Au cours de plusieurs décennies, par la création et l’extension progressive de l’Union Européenne, les grands groupes capitalistes se sont efforcés de mieux asseoir leur position dominante et atténuer les contradictions du système. L’Union Européenne devait être un havre de « stabilité » et de « croissance ». Mais depuis 2008, surtout, elle s’enlise au contraire dans le déclin économique et l’instabilité sociale.

 

La monnaie unique et la suppression des barrières douanières ne pouvaient pas abolir la rivalité entre les Etats nationaux capitalistes. La croissance exponentielle du volume du crédit, injectant des masses monétaires colossales dans les circuits économiques, a augmenté artificiellement la demande et la production, mais elle ne pouvait pas indéfiniment éviter la saturation des marchés. Enfin, la restauration du capitalisme en URSS, en Chine, etc., qui ouvrait de vastes champs d’investissement et de nouvelles sources de profit aux capitalistes européens, ne pouvait pas porter la croissance de l’économie européenne au-delà de certaines limites. La Chine est devenue une puissance économique redoutable dont la pénétration des marchés internationaux ne peut se faire qu’au détriment des puissances occidentales. Ainsi, un facteur qui semblait apporter un énorme avantage au capitalisme occidental s’est transformé en son contraire.

Pour l’économie mondiale et pour l’Europe en particulier, l’année 2008 a marqué un tournant. Depuis cette date, nous nous trouvons non seulement dans une grave crise de surproduction en Europe, mais aussi dans une crise de « surproduction » de crédit et de surendettement massif des Etats. L’endettement de la plupart des Etats est hors de contrôle. Autrement dit, il ne sera pas possible de résoudre ce problème par les méthodes « classiques » telles que l’augmentation des recettes fiscales et la contraction des dépenses. Le problème a pris une ampleur telle que pour ne serait-ce que freiner la croissance de la dette – sans parler de la réduire – il faudrait accepter une destruction des moyens de production à une échelle sans précédent historique et une offensive implacable et permanente contre toutes les conquêtes sociales de la classe ouvrière européenne.

C’est une option qui plongerait tous les pays du continent dans une récession économique profonde et durable. Sur le plan social, elle préparerait les bases d’une révolution internationale. Les gouvernements et les capitalistes sont paralysés par la crainte de cette perspective. Ils n’osent pas prendre le taureau par les cornes. Ainsi, le niveau d’endettement de tous les Etats européens augmente massivement d’année en année, alors que l’industrie, l’agriculture et l’activité commerciale se contractent. Les revenus des ménages sont en baisse et le chômage atteint partout des proportions énormes. Dans ces conditions, quelles que soient les particularités des politiques gouvernementales, le capitalisme signifie nécessairement, pour la masse de la population de chaque pays, une régression sociale permanente. La crise économique actuelle n’est donc pas simplement une crise « cyclique ». C’est une manifestation de l’épuisement et de la décadence du régime capitaliste.

L’Allemagne et la France

L’Italie, l’Espagne – et surtout la Grèce – sont en récession. La croissance du PIB français tourne autour de zéro depuis des années. L’Italie a perdu près de 10 % de son PIB depuis 2008. La Grèce en a perdu 25 %. Partout se manifestent les signes d’une décomposition sociale et culturelle. L’exacerbation des tensions entre les Etats et entre les classes sociales est une expression de l’incompatibilité du capitalisme avec l’exploitation des forces de production existantes.

