Depuis le mois de mai, des forts mouvements de protestation traversent le Guatemala et le Honduras. Ils exigent la démission de leurs présidents respectifs et une dépuration totale de toute la classe politique. Voici une analyse de ces mobilisations.

Les dernières grandes « marches de torches » au Honduras ont regroupé pas moins de 100’000 personnes dans différentes parties du pays. Malgré les fortes pluies qui ont provoqué des inondations les jours qui suivirent, les manifestants ont encore une fois répondu présents à la convocation à la protestation, faisant preuve de courage et de détermination. Au Guatemala, ils étaient plusieurs dizaines de milliers le samedi 13 juin à manifester leur colère contre le gouvernement actuel impliqué dans deS graves cas de corruption et exiger la démission du président Otto Pérez Molina, ex-Général de l’armée guatémaltèque.

Guatemala et le cas « La Linea »

En avril 2015, la Commission Internationale contre l’impunité guatémaltèque (CICIG) révéla un cas de corruption sans précédent qu’on appellera « La Linea » (la ligne). En effet, si on essaye de creuser un peu dans le sujet, on découvre un véritable réseau criminel bien connecté et organisé qui, comme une ligne reliant beaucoup de points, reliait tout un réseau de personnalités impliqués dans de la contrebande au niveau des douanes, dans des évasions fiscales entre autres. Parmi les impliqués, il y a soit de très hauts fonctionnaires, de politiciens et syndicalistes corrompus, des grands entrepreneurs ou des infiltrés du crime organisé. Juan Carlos Monzón Rojas, secrétaire privé de l’ancienne vice-présidente Roxana Baldetti, serait la tête de ce réseau criminel [1].  Beaucoup de personnes ont été amenés en justice, d’autres sont en fuite et la vice-présidente a dû démissionner au début du mois de mai sous la pression du peuple qui organisa des manifestations afin d’exiger sa démission. Aussi durant le mois de mai, un autre grave cas de corruption touchant cette fois-ci l’Institut Guatémaltèque d’assurances sociales (IGSS) fut découvert.

Honduras : Le régime nationaliste et le vol à l’IHSS

Au Honduras, un autre cas de corruption gigantesque fut révélé. Des entreprises fantoches touchaient de l’argent de l’Institut Hondurien d’assurances sociales (IHSS) qui à leur tour faisaient des transferts à travers des chèques avec des montants variables dans les caisses du parti au pouvoir, le Parti National (PN). Au total, il s’agit de plus de 350 millions de dollars volés à l’IHSS. Dans une émission de la chaîne Globo TV, le journaliste David Romero Ellner montra des exemplaires des chèques prouvant le détournement. Il a par la suite reçu d’innombrables menaces de morts qu’il dénonce sur la même chaîne qui est devenue son arme de protection face au climat de terreur et de répression envers les journalistes critiques, les militants politiques et syndicaux qui a suivi le coup d’état militaire en 2009 contre le président progressiste Manuel Zelaya Rosales.

Pour revenir au vol à l’IHSS, une grande partie de cet argent aurait été utilisé pour financer la campagne électorale du Parti National (à l’époque, le président était le nationaliste Porfirio Lobo Soza et le président du législatif était le président actuel Juan Orlando Hernández) qui remporta les dernières élections de novembre 2013. Ces mêmes élections ont été dénoncées par des partis de l’opposition comme étant frauduleuses (manipulation des actes électoraux scannés, vote de personnes mortes, achat d’accréditations des petits partis par les grands dans les tables électorales etc.).

 

Situation misérable et inégalitaire

Mais pour mieux comprendre le contexte de ces deux pays, il faut étudier le développement social, politique et économique des dernières décennies. L’instabilité politique, la succession de juntes militaires et de gouvernements clientélistes au service des multinationales étrangères, la répression violente des mouvements sociaux par les politiques anticommunistes dictées par Washington D.C. ont totalement ruiné la région. Ce à quoi on peut rajouter la liquidation du peu d’entreprises publiques qu’il y a, passant sous le contrôle de bourgeoisies réduites à quelques grandes familles.

