[dropcap]N[/dropcap]on, l’année 2017 ne sera pas moins excitante que celle de 2016, et ce notamment grâce aux élections en France. Normalement, le Parti Socialiste (PS) et la droite traditionnelle s’y affrontent au deuxième tour. Mais cette normalité se brise aujourd’hui. Pour les partis traditionnels, cette élection risque de devenir un tremblement de terre dévastateur.

Les 18 derniers mois ont été un véritable tourbillon d’expériences politiques pour le peuple de France. Ces expériences entrent maintenant en jeu dans l’ambiance avant la campagne électorale. Mais pour comprendre pourquoi ces événements se sont autant intensifiés en France, il faut jeter un regard sur l’évolution de la position de la France en Europe.

Une lente descente

Le développement de la France lors des deux dernières décennies a d’un côté été marqué par une désindustrialisation rapide et de l’autre par une défense opiniâtre des conditions de travail. Ce processus a créé des tensions. La France héberge la deuxième plus grande économie de l’Europe. Celle-ci se trouve en concurrence directe avec celle de l’Allemagne, et cette relation est marquée par la perte progressive de la position avantageuse de la France.

Le fait que le mouvement ouvrier ait inébranlablement défendu ses acquis a rendu impossible pour les capitalistes français – par rapport aux Allemands – d’améliorer les conditions d’exploitation à travers des réductions de salaire, des temps de travail plus longs et l’intensification du travail.

Quelques chiffres : Les employé-e-s à temps plein en France travaillent chaque année 1’661 heures, et les Allemands 1’847. Cela fait plus de deux heures et demie de moins par semaine, et 200 heures de moins par an !

Simultanément, 1.9 million d’emplois ont été supprimés dans l’industrie en France entre 1980 et 2007. Cela correspond à un tiers des emplois dans la production. Mais en faisant ainsi, les capitalistes en France n’ont pas modernisé leur appareil de production : dans la période de 1995 à 2012, les investissements dans l’industrie – dans les machines, les usines, etc. – ont augmenté de 40% en Allemagne, alors qu’au-delà du Rhin, seulement 5% de plus ont été investi. Cela permet inévitablement à l’industrie allemande de produire plus rentablement. Au cours de la même période, la rentabilité des exportations allemandes a augmenté de 15%, alors qu’elle a diminué de la même proportion en France.

Ce sont ces changements qui expliquent pourquoi, aujourd’hui, l’Allemagne peut présenter un excédent annuel d’exportation de € 252,9 milliards, tandis que la France importe € 48,1 milliards de plus qu’elle n’exporte ; surtout parce que ces deux économies sont partiellement en concurrence directe (par exemple, dans le secteur automobile). Ces chiffres montrent clairement que l’économie allemande est très bien située, contrairement à celle de la France qui est à la traîne. Le changement dans l’équilibre économique conduit finalement à un équilibre politique modifié. Dans la crise grecque, il a clairement été démontré qui est réellement en charge.

Une expérience douloureuse

Le « socialiste » Hollande a été confronté à ces problèmes quand il a pris sa fonction en 2012. À ceci s’ajoutait encore les trois millions de chômeurs (pour un taux de 10%). Ses promesses étaient claires : la lutte contre l’élite financière et l’introduction d’un impôt sur la fortune. Afin de réaliser ces promesses il aurait dû frontalement attaquer les intérêts des capitalistes. Mais il a toujours évité le sujet. Déjà, dans sa première année de mandat, le côté vers lequel il se tournait devenait évident : le côté des capitalistes. Au cours des deux premières années ont eu lieu des mesures de libéralisation à un rythme lent, pendant que la situation sociale se détériorait. En 2015, la motion de censure contre l’imposition de la réforme dite « Loi Macron » – nommée d’après le nouveau ministre de l’Économie – (libéralisation des horaires d’ouverture des magasins, moins de protection pour les délégués syndicaux, etc.), a été rejetée par le Parlement suite à un vote de confiance.