L’Allemagne est de loin la plus forte des puissances européennes. Elle domine l’Union Européenne économiquement et politiquement. En éliminant les fluctuations des monnaies nationales, l’introduction de la monnaie unique a surtout profité aux entreprises et aux banques les plus puissantes – et donc surtout au capitalisme allemand. Mais l’Allemagne a été, elle aussi, durement touchée par la crise. Cependant, le capitalisme allemand s’approche lui aussi de l’abîme, à la fois socialement et économiquement. L’économie allemande est inextricablement liée à celle des autres pays du continent. La contraction des économies de la France, de l’Espagne, de l’Italie, etc., réduisent d’autant leur capacité d’absorption des exportations allemandes, qui représentaient, en 2012, non moins de 44 % de son PIB. L’Allemagne n’a pu défendre ses positions en Europe et dans le monde que sur la base d’une réduction draconienne des droits et des conditions de vie des travailleurs allemands. Dans le contexte d’une crise de surproduction, chaque gain pour l’Allemagne signifie des pertes pour tous les autres pays européens, à commencer par les plus faibles, mais aussi pour la deuxième puissance européenne qu’est la France. En même temps, le comportement de la classe capitaliste allemande est en train de créer une situation sociale explosive. La lutte des classes en Allemagne semble marquer le pas pour le moment. Mais elle connaîtra sans doute une nette exacerbation au cours de la prochaine période. Les années qui viennent placeront les travailleurs allemands devant la nécessité de redécouvrir leurs anciennes traditions militantes et révolutionnaires.

Les rapports entre l’Allemagne et la France n’ont cessé d’évoluer au détriment de cette dernière, depuis des décennies. Après la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne n’a pas mis longtemps à rattraper et dépasser les performances économiques de la France. A partir de 1989, avec la réunification de l’Allemagne, l’écart entre les deux pays s’est creusé encore plus vite. La restauration du capitalisme dans les Balkans et en Europe Centrale a ouvert un vaste champ d’activités qui a surtout profité à l’Allemagne. L’extension de ses « zones d’influence » a renforcé davantage sa position dominante en Europe, reléguant définitivement la France à un rôle de second plan.

Il n’est pas difficile de comprendre, dans ce contexte de déclin, avec ses effets dévastateurs sur l’emploi et sur les conditions de vie en général pour la masse de la population, que les partis et mouvements ayant une position « anti-européenne » trouvent une oreille attentive, notamment dans les couches populaires les plus touchées par la crise.

L’impasse protectionniste

Le Front National prône la sortie de l’Union Européenne, la mise en place de barrières douanières, un retour au franc et des dévaluations compétitives. Or, cette politique protectionniste entraînerait inéluctablement des mesures de rétorsion de la part d’autres pays. En général, le protectionnisme mènerait à une contraction du volume général des échanges. Par conséquent, il y aurait moins de débouchés pour la « production nationale », que le FN prétend défendre. Le protectionnisme ne signifierait pas la défense des emplois, mais leur destruction à une échelle encore plus massive qu’à présent.

Le rétablissement du franc français relève de la même chimère protectionniste. Selon Marine Le Pen, le passage à l’euro a privé le gouvernement de « l’arme monétaire » pour protéger le marché intérieur. Mais la dévaluation de la monnaie renchérit les produits importés – et donc entraîne une baisse du pouvoir d’achat des travailleurs, tout en augmentant massivement le poids de la dette publique. Ceci est d’autant plus vrai que dans les conditions mondiales actuelles, le franc français serait une monnaie faible. Sa valeur sur les marchés internationaux ne serait pas déterminée par le gouvernement, mais par la loi du marché et par les intérêts des spéculateurs financiers. Comme pour tous les autres éléments de son programme, le Front National n’est qu’un marchand d’illusions. L’idée selon laquelle la France est actuellement « sous tutelle » de la Commission Européenne a été sciemment répandue par le Front National. Or c’est le contraire qui est vrai : la France et l’Allemagne dominent l’Europe et façonnent la politique de la Commission selon les intérêts de ses capitalistes. Quelle décision importante a été prise par la Commission sans l’accord actif ou tacite des gouvernements français et allemand ?

Il faut en finir avec l’Union Européenne et les intérêts qu’elle incarne. Ceci n’est pas possible sur des bases nationalistes et capitalistes, mais seulement par la lutte active contre les capitalistes, autour d’un programme qui s’attaque à la source de leur pouvoir et à la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et de tous les piliers de l’économie nationale.
La faillite du capitalisme fait que de grands événements se préparent en Europe. L’instabilité sociale grandissante est surtout évidente dans les pays les plus fragiles du vieux continent, comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Mais elle gagnera progressivement des grandes puissances sur lesquelles repose tout l’édifice du capitalisme européen.

Greg Oxley
PCF Paris 10e