Nous étions aux alentours de 70 000, le 12 avril dernier, à participer à la « marche contre l’austérité » organisée par le Front de gauche, le NPA et de nombreuses associations et structures syndicales. C’est un chiffre nettement plus important que lors de la précédente manifestation du Front de gauche, le 1er décembre 2013.

 

Ce fait s’explique dans une large mesure par la participation, cette fois-ci, de milliers de militants syndicaux – ou de travailleurs défilant sous bannière syndicale. Ils étaient bien plus nombreux que le 1er décembre dernier. La CGT, Sud et la FSU avaient d’importants cortèges. C’est une excellente chose, qui rappelait les grands meetings et mobilisations du Front de gauche pendant la campagne électorale de 2012. Plusieurs associations avaient également bien mobilisé.

Notons qu’il y avait très peu de militants d’Europe-Ecologie-Les-Verts, ce qui conforte notre position à ce sujet : au lieu de rechercher sans cesse des alliances électoralistes avec les Verts, la direction du Front de gauche doit se tourner résolument vers la masse des travailleurs et des syndicalistes – qui étaient dans la manif, eux.

Lepaon sème la confusion

La participation des militants syndicaux à cette manifestation n’avait pas le soutien de Thierry Lepaon, secrétaire confédéral de la CGT. Quelques jours avant le 12 avril, il déclarait : « Je me mets à la place des gens qui vont regarder la télévision le soir du 12 avril, qui vont voir des banderoles et des drapeaux CGT dans le cortège et qui auront entendu Thierry Lepaon sur RTL ou vu sur France 2 dire : “la CGT n’appelle pas à la manifestation”. Je pense qu’on ajoute à la confusion et que des camarades se réfugient derrière le syndicat, la CGT, pour ne pas s’engager politiquement. »

En réalité, la confusion est uniquement dans la tête du camarade Lepaon. L’opposition entre syndicalisme et politique est une aberration et une hypocrisie. Il n’y aura pas de solution « syndicale » à la crise du capitalisme. En conséquence, les dirigeants qui résistent à la mobilisation politique de leurs syndicats contre le capitalisme et ses conséquences font le jeu du gouvernement « socialiste » et de ses maîtres : la classe capitaliste. Ils cachent leur propre réformisme impuissant – qui est une position politique – derrière l’écran de fumée de « l’autonomie syndicale ».

La déclaration ci-dessus du chef de la CGT doit être liée à une autre de ses déclarations, en mars 2013, dans une interview accordée au Nouvel Economiste : « il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés. Ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté ». N’est-ce pas une idée incroyable, à l’heure où le patronat licencie massivement et renforce l’exploitation des salariés, dans le seul but de sauvegarder ses marges de profit ? La collaboration de classe : tel est le fondement de la prétendue « autonomie syndicale » que défend Lepaon.

Les mots d’ordre

Heureusement, de nombreux militants ont ignoré les consignes de Lepaon et ont déployé le drapeau de la CGT sur la manifestation du 12 avril. Encore une fois, cette politisation du mouvement syndical est un phénomène très positif et qui va d’ailleurs se développer, à l’avenir. La crise du capitalisme condamne l’action strictement « syndicale » à des luttes défensives qui, au mieux, limitent la casse. La nécessité d’une solution politique – qui vise à en finir avec les causes de la crise et de la régression sociale – va faire son chemin dans l’esprit d’un nombre sans cesse croissant de syndicalistes.

Mais c’est ici que le bât blesse, du côté du Front de gauche. Les mots d’ordre de la manifestation du 12 avril avaient souvent un caractère confus et abstrait. Par exemple : « Pour l’égalité et le partage des richesses ». Or les travailleurs « partagent » déjà les richesses qu’ils créent avec les capitalistes. Ou plutôt, forts de leur contrôle des moyens de production, les capitalistes s’approprient une large fraction des richesses créées par les salariés. Faut-il simplement mieux partager les richesses, c’est-à-dire demander aux exploiteurs de moins nous exploiter ? On connaît leur réponse : « impossible ! Il y va de nos profits : s’ils baissent, on fermera nos entreprises – ou on les délocalisera. Et du fait de la crise, il nous faut accroître l’exploitation des salariés, baisser les salaires, remettre en cause les acquis sociaux, etc. ». Quant à « l’égalité » entre exploiteurs et exploités, elle est impossible, par définition. C’est un vœu pieux, sous le capitalisme.

Il manquait, sur cette manifestation, des mots d’ordre qui s’attaquent à la racine de la crise et de l’exploitation : la propriété capitaliste des grands leviers de l’économie. Nous devons apporter une réponse claire, sous la forme d’un programme de rupture avec le système capitaliste, aux aspirations politiques qui montent dans le mouvement syndical et, au-delà, dans la masse des travailleurs. Les élections européennes sont l’occasion de lancer une grande campagne pour la nationalisation du secteur bancaire, par exemple. Cela rencontrerait un large écho parmi les millions de jeunes et de salariés qui cherchent une alternative au capitalisme en crise.

Jérôme Métellus
PCF Paris