Les institutions dans ces deux pays sont très faibles et instables et ne sont pas en mesure d’affronter les grands défis sociaux à savoir la pauvreté et inégalité (qui sont parmi les plus élevées d’Amérique latine), la délinquance et la corruption. Au Honduras, plus de 64 % de la population se retrouve sous le seuil de pauvreté [2]. Au Guatemala, elle touchait 53,7 % en 2011[3]. Les écoles sont dans un état pitoyable et ne sont pas en mesure d’absorber les effectifs surtout après l’éducation primaire[4]. Ceci crée les conditions pour le développement de la criminalité, très puissante et instrumentalisée par les puissants afin de renforcer l’autoritarisme.

La région fait partie des plus violentes au monde malgré le fait qu’elle ne soit pas en guerre. San Pedro Sula, ville industrielle du Honduras, est la ville la plus violente au monde avec 187 morts par 100’000 habitants en 2013 [5]. Les populations vivent dans une situation de désespoir total, ce qui pousse beaucoup de gens, surtout des jeunes, à émigrer notamment aux États-Unis. Le chômage est également très fort et les conditions de travail sont très difficiles, notamment dans les « maquiladoras » (usines de textile). Pour ce qui est des assurances sociales, elles sont des véritables conquêtes des luttes du passé. Mais aujourd’hui ces institutions ont été complètement délaissées voire carrément pillées par des gouvernements corrompus et incapables. Beaucoup de gens doivent payer des sommes colossales pour pouvoir se faire opérer ou encore avoir accès à des médicaments, ce qui prive les masses pauvres de soins basiques. Tout cela, alors que les bourgeoisies locales ne cessent de s’enrichir et de gonfler leur fortune. Le problème de la corruption n’est pas nouveau mais les derniers cas révélés, surtout lorsqu’il s’agit de véritables pillages à une institution sociale cotisée par les travailleurs, ont été la goutte qui a fait renverser le vase et l’étincelle qui a enflammé la colère et l’indignation des peuples.

Les mobilisations

 

Le peuple indigné a très vite occupé les rues afin d’exiger justice et aucune impunité pour les politiciens corrompus. Dans les grandes villes comme dans les petits villages, des manifestations ont lieu et attirent de plus en plus de gens. On peut souligner le caractère assez spontané des manifestations et une forte mobilisation de la petite-bourgeoisie dans les grandes villes, de plus en plus affectée par les problèmes liées à la délinquance mais aussi à la précarisation de leurs conditions de vie. Les organisations du mouvement ouvrier, sociales et syndicales ont bien évidemment répondu présentes et organisé les mobilisations dans beaucoup de régions des pays surtout rurales. Au Honduras, les principaux mots d’ordre qui sont mis en avant sont la justice pour les victimes du vol à l’IHSS (dont on estime que plus de 2880 personnes seraient mortes par manque de médicaments et de soins), l’installation d’une Commission internationale contre l’impunité (CICIH) comme au Guatemala mais aussi la démission du président actuel Juan Orlando Hernández et de son gouvernement. La classe politique jouit d’un manque de crédibilité total ce qui fait que beaucoup de personnes ne veulent pas les accueillir dans les manifestations. Si ce réflexe compréhensible a permit de rallier une large couche de la population, il peut devenir l’outil des opportunistes pour tenter d’écarter le Front National de résistance populaire (FNRP) et le Parti LIBRE des mobilisations et qu’il n’aillent pas plus loin. Un exemple est le communiqué de « l’Opposition Indignée » (groupe coordinateur des manifestations surtout à la capitale Tegucigalpa) dans lequel ils se distanciaient « officiellement » de l’idée de grève nationale que certains secteurs du FNRP avaient émis pour le 28 juin 2015, au sixième anniversaire du coup d’état. Pour rappel, le FNRP est né des luttes contre le coup d’état de 2009 et jouit d’un soutien très fort parmi les couches ouvrières et populaires. Le réduire à la simple personnalité de Manuel Zelaya Rosales comme le font beaucoup serait une grave erreur.

