Dans cet article, nous vous proposons de découvrir et d’analyser les positions sur le socialisme du célèbre physicien Einstein.

Pour rappel, Albert Einstein fut un scientifique exerçant dans le domaine  de la physique (domaine dans lequel il fut prix Nobel en 1921). Il était d’origine Allemande mais naturalisé Suisse, car il y vécut de longues années et fit ses études à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Il immigra ensuite aux Etats Unis. Il est célèbre pour avoir révolutionné la physique moderne grâce à ses travaux sur la relativité restreinte et générale.

Cependant, dans ce texte nous n’allons pas nous intéresser à ces travaux sur la physique mais à un de ses articles écrit en 1949 nommé : « Pourquoi le socialisme ?» qu’il a rédigé pour la revue Monthly Review (un journal Marxiste, Américain et indépendant).

Voici une définition simple du socialisme au sens dont parlent les marxistes et Einstein dans son article : Le socialisme est une société qui est issue d’une révolution qui aurait renversé le capitalisme et aurait mis en commun les moyens de production et les grands leviers de l’économie sous un contrôle démocratique des travailleurs. Ce serait une société issue de longues années de conflits révolutionnaires et post révolutionnaires comme la plupart de nos sociétés capitalistes issues de longues années de révolutions et de contre révolutions.  Le socialisme permettrait à l’ensemble de la population de bénéficier des larges richesses que permet l’industrialisation et de développer au maximum le potentiel économique (productif) et culturel qui est actuellement entravé par le capitalisme et sa logique de profit.

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L’article d’Einstein
Maintenant  attaquons le vif du sujet : le point de vue d’Einstein sur le socialisme. L’auteur commence le texte en expliquant qu’il n’est pas économiste malgré le fait qu’il soit un scientifique. Pour lui les sciences économiques sont très complexes car elles prennent en compte beaucoup de facteurs différents. Mais pour lui, tout le monde doit et peut apporter sa pierre à l’édifice d’une société nouvelle. Il souligne que la science n’a pas un caractère moral et donc ne peut pas être l’unique facteur poussant au changement mais que les motivations éthiques ont aussi une place importante.

Einstein estime qu’un changement de société est nécessaire pour plusieurs raisons.

Premièrement, il part du constat que l’Homme est un être solitaire et social, solitaire car il cherche en premier lieu à pérenniser sa survie et social car il a besoin de la société pour y arriver.

Tout cela lui donne une vision matérialiste de l’humanité en même temps qu’il reconnaît la relation dialectique entre individu et société, tout comme Marx.

Cependant, la société capitaliste, plutôt que de pousser les Hommes à collaborer entre eux, elle les pousse à être en perpétuelle compétitivité, à être égoïste. Le physicien fournit une très belle description de l’aliénation dans la société capitaliste qui provoque la souffrance par l’isolation de l’individu qui se sent indifférent voire même hostile envers le groupe auquel il appartient.

Deuxièmement, il voit le principal problème dans le capitalisme, l’anarchie de la production, comme un des principaux facteurs de crises économiques.

Troisièmement, il rejoint les  théories marxistes comme celle de la plus-value en constatant que l’ouvrier est exploité par le capitaliste qui le paye beaucoup moins que ce que l’ouvrier lui rapporte, ou comme celle de la tendance monopoliste, qui est due à la concurrence capitaliste (les entreprises s’éliminent entre elles, seules les plus fortes survivent en absorbant les plus faibles et en concentrant donc plus de parts de marché) et qui confère l’ensemble du pouvoir économique à une poignée de personnes qui se servent de leurs pouvoirs pour contrôler les politiciens, les médias (en stigmatisant les idées socialistes dans les médias comme Einstein le souligne), l’éducation etc.

Et quatrièmement, Einstein soutient que la production économique dans un système capitaliste n’est pas faite pour répondre aux besoins de tous mais pour faire du profit.

Pour répondre à ces problèmes, Einstein écrit qu’il n’y a qu’une seule solution : « l’établissement d’une économie socialiste, accompagnée d’un système d’éducation orienté vers des buts sociaux. Dans une telle économie, les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’une façon planifiée. Une économie planifiée, qui adapte la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant. L’éducation de l’individu devrait favoriser le développement de ses facultés innées et lui inculquer le sens de la responsabilité envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succès, comme cela se fait dans la société actuelle. »

Contexte
Je pense qu’il est important de souligner le contexte dans lequel cet article de Einstein à été écrit : le monde venait de sortir de la Seconde Guerre Mondiale, l’arme atomique venait de faire son apparition, les dangers du capitalisme avaient donc été démontrés plus que jamais. L’expression “Socialisme ou Barbarie” était plus que prouvée. Cela se ressent dans l’engagement d’Einstein contre le militarisme et lorsqu’il parle avec effroi de son voisin qui a totalement perdu foi dans l’humanité.

De plus, la haine anticommuniste et la volonté de censurer les idées marxistes étaient très fortes :   une véritable chasse aux sorcières se traduisit par l’exclusion des Etats-Unis de certaines personnalités comme Charlie Chaplin ou à la censure d’autres comme Dalton Trumbo. Cela est exprimé par Einstein lorsqu’il souligne la nécessité d’une revue socialiste pour donner un point de vue alternatif : « La clarté au sujet des buts et des problèmes du socialisme est de la plus grande importance à notre époque de transition. Puisque, dans les circonstances actuelles, la discussion libre et sans entrave de ces problèmes a été soumise à un puissant tabou, je considère que la fondation de cette revue est un important service rendu au public. » Ce point-là est très important pour nous rédacteurs de L’étincelle car nous nous donnons pour rôle de lutter contre les désinformations et d’apporter un point de vue marxistes, différents des grands médias.

