Lors de la réunion annuelle de la JS Suisse (9-10 février 2019), une prise de position de la direction sur le travail de soins sera discutée. Le mouvement marxiste souhaite contribuer à cet important débat avec le contre-papier sur la reproduction sociale : Comment nous menons la lutte contre l’oppression des femmes. Nous croyons que dans de tels débats théoriques de principe, les diverses positions au sein du parti devraient être mises sur la table et débattues. De cette façon, nous pouvons nous éduquer, créer une clarté théorique pour notre politique et élever le niveau de l’ensemble du parti. Nous appelons donc toutes les sections et tous les camarades à examiner les documents et nous attendons avec impatience un débat de haut niveau !

Soumis par : Sarah-Sophia Varela (Ville de Berne), Lukas Nyffeler (Ville de Berne), Helena Winnall (Ville de Zurich), Ariane Müller (Argovie), Kevin Wolf (Ville de Berne), Severin Stalder (Lucerne), Dersu Heri (Genève)

Depuis une décennie maintenant, la classe dirigeante a transmis toute la force de la crise capitaliste sur le dos de la classe ouvrière. Les femmes en sont particulièrement touchées. Nous le voyons d’une part dans les luttes qui éclatent en réaction aux stratégies bourgeoises de gestion de crise (démantèlement social). Les grèves du personnel infirmier et des enseignant-e-s ou les mouvements de grève des femmes dans le monde entier en sont des exemples. D’autre part, les parties les plus réactionnaires de la bourgeoisie, incarnées, par exemple, par Trump, Bolsonaro et d’autres, s’appuient de plus en plus sur des arguments réactionnaires et misogynes. Pour leur part, ils sont contrés par des luttes pour l’autodétermination des femmes pour leur corps ou par le mouvement #metoo.

Ces luttes n’éclatent pas par hasard. Il devient de plus en plus clair que le capitalisme est incapable de permettre aux gens de se développer librement – les rôles genrés discriminatoires sont trop contraignants. Nous le voyons aussi à travers des mécanismes concrets tels que la discrimination salariale et le sexisme, qui à leur tour divisent les salarié-e-s selon les sexes, paralysant ainsi la lutte contre le capitalisme. L’oppression des femmes fait partie intégrante du capitalisme. C’est pourquoi nous avons également besoin de bien comprendre comment l’oppression des femmes dans le capitalisme est maintenue et comment elle peut être surmontée. Il est certain que seule la lutte commune pour le socialisme conduira à la libération des femmes et de tous les êtres humains.

Dans certains cercles de gauche, cette question est discutée sous le nom de « débat sur le care ». Ceci attire l’attention sur un aspect central de l’oppression des femmes : la charge de travail spéciale qui pèse encore aujourd’hui sur les femmes dans tous les pays capitalistes. Cependant, le concept du care ne fournit pas l’instrument adéquat pour l’analyse de ce problème : avant tout, il fait l’amalgame du travail reproductif non rémunéré et rémunéré. La responsabilité prédominante des femmes dans le travail reproductif non rémunéré est la clé pour comprendre l’oppression des femmes dans le capitalisme.  Ignorer ce point mène à des illusions dans un appareil d’État qui, dans le système social actuel, n’est ni capable ni disposé à dépasser l’oppression des femmes. La question de savoir comment le travail reproductif est organisé socialement n’est pas une question morale. Ici, les intérêts du capital en matière de profit entrent brutalement en conflit avec les intérêts des salarié-e-s pour une vie digne. Dans le capitalisme, le travail reproductif a tout simplement moins « de valeur » – nous devons le souligner et en même temps exiger que l’ensemble de la société soit rendu responsable du travail reproductif. Mais cela n’est pas possible selon la logique du profit capitaliste.  Il ne suffit donc pas de rendre « visible » le travail du care (non rémunéré). Au contraire, le travail reproductif effectué par la société doit être organisé de manière fondamentalement différente, soit dans l’intérêt des salarié-e-s !

Pour ce faire, nous devons comprendre et analyser la société dans son ensemble. Il n’y a pas plusieurs systèmes d’oppressions parallèles – les différentes formes d’oppression font partie du même système. Il n’y a pas de capitalisme sans racisme ni sexisme. La libération des femmes et de tout-e-s les individu-e-s ne peut être séparée de la lutte contre le capitalisme. La méthode marxiste, comme nous voudrions le montrer ci-dessous, nous donne le bon outil pour y parvenir. Thèse 1 : La division du travail entre les sexes historiquement développée est à la base de l’oppression des femmes, qui est un élément central de toutes les sociétés de classes.

La production des biens de subsistance et la reproduction de la vie humaine elle-même sont essentielles à l’existence de toute société et sont interdépendantes.

