Après 1917 en Russie, la révolution allemande devait marquer, pour les révolutionnaires de l’époque, le deuxième grand pas vers la révolution internationale. Néanmoins l’expérience en Allemagne n’était pas qu’un échec, elle a indirectement préparé la réaction fasciste et le stalinisme. Pourquoi a-t-elle échoué et quelles leçons en tirer ?

Dans son chef-d’œuvre « La Révolution en Allemagne », l’historien marxiste français Pierre Broué retrace minutieusement le processus révolutionnaire sur plus de 1000 pages avec un regard socialiste. Un résumé de cet ouvrage vient d’être publié par notre maison d’édition, « Raison en Révolte ». Cette synthèse se base sur trois articles de Broué, écrits entre 1949 et 1950. Nous y avons ajouté sept textes supplémentaires, de Trotski et de Rosa Luxemburg, afin de mieux cerner cette période. L’article suivant se base sur ce livre.

En 1918, quatre ans après le début de la Première Guerre mondiale, l’Europe entière est en ruines. La situation des travailleurs est terrible non seulement sur le front, mais aussi à l’intérieur des pays. En Allemagne, la faim, la misère et le désespoir règnent. L’enthousiasme pour la guerre et l’ivresse du patriotisme ont disparu. En 1917, la révolution avait éclaté en Russie et se poursuit sous la direction des bolcheviks. Ce succès historique secoue alors le prolétariat mondial en éveil.

La révolution de novembre et la trahison du SPD

La mutinerie des marins de Kiel en novembre 1918 est l’étincelle qui fait jaillir le feu de la révolution. Celle-ci a pris d’assaut tout le pays : les conseils ouvriers et militaires détiennent le pouvoir dans presque toutes les villes industrielles de l’ancien empire. La « Révolution de novembre » renverse la monarchie ; l’empereur doit s’enfuir.

Une situation de double pouvoir prévaut : d’une part les conseils ouvriers, qui tiennent tout le pouvoir de fait, et d’autre part le gouvernement du Reich, composé du SPD et de l’USPD (une scission de gauche du SPD), soutenu par l’ancien appareil étatique.

La porte du socialisme est grande ouverte pour le prolétariat, mais les travailleurs croient encore que la social-démocratie réformiste les y conduira. Après que cette dernière ait pu se mettre à la tête des conseils, elle les a décapités : la direction du SPD d’Ebert a saboté la structure des conseils et les a détruits en utilisant la Reichswehret les corps francs.

Grève générale contre la dictature militaire

Mais cela ne signifie en aucun cas la victoire complète de la contre-révolution. Au début des années 1920, une vague de grèves submerge l’Allemagne et permet de gonfler les rangs de l’USPD et du jeune KPD.

Certaines couches de la bourgeoisie veulent mettre un terme définitif à la révolution. En mars 1920, l’ancien ministre de l’agriculture, Kapp, réunit autour de lui l’ancienne direction réactionnaire de la Reichswehr. Il rallie leurs forces pour monter un coup d’Etat contre la classe ouvrière allemande et les gains de la Révolution de Novembre.

Pour défendre la révolution, un énorme mouvement de masse prolétarien se mobilise spontanément et la grève générale est déclenchée. Douze millions de travailleurs font grève. Dans la région de la Ruhr, le prolétariat s’arme.

Le « Kapp Putsch » a été repoussé par la classe ouvrière allemande. La révolution a pris le dessus. Mais l’USPD et le SPD n’ont pas fait avancer ce mouvement, bien au contraire. En avril 1920, l’USPD tourne également le dos à la révolution. Avec le SPD, ils s’accordent au sein du gouvernement du Reich sur le désarmement de « l’armée de la Ruhr rouge » par la Reichswehr et des corps francs. La Reichswehrfait ensuite couler un bain de sang dans la région de la Ruhr. Mais la classe ouvrière révolutionnaire allemande ressemble à une Hydre : on lui coupe la tête et deux nouvelles poussent.

Une dernière tentative

En 1923, les événements s’accélèrent. L’Allemagne souffre d’une hyperinflation. Le pouvoir d’achat des travailleurs a fondu et l’intervention des troupes françaises et belges dans la région de la Ruhr n’aide guère. Le gouvernement du Reich appelle alors à une « résistance passive ». La classe dirigeante de l’Allemagne veut habilement diriger le mécontentement du prolétariat vers l’envahisseur. Mais cette tactique de la bourgeoisie se retourne contre elle : ce qui a commencé comme une résistance nationale a finalement conduit à la phase la plus révolutionnaire que l’Allemagne n’ait jamais connue. Le KPD profite de cette situation pour croître puisqu’il est le seul parti qui ne s’était pas encore délégitimé en tant que parti des travailleurs au cours de ces années. En août, la colère des travailleurs se décharge dans une gigantesque grève générale spontanée, qui force Cuno (chancelier allemand) à démissionner. Mais le KPD n’est pas capable de pousser le mouvement au-delà de la simple démission du gouvernement et à orienter les forces du prolétariat vers la prise du pouvoir. Les cinq années d’effervescence révolutionnaire prennent fin. L’Hydre est vaincue.

Conséquences dévastatrices

L’échec de la révolution n’a pas seulement influencé le sort de l’Allemagne, mais aussi celui de la révolution internationale. La défaite de la révolution en Allemagne a isolé la jeune Union soviétique. Cet isolement a ouvert la voie à la dégénérescence bureaucratique incarnée par Staline. De plus, l’absence de révolution internationale a permis au fascisme de prendre pied en Europe. Dix ans après ces événements révolutionnaires, Hitler prenait le pouvoir. La formule « socialisme ou barbarie » de Rosa Luxemburg s’était donc avérée.

Un livre pour le centenaire

Pierre Broué insiste encore sur un autre point : à travers l’histoire, il démontre l’importance d’une direction révolutionnaire. Contrairement à la classe ouvrière russe, le prolétariat allemand n’avait pas de direction révolutionnaire. Cette erreur dévastatrice doit être une leçon pour nous ! La révolution a besoin d’une direction marxiste capable de canaliser les forces du prolétariat et de les diriger vers la conquête du pouvoir. Nous devons mettre tout notre engagement dans la construction d’une telle organisation et donner une fois pour toutes une réponse à la question historique, « socialisme ou barbarie ? »