En outre, lors de ses échanges avec Edwin B. Lindsay, il affirme que la campagnes de McCarthy: « Ce n’est rien de plus qu’une destruction systématique des droits politiques individuels menée par un groupe de politiciens imprudents et intrépides, soutenus par la grande industrie ».

Einstein et le Marxisme
Ce qui est frappant dans ce texte, c’est de voir à qu’elle point Einstein est proche de certaines idées marxistes. Car, en plus des théories économiques précédemment citées, il aborde des points de vue similaires à Marx sur les sujets suivant : l’internationalisme, car il a constaté que toutes les économies sont interdépendantes. Il aborde aussi le problème du phénomène du machinisme (appelé automatisation de nos jours), qui présente une contradiction très importante : plus les capitalistes augmentent la production avec de nouvelles machines, plus le chômage augmente. S’ensuit donc une contradiction entre l’abondance de richesses créée par le capitalisme, la pauvreté due au chômage de masse et la fatalité de la surproduction :

« La production est faite en vue du profit et non pour l’utilité. Il n’y a pas moyen de prévoir que tous ceux qui sont capables et désireux de travailler pourront toujours trouver un emploi ; une « armée » de chômeurs existe déjà. L’ouvrier est constamment dans la crainte de perdre son emploi. Et puisque les chômeurs et les ouvriers mal payés sont de faibles consommateurs, la production des biens de consommation est restreinte et a pour conséquence de grands inconvénients. Le progrès technologique a souvent pour résultat un accroissement du nombre des chômeurs plutôt qu’un allégement du travail pénible pour tous. L’aiguillon du profit en conjonction avec la compétition entre les capitalistes est responsable de l’instabilité dans l’accumulation et l’utilisation du capital, qui amène des dépressions économiques de plus en plus graves ».  On notera, à un moment dans le texte, le questionnement d’Einstein sur les moyens de lutter contre le bureaucratisme et le fait qu’il souligne qu’une économie planifiée n’est pas encore le socialisme, ce qui peut nous amener à nous demander s’il a étudié Trotsky.

Les origines de ses idées politiques sont assez dures à connaître du fait que sa vie privée fut peu exposée. Mais ses idées marxistes sont sûrement dues à son amitié avec Friedrich Adler (comme le suppose Lewis S. Feuer), un physicien qui fut un politicien marxiste important en Autriche, un membre important du parti social-démocrate autrichien, puis le fondateur de la section autrichienne de l’international communiste. Ils se sont connus durant leurs études à l’École polytechnique  de Zurich et se lièrent d’une très forte amitié qui poussa même Adler à renoncer à un poste de chaire de Physique théorique nouvellement créée à l’Université de Zurich pour laisser le poste à son ami Einstein.

On peut noter sa désapprobation de Joseph McCarthy, un sénateur célèbre pour sa chasse aux communistes, et son engagement contre le militarisme qui lui valut d’être surveillé par le FBI (qui avait un dossier sur lui de environ 1800 pages actuellement déclassé et disponible sur leur site web).

Là où Einstein s’écarte assez clairement du marxisme, c’est dans l’aspect philosophique et dans la méthode scientifique dont découle la politique. Marx et Engels étaient convaincus que les mouvements de la société capitaliste pouvaient et se devaient d’être étudiés scientifiquement et que les germes pour la future société socialiste se trouvaient au sein du mode de production capitaliste avec ses contradictions. Einstein, par contre, retombe dans un “socialisme utopique” dépassé par les marxistes, en déconnectant les développements du capitalisme de la nécessité du socialisme en réduisant  le socialisme à un projet éthique.

Malgré cela, Einstein reste assez proche du matérialisme historique, bien qu’il présente également une vision un peu erronée du développement de l’économie précapitaliste. Son erreur est qu’il voit le développement économique passé comme une chose peu analysable car il découle de siècles de conquêtes militaires. Ce point de vue encore très populaire de nos jours, fut contredit par Friedrich Engels dans son livre l’Anti Dühring. Dans un des chapitres du livre, Engels explique l’importance du facteur économique dans les anciennes  guerres de conquêtes et que bien souvent les vainqueurs de ces guerres étaient les peuples avec le plus fort développement des forces productives. Il démontra l’importance des technologies dans le domaine militaire en montrant comment chaque évolution des méthodes d’utilisations de la  poudre à canon avaient drastiquement fait évoluer toute les organisations militaires et apporté parfois des victoires précieuses.

Conclusion
Ainsi, Einstein n’a pas une vision très définie du socialisme car comme il le dit : « la science économique actuelle peut projeter peu de la lumière sur la société socialiste avenir ». Néanmoins sa conception du socialisme est une vision très proche du marxisme : un système d’économie planifiée sous un total contrôle démocratique de la population, internationaliste et sans bureaucratisme. C’est la même conception et les  mêmes buts pour lesquelles nous luttons aujourd’hui avec les méthodes puissantes du socialisme scientifique. Son seule défaut est qu’il  assimile toutefois certains défauts de l’idéalisme philosophique.

Pour conclure voici une citation d’Einstein sur Lénine : « J’estime en Lénine un homme qui a utilisé toute sa force avec une entière abnégation de son être pour réalise, la justice sociale… Une chose est certaine: les hommes comme lui sont les gardiens et les novateurs de la conscience de l’humanité. »

Carlos Larvinsky
ASEMA Genève