 

Au Guatemala, les mots d’ordre que la plate-forme coordinatrice #JusticiaYa a formulé pour la dernière grande manifestation du 13 juin étaient qu’il y ait des réformes pour transformer politiquement le pays où le peuple soit consulté, la suspension des partis qui ne respectent pas la loi du Tribunal Suprême électorale (TSE), la démission du président Otto Pérez Molina et un jugement pour tous les ex-fonctionnaires et personnes impliquées dans des cas de corruption. Ici, la situation est plus complexe par rapport à la participation des partis politiques sachant que les élections sont en septembre et qu’il y a une crainte d’instrumentalisation qui est plus forte qu’au Honduras. Aussi, il n’y a pas de mouvement fort unifiant divers secteurs sociaux comme le FNRP. L’Union Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque (URNG-MAIZ), héritière des organisations ouvrières de guérilla du passé et de l’historique Parti Guatémaltèque du Travail, reste très marginalisée. Mais on peut compter sur un mouvement paysan très fort et combatif.

 

Quelles perspectives ?

Ces mouvements ont beaucoup de similitudes avec les mobilisations qui ont eu lieu au Mexique à la fin de l’année 2014 contre la disparition de quarante-trois étudiants. Le peuple et les travailleurs mexicains se sont fortement mobilisés exigeant la chute du président et encore aujourd’hui, les luttes continuent. Ceci a eu des effets dans les pays d’Amérique Centrale. Les mouvements de protestation pourraient encore durer un peu mais pas éternellement. Ni Juan Orlando Hernández au Honduras ni Otto Pérez Molina au Guatemala ne semblent vouloir quitter le pouvoir et une baisse dans la pression pourrait être fatale. Nous arrivons à un stade où les simples manifestations ne suffisent pas à faire entendre les demandes du peuple, il faut donc aller de l’avant et escalader dans la lutte maintenant, sans trop attendre. La tâche des militants ouvriers et les révolutionnaires marxistes dans le FNRP comme dans les mouvements sociaux guatémaltèques est de savoir lier les luttes à un programme révolutionnaire ayant comme objectif la prise du pouvoir, car les demandes les plus immédiates (zéro impunité pour les corrompus mais aussi un accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi etc.) ne pourront être satisfaites sous les régimes actuels qui ont montré leur incapacité à gérer les pays et qui servent les intérêts des multinationales et de l’impérialisme.

Pour mener une véritable lutte contre la corruption, il faut que les travailleurs et le peuple organisé se rapproprient le pouvoir et mettent toutes les forces économiques et politiques au service de toute la société. Les secteurs populaires en lutte doivent se rassembler et créer des structures participatives et démocratiques avec des compétences décisionnelles. Des secteurs du FNRP au Honduras ont évoqué la possibilité d’une grève nationale qui serait vraiment un coup énorme car cela permettrait aux travailleurs de reprendre des moyens de lutte telle la grève, le blocage et l’occupation et véritablement mettre entre les mains du peuple organisé le pouvoir. Au Guatemala, les organisations paysannes se montrent très combatives en procédant à des blocages de routes. Remettre en place ces outils et traditions de luttes devrait être la tâche immédiate et prioritaire de tous ceux qui veulent en finir avec ce système capitaliste corrompu et pourrissant.

 

Juin 2015

 

Notes:

[1] D’après la Commission Internationale Contre l’Impunité au Guatemala (CICIG)

[2]  64,5 % de foyers en pauvreté en 2013 d’après l’Institut National des Statistiques (INE) ine.gob.hn

[3] D’après l’Institut National des statistiques du Guatemala (INE) ine.gob.gt

[4] Au Honduras, alors que d’après l’INE, l’éducation primaire couvre 92,4 % des jeunes, elle chute à 42,1 % pour le post-primaire ou cycle commun. Ine.gob.hn 2013

[5] D’après le Consejo Ciudadano para la Seguridad Publica y Justicia Penal (seguridadjusticiaypaz.org.mx)