Pour les capitalistes, cette politique a été un succès. Depuis 2012, les coûts salariaux (par heure de travail) ont augmenté dans l’industrie française seulement de 4,8%; près de la moitié de l’augmentation en Allemagne (9,3%). Mais la main-d’œuvre française ressentait ce déclin de première main. La température sociale augmentait, mais il n’y avait que des grèves isolées, bien que militantes. En automne 2015, un incident impliquant Air France a montré la véritable humeur sociale. Lorsque la direction de la compagnie aérienne a décidé de licencier près de 3000 employés, le personnel a entouré les bâtiments de réunion. Un dirigeant d’entreprise en a réchappé avec une chemise complètement déchirée. Cette chemise est devenue le symbole de la colère contre la politique du gouvernement.

La terreur comme moyen 

Les horribles attentats terroristes de novembre 2016 ont étouffé cette vague de protestations. Le gouvernement a ravivé avec succès l’unité nationale et les syndicats ont annulé toutes les manifestations prévues pour la durée de l’état d’urgence. La loi d’urgence a été régulièrement renouvelée, avec notamment des voix du PC et presque toutes celles des parlementaires du PS.

Le gouvernement se sentait à nouveau en sécurité. Dans cette situation, le ministre de l’Économie Macron et le premier ministre Valls estimèrent que le temps était mûr pour leur plus grande attaque sur les syndicats et la semaine de travail. Ils ont lancé la réforme du marché du travail, nommée d’après la ministre du travail, El Khomri. Ce fut une erreur de calcul grave.

Une résistance rapide se forma. La jeunesse a emporté avec elle une partie de la classe ouvrière et a ainsi obligé les syndicats à organiser des journées de protestations. Cela a mené à des manifestations de plus d’un million de participants. Finalement, malgré cette énorme résistance, la loi a tout de même été imposée à travers un vote de confiance au Parlement. La direction du syndicat traître ne voulait pas se lancer dans une lutte décisive pour le pouvoir contre le gouvernement et a laissé crever le mouvement.

Mais cet épisode a enseigné aux jeunes et à une partie de la population active certaines leçons : premièrement, ça a permis à une nouvelle génération, qui ne connaissait que la régression sociale dans leur vie politique active, de recueillir les premières expériences importantes de lutte. Deuxièmement, le mouvement a temporairement mis KO le Front National (FN), car plus de 70% de son électorat soutenaient le mouvement. Ses dirigeants étaient forcés de se taire. Cela a ouvertement démontré les contradictions au sein de l’électorat du FN.

Une longue campagne

C’est seulement en automne 2016 que la bourgeoisie reprit confiance en elle. Le paysage médiatique utilisa consciemment le FN et son discours cynique de soi-disant « lutte culturelle » pour replacer le débat public sur le terrain de l’« identité nationale » et de l’islamophobie.

Comme en Grèce et en Espagne, l’attention des salariés est maintenant axée sur l’arène politique. Après une longue période de luttes sociales et industrielles infructueuses, la classe ouvrière grecque a misé en début 2015 sur SYRIZA. En Espagne, le parti PODEMOS s’est développé après deux années de manifestations inlassables. Ce phénomène est confirmé par l’augmentation des inscriptions sur les listes électorales (pour pouvoir voter), qui ont fortement augmenté dans toute la France (de plus de 10% dans certains districts).

Ainsi augmente l’imprévisibilité de cette campagne électorale. Certains sondages annoncent les candidats Macron et Le Pen comme gagnants clairs du premier tour de scrutin. D’autres sondages donnent aux quatre candidats – Fillon (républicain), Macron, Le Pen et Mélenchon (voir ci-dessous) – des taux de soutien entre 22,3% et 18% chacun-e. Mais comme le Brexit et l’élection de Trump l’ont montré, la seule base commune des sondages se trouve dans le fait qu’ils ne permettent pas de prédictions sûres.

Un éléphant brun

Le FN domine la campagne électorale. Principalement, il bénéficie du discrédit de tous les partis et de leur incapacité à faire quoi que ce soit contre la dégradation sociale. Ceci explique le record observé lors des élections régionales de 2015 : 6,8 millions votes (27%) pour le FN. Avec un tel résultat, leur participation au deuxième leur serait garantie. Serait! Car bien que cela soit un sérieux avertissement, c’est encore le taux d’abstention qui représente le plus grand «parti» : 73% des jeunes, 65% des « travailleurs-euses » et 68% des « employé-e-s » ne votent pas. Cela réduit environ le soutien au FN de 40% à 13% et chez les 18 à 30 ans de 30% à 8%. Ceci est loin d’être « l’ancrage massif » qui proclament les médias.

