Le « Brexit » – soit la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne – a déclenché un véritable séisme politique et économique. Néanmoins, en vue de l’accentuation continue de la crise, il convient de s’interroger tant sur la campagne du « Brexit » elle-même que sur ses conséquences, afin d’en tirer des conclusions sur le futur de l’Union et son immense instabilité.

En fin de juin de cette année, le premier ministre David Cameron se voyait politiquement tenu de proposer un référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (« Brexit ») respectant ainsi ses promesses électorales de 2015.

La question de la participation à l’Union soulève une première observation, renvoyant parfaitement au cas suisse : pour un État capitaliste peu importe d’être membre ou non d’une Union européenne capitaliste car les résultats sont les mêmes, soit l’austérité, la précarité et l’endossement des coûts de la crise par la classe ouvrière.

Au sein de l’Union, l’austérité est juridiquement contraignante et codifiée par les « critères de Maastricht » qui obligent les Etats membres à prendre des mesures afin d’aligner leurs dépenses étatiques par rapport à leur PIB. Le recours à cet indicateur bourgeois donne une assise idéologique aux mesures d’austérité et légitime les coupes au détriment de la population.

En Grande-Bretagne, l’austérité européenne a mené à une nouvelle vague de privatisations et ainsi permettre à des entreprises privées de tirer du profit d’une prestation à l’origine publique, et ce dans différents domaines tels que la formation, la construction publique, la santé et les allocations sociales. Actuellement, la quasi-totalité des États membres adopte des mesures d’austérité découlant directement de la politique budgétaire de l’Union. Les événements actuels en Grèce en sont l’exemple parfait. Il paraît ainsi évident que l’austérité ne constitue pas un choix politique, mais plutôt une nécessité capitaliste en phase de crise accentuée.

Cependant, il ne faut pas attendre le moindre changement à ce sujet suite au « Brexit ». En effet, George Osborne, ministre des finances et donc responsable direct des coupes budgétaires des six dernières années, annonçait de grandes vagues d’austérité en cas de sortie de l’Union. Ces déclarations n’étaient pas propre au camp pro-européen ou des menaces en l’air. Le film de campagne du out « Brexit – The Movie », lui-aussi, prônait la dérégulation économique et la fin de toute intervention étatique comme solution économique à la crise, allant même, sans surprise, à présenter la Suisse comme un exemple à imiter.

Toutefois, le poison xénophobe, diffusé par le UKIP, est d’une dangerosité importante car il a un double effet. D’un côté il crée un concept populiste attirant pour des opportunistes réactionnaires comme Boris Johnson, sans pour autant qu’ils soient fondamentalement racistes. De l’autre côté il détourne l’attention des travailleuses et travailleurs en prétendant que l’immigration se trouve à l’origine de la dégradation de leurs conditions de vie. Ainsi, la xénophobie incarne la division de la classe ouvrière. À cela s’ajoute la croyance erronée des nationalistes à pouvoir freiner des flux migratoires constitués de personnes dont la vie est menacée par des murs légalistes.

Il convient également de s’interroger sur les motivations des votants pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. D’un côté, le vote des jeunes, à 65% pour le remain, inspire l’espoir car il incarne le vif rejet de la campagne xénophobe parmi la jeune génération. Néanmoins, de l’autre côté, encouragé par un grand travail de reproduction historiographique bourgeoise mené par les soi-disant savant-e-s et les médias, l’Union européenne est toujours perçue comme « projet de paix » progressif. La deuxième partie de l’article ci-présent essaiera d’entrer en matière par rapport à cette argumentation.

Au final, la bourgeoisie anti-Union européennes a réussi à regagner « sa souveraineté face à la bureaucratie bruxelloise », argument principal de la campagne. Pourtant, il faut constater que cette « indépendance » ne signifie rien d’autre que la possibilité pour la bourgeoisie britannique de régler ses affaires sans être contrainte par le cadre légal de l’Union. Au vue du comportement des capitalistes partout dans le monde après l’éclatement de la crise, il n’est pas difficile de prédire que l’instabilité des bourses, des taux de change et des importations britanniques résultant du out sera avant tout répercutée sur la population civile. Dans les deux prochaines années (le délai est prolongeable), le nouveau gouvernement britannique négociera ses relations futures avec l’Union en prenant en considération le degré de la mondialisation de l’économie, c’est cet accord qui donnera un bilan de la nouvelle souveraineté nationaliste.

Les capitalistes britanniques font donc désormais face au manque d’un parti fiable pour implémenter les politiques d’austérité qu’exige le système de profit. La division des Tories, tant le rapprochement de son aile droite avec le UKIP qu’entre ses modérés et l’aile droite du Labour, découle de cette situation et montre, qu’à terme, des changements importants sont à prévoir pour le système politique britannique.

