gouvernement. Les conditions des travailleurs-euses s’empirent continuellement et chaque plainte contre le non-respect de leurs droits (comme le défaut de payement des salaires et des primes) se traduit en une menace de licenciement de la part des employeurs.

En plus de ça le parti au pouvoir s’est engagé dans une inquiétante dérive autoritaire. Les principaux médias d’opposition ont été fermés et, au sein des institutions, un système de contrôle s’est développé pour s’assurer de la loyauté des employés de l’Etat. Le clientélisme et la corruption sont très présents. Une petite couche de bureaucrates privilégiés gouverne l’économie.

Le scandale des écoutes illégales
L’élément qui a fait exploser la rage du peuple est une publication en février 2015 de la part du chef du principal parti d’opposition, l’Alliance sociale-démocrate de Macédoine (SDSM), qui a dénoncé un vaste système d’écoutes téléphoniques instauré par le premier ministre lui-même et visant plus de 20’000 citoyens : opposants, journalistes, policiers, diplomates, juges, mais aussi membres du gouvernement. Depuis, le pays s’est enfoncé dans une crise politique sans fin, marquée par des manifestations régulières dans les rues de Skopje.  Au printemps 2015, des milliers de personnes ont campé devant le siège du gouvernement pour demander la démission du premier ministre et de son équipe.

L’Accord de Prizino
Après des mois de blocage, et avec la négociation de l’UE, un protocole d’accord a finalement été signé le 15 juillet entre les quatre principaux partis du pays. L’accord prévoyait la formation d’un gouvernement technique chargé de poursuivre les réformes afin de mettre à jour les listes électorales pour l’organisation d’un nouveau scrutin législatif. De plus, un procureur public spécial a été nommé pour enquêter sur les abus de pouvoir du gouvernement conservateur. Cet accord, fortement voulu par l’UE pour résoudre la crise politique et pour indirectement étouffer le mouvement de protestation, s’est révélé être insuffisant. La négociation des 4 principaux partis du pays ne représentaient pas le mouvement de protestation qui demandait des vrais changements politiques, mais les intérêts des élites au pouvoir et de l’opposition social-démocrate (autant corrompue). Notamment le parti socio-démocrate a essayé de monopoliser le mouvement populaire pour pouvoir accéder au pouvoir. En outre l’accord n’as pas été respecté par le parti au pouvoir, qui a essayé de bloquer le travail du procureur spécial en lui faisant subir des pressions, des intimidations et des tentatives de délégitimer son enquête. Les élections devaient en principe se dérouler le 5 juin, mais l’opposition a refusé de participer au scrutin.

L’amnistie
La crise s’est amplifiée le 12 avril avec l’amnistie accordée par le président à plus de cinquante personnes — dont les plus proches collaborateurs du premier ministre — soupçonnées d’avoir participé à l’affaire d’écoutes et de corruption. La décision du Président (qui est membre du parti conservateur) a complètement bafoué le travail du procureur spécial et l’espoir du peuple d’obtenir justice. Depuis, des milliers de citoyens manifestent contre cette décision, demandent la démission du président et la fin du régime dictatorial et répressif. Les manifestations ont donné naissance à un mouvement de masse qui s’est très rapidement diffusé depuis la capitale vers les autres villes du pays. Une semaine après le début des manifestations, ont commencé les arrestations et parmi les emprisonnés, on trouve plusieurs militants-es de gauche accusé-es d’avoir attaqué et mis le feu au bureau présidentiel le 13 avril.

La stratégie du gouvernement est basée sur la criminalisation des manifestant-es en particulier des militant-es de gauche.  Les manifestations sont spontanées, elles sont organisées par des gens ordinaires, parmi les militant-es.  Toute nationalité est bienvenue. Il y a des Macédoniens, des Albanais, des Serbes, des Turcs – les divisions voulues par les partis nationalistes au pouvoir ne se manifestent pas. Ceci permet aux classes laborieuses de s’unir contre l’ennemi commun : l’élite bourgeoise au pouvoir, car la répression et la corruption du régime touchent tous-tes les travailleurs-euses sans aucune distinction ethnique. Dans la mobilisation, il y a deux organisations de gauche « Solidarnost » et « « Levica » qui ont eu un rôle important. Solidarnost a déjà auparavant été très active sur le terrain, dans les manifestations, dans le soutien des travailleurs et de leur luttes, dans les luttes étudiants et auprès des réfugié-es.

La révolution colorée
Les manifestants-es ont obtenu une victoire partielle mais importante, le 6 juin le président a retiré sa décision d’amnistie. Cependant les manifestations continuent et vivent une nouvelle phase, les militants-tes demandent la démission du président et la fin du régime. Le mouvement a pris le nom de « Révolution colorée » car les militant-es jettent de la peinture sur les bâtiments et monuments publiques construit dans le projet Skopje 2014 qui a transformé le centre de la capitale en une galerie de statue qui devraient représenter le « glorieux passé » de la Macédoine. Cette campagne ultranationaliste se moque doublement des classes laborieuses car, dans une situation de chômage et pauvreté élevés, le gouvernement donne la priorité à des politiques réactionnaires, qui, de plus,  divisent les classes travailleuses sur des bases ethniques (les minorités ethniques du pays ne sont pratiquement pas représentées dans les statues). L’unité de la classe travailleuse c’est la seule réponse à la politique nationaliste.

Levica
En Macédoine n’existait pas de parti ouvrier de masse. Le parti social-démocrate, le principal parti d’opposition, depuis 25 ans promeut des idées libérales et a participé à la privatisation massive des entreprises. celle-ci avait entraîné l’explosion du chômage, la paupérisation des travailleurs-euses et une polarisation des richesses permettant l’émergence d’une classe capitaliste extrêmement riche. Ce parti a un programme bourgeois et libéral qui ne représente pas une vrai alternative au parti conservateur et à l’élite bourgeoise au pouvoir. La fin du règne des politiciens corrompus et impliqués dans les activités criminelles ne peut pas être atteinte dans un système capitaliste. C’est pour cela  qu’un groupe d’activistes et des militants-es impliqués-ées dans les manifestations et ceux qui faisaient parti des organisations marxistes ont créé un nouveau parti politique : Levica. Ensuite les leaders de certains syndicats et des activistes antinationalistes et anticapitalistes ont rejoint le parti.

Levica est le premier essai de former un parti ouvrier de masse dans le pays, il se revendique du socialisme, se déclare anticapitaliste, défend fortement les droits des travailleurs-euses et veut la fin du dumping fiscal et social qui profite aux élites les plus riches. Ce parti se bat contre le nationalisme et la division sur base ethnique qui avait affaibli et empoisonné la classe travailleuse en la détournant du vrai problème du pays : la paupérisation de la classe ouvrière au profit d’une élite corrompue et criminelle. De plus, Levica, contrairement aux autres partis, n’a pas le support financiers de l’élite bourgeoise. On s’attend à ce que Levica rentre au parlement lors des prochaines élections parlementaires en Macédoine et donc à ce que la classe travailleuse ait pour la première fois ses représentants. Les marxistes en Macédoine ont un rôle très important, ils doivent s’assurer que le nouveau parti devienne une véritable alternative révolutionnaire au système actuel.

Martin Malinovski
ASEMA Genève