En outre, le FN n’est pas épargné par les contradictions internes. Pendant la campagne, le parti suit deux stratégies partiellement contradictoires. Dans le nord du pays, un populisme anti-establishment est appliqué afin de convaincre l’ancien électorat du PS. Pour ce faire, des revendications réactionnaires (comme l’interdiction de l’avortement) doivent être abandonnées. Dans le sud, cependant, le FN se base sur un électorat plus à droite, réactionnaire et catholique. Cette contradiction est au cœur de la lutte pour le pouvoir entre Marine et sa nièce – plus proche de l’extrême-droite – Marion Maréchal-Le Pen. À cela s’ajoute encore le scandale du détournement de fonds de Marine Le Pen. Le Parlement européen affirme qu’elle a payé les salaires de son équipe de campagne (300.000 €) avec l’argent prévu pour ses employé-e-s personnels.

France insoumise

À gauche, on observe une alternative claire se formant autour de Jean-Luc Mélenchon. Il s’agit d’un début de radicalisation accentuée. En 2012, il était déjà candidat à la présidence, organisait des meetings avec plus de 100.000 personnes et atteignait au final un résultat respectable (11% des voix).

Pour 2017, il a fondé le mouvement « France insoumise ». Son programme est celui d’un réformiste de gauche, qui a pris soin de tirer les conclusions de l’échec de SYRIZA et, pourtant, n’arrive pas à dépasser le nationalisme de gauche. Mais le potentiel de son mouvement est beaucoup plus visible à travers sa croissance explosive qu’à travers son programme : 200.000 partisan-e-s enregistré-e-s en ligne. Au sein d’une certaine couche de travailleurs-euses et de jeunes radicalisés, on entend parfois une approche binaire : « soit tu soutiens Mélenchon, soit tu défends le régime corrompu ».

La perte de confiance dans les institutions bourgeoises de France n’a jamais été aussi élevée qu’après l’expérience de Hollande. Aucun des candidats n’est capable de stabiliser la République en crise. La campagne électorale sera chaude ; cependant, le refroidissement n’aura pas lieu.

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Les candidats et leurs scandales

François Fillon – Les Républicains

Grâce à l’ex-président Sarkozy et sa campagne corrompue, l’UMP a changé son nom – mais la politique est restée la même. Fillon se présentait comme « Monsieur Limpide » et comme un libéral clair. Son objectif : licencier 500.000 fonctionnaires. Mais depuis que ses allégations de corruption ont été rendues publiques en début février, sa candidature est dans les limbes. Il est prétendu que Fillon a versé, au cours des 20 dernières années, plus de 900.000 € de fonds publics à sa famille. Il affirme que tout était légal. Les circonstances parlent contre lui.

 

Emmanuel Macron

L’ex-ministre de l’Économie de Hollande n’a jamais été membre d’un parti ; mais il était partenaire de la banque d’investissement Rothschild. Il se rémunérait lui-même. Un exemple : il s’est versé 2 millions d’euros lorsqu’il a acheté la division de lait en poudre de Pfizer pour Nestlé pour 9 milliards d’euros. En 2016, il a fondé son parti « En Marche » – et ce, selon certains médias, avec l’aide de 120’00 d’euros puisés sur sa note de frais ministérielle. Il bénéficie du soutien de nombreux capitalistes dominant également les monopoles médiatiques, ce qui garantit à sa campagne artificielle et stérile une couverture ininterrompue.

 

Benoit Hamon

Le candidat du PS – il critique verbalement le gouvernement alors qu’il les soutenait au parlement – constitue, avec son programme légèrement de « gauche », la seule chance pour le PSF de défendre sa raison d’être. Hollande jouissait en novembre dernier du soutien de 11% des Français-es. Le fait que sa popularité ait augmenté de 14% après sa décision de ne pas se représenter aux élections en dit long. Par la formule enflée du « rassemblement à gauche », Benoît Hamon (?) tente de faire pression sur Mélenchon. Dans le même temps, il défend les candidatures aux élections parlementaires de tous-tes les ministres « socialistes » de droite (El Khomri et Valls inclus).

 

Caspar Oertli
JUSO Zurich