Les derniers évènements démontrent que la bourgeoisie britannique est particulièrement consciente de ce danger. Le bloc parlementaire bourgeois du Labour demandait le retrait de Jeremy Corbyn de la présidence, ignorant ainsi 60% de la base du parti. Sa fermeté face à cette arrogance ainsi que l’adhésion de 200›000 (!) nouveaux membres en quelques mois suite au virage à gauche du parti sont des signes clairs : la lutte des classes s’annonce également en Grande-Bretagne.

Comment l’Union essaie de contrer la crise ?
Ayant perçu l’intégration européenne dans le cadre de l’Union comme possibilité de dépasser les limites des marchés nationaux, les capitalistes européens étaient pendant longtemps prêts à déléguer une grande partie des moyens politiques et juridiques à une Union en intégration sectorielle continue, ainsi capable de garantir des rentabilités croissantes. Ceci peut fonctionner pendant une période de croissance continue. Pourtant, une crise économique accentuée met immédiatement en péril cette balance, et fait ressurgir les contradictions entre les différentes bourgeoisies nationales.

Les évènements des derniers mois soutiennent clairement cette hypothèse. Au Pays-Bas on a pu observer un Etat fondateur refuser le rapprochement juridique d’un pays voisin (refus de ratifier l’accord d’association avec l’Ukraine), s’opposant ainsi au principe de l’intégration continue. Cet accord d’association se définit par son caractère profondément impérialiste voulant intégrer l’Ukraine dans le marché interne sans lui offrir une véritable perspective d’adhésion. Ce texte contient deux spécificités qu’il semble intéressant de relever. Premièrement, pour la première fois, un accord entre l’Union et un Etat tiers contient une clause touchant à la politique budgétaire, celle-ci obligeant l’Ukraine à mettre en place une politique budgétaire « sur la base des normes internationales ». On peut donc parler d’une véritable implémentation de l’austérité européenne hors de ses propres frontières. Deuxièmement, et c’est probablement dans ce domaine-ci que l’Union a les plus grandes ambitions en Ukraine, l’accord ouvre les portes aux multinationales agricoles. Ainsi, dans les dernières années, c’est plus d’un million et demi d’hectares de terres ukrainiennes qui sont devenues propriétés de grandes entreprises étrangères agro-alimentaires. De plus (et voici un petit clin d’œil aux admirateurs et admiratrices de l’Union, grande défenseuse des droits environnementaux), une disposition précise encourage l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, notamment interdits tant dans l’UE qu’en Ukraine.

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie est également à compter est lui-aussi emblématique. Légalisant la déportation forcée de réfugié-e-s vers la Turquie, alors en proie à une véritable guerre civile, cet accord ridiculise l’Union et ses grands principes humanitaires et révèle son visage le plus sombre.

N’ayant aucun intérêt à assister à un changement de système, la bourgeoisie européenne s’efforce donc convulsivement à rétablir son ancienne stabilité. L’austérité en est une expression, tout comme le refus d’accueillir des réfugiés en Europe et ainsi leur sauver la vie, l’ouverture des portes ukrainiennes aux OGM en Ukraine et la détérioration des droits des travailleuses et travailleur. L’Union européenne n’est, sans doute, plus capable de poursuivre ses objectifs sans s’attaquer frontalement aux masses.

Le Brexit et la lutte des classes
En conclusion, il est extrêmement important de distinguer idéologie et intérêt. Il n’est pas faux de blâmer l’Union comme néolibérale (en effet, elle l’est) ou le UKIP comme radicalement xénophobe (ce qu’il est sans doute), mais cette analyse est bien trop simpliste et peu constructive. Indépendamment du moyen appliqué, les intérêts de la classe dominante, maintien des profits et accumulation du capital, demeurent les mêmes. Au final, la lutte des classes est une lutte des intérêts, et notre tâche, nous, en tant que marxistes de fournir les analyses nécessaires à la compréhension des enjeux actuels. Dénoncer le caractère fortement réactionnaire des deux camps du « Brexit » se révèle très proche des positions de la classe ouvrière.  Nos camarades britanniques l’ont formulé de la manière suivante : « Présenter le out comme un vote progressiste, c›est ignorer entièrement la véritable nature de la campagne pro « Brexit ». D›autre part, présenter le maintien comme un vote en faveur des migrants et du droit des travailleurs revient à nier les attaques répétées à l›encontre des migrants et la destruction des droits des travailleurs à l›œuvre dans toute l›Europe, y compris en Grande-Bretagne, sous l›œil bien veillant de l›Union européenne et ses institutions. Aucune de ces options ne peut être endossée par les socialistes.». Conséquemment, le fait que le vote sur le référendum ne s’est pas fait le long des frontières de classe indique clairement que le « Brexit » ne constitue qu’une étape intermédiaire. Dans l’avenir proche, la classe ouvrière britannique se sentira inévitablement menacée dans ses conditions de vie par la nouvelle politique d’austérité du futur gouvernement nationaliste et cherchera à nouveau des réponses. La pseudo-solution du « Brexit » ne le sera plus. Nous nous y préparons.

Dersu Heri Bezençon
Comité JS Genève