Par conséquent, elles ont lieu dans chaque société – mais elles sont organisées différemment selon la forme de la société. Les sociétés de classes sont caractérisées par le fait que la classe opprimée est exploitée par la classe dirigeante dans le processus de production. Pour garantir cette exploitation à plus long terme, la classe dirigeante a besoin que la classe opprimée soit prête à être exploitée chaque jour, c’est-à-dire qu’elle soit capable de se reproduire.

Il y a environ 3000 ans, le développement continu sur plusieurs millénaires a conduit à la première génération d’un surproduit social et à la soumission des femmes. Le surproduit tomba dans la sphère masculine et en possession de l’homme. Cela se justifie par la division du travail qui existait déjà à l’époque et qui est attribuable à la capacité des femmes à accoucher. Dans la famille monogame naissante, la femme était de plus en plus poussée dans la sphère de la reproduction et n’avait donc plus accès aux branches de l’économie dans lesquelles la propriété s’accumulait (par exemple l’élevage). Ainsi, la position historiquement différente des hommes et des femmes dans le processus de (re)production fournit la base de l’oppression des femmes.

Les différences entre les sexes ne peuvent être considérées séparément du système social dans lequel elles apparaissent. Il est vrai que les différences biologiques ont toujours joué un rôle dans l’organisation sociale de la reproduction. Cependant, les relations entre les sexes ne sont devenues oppressives qu’en interaction avec la propriété privée des moyens de production. Depuis des millénaires, la division du travail entre les sexes est adaptée aux besoins de la classe dirigeante, transmise sous diverses formes et idéologiquement protégée. Aujourd’hui, l’énorme abondance matérielle offre la possibilité d’organiser la société de telle sorte que les différences entre les sexes n’aient plus aucun rôle à jouer dans la position sociale. La division sexuelle du travail et donc l’oppression des femmes ne sont aujourd’hui entretenues qu’artificiellement par le capitalisme. 

Pour nous, deux conclusions sont centrales ici. Premièrement, le rôle des femmes dans le processus de reproduction détermine leur position dans la société de classe et donc l’oppression générale des femmes. Deuxièmement, la reproduction est organisée dans l’intérêt de la classe dirigeante.

L’oppression des femmes et le travail reproductif dans le capitalisme

Thèse 2 : Dans le capitalisme, le travail reproductif est transféré à la famille prolétarienne.

En soi, il n’y a pas de forme fixe de la façon dont la reproduction de la classe ouvrière est organisée dans le capitalisme. Mais pour les capitalistes, une chose est claire : ce travail devrait leur coûter le moins cher possible. À cette fin, le capitalisme repose principalement sur l’institution de la famille nucléaire. Il n’y a pas de famille générique – selon la classe à laquelle appartient la famille, elle a une tâche différente dans la société. Ainsi, la famille au sein de la bourgeoisie est responsable de la transmission du capital et de la propriété, par opposition à la famille prolétarienne, qui est responsable de la préservation de la classe ouvrière. 

La famille prolétarienne est un produit du capitalisme. Le capitalisme a favorisé la séparation du travail productif dans l’usine et du travail reproductif dans ses propres quatre murs. Ainsi, l’industrialisation a entraîné la mort des fermes familiales multigénérationnelles et de l’industrie domestique. Le travail de production et de reproduction n’a plus lieu simultanément au sein de la famille, mais dans un espace et un temps séparé. Sous le capitalisme, les travailleurs et travailleuses rentrent chez eux après le travail, doivent se procurer de la nourriture et la transformer en repas.

Thèse 3 : Ni l’Etat bourgeois ni le marché ne peuvent remplacer le travail gratuit dans les familles.

Bien entendu, le travail reproductif pourrait théoriquement aussi être effectué par les garderies publiques, les cantines, les maisons de retraite et les crèches. Mais cela devrait être financé par les impôts, ce qui exercerait inévitablement une pression sur les taux de profit du capital. C’est environ les deux tiers du produit intérieur brut qu’il faudrait dépenser pour offrir ce travail au secteur public. Par conséquent, les capitalistes ont un grand intérêt à laisser ce travail dans les ménages privés. L’offre de crèche couvre 11% des enfants en Suisse, les tables de déjeuner 10% et les écoles de jour seulement 6%. Dans certains pays, en particulier en Scandinavie, certaines avancées ont été obtenues dans ce domaine dans l’après-guerre. Or d’une part, cela n’a été rendu possible que par une lutte ouvrière organisée et, d’autre part, ces institutions sont sous pression permanente pour économiser de l’argent, surtout depuis le déclenchement de la crise en 2007/2008. Car l’Etat bourgeois dépend des intérêts des capitalistes et ne peut donc remplacer le travail gratuit dans les familles. 

Le capitalisme a rendu obsolètes ou simplifiés certains domaines du travail reproductif en les transformant en produits de base. Il s’agit par exemple de la production alimentaire ou des machines à laver. Mais c’est précisément le travail de soins et d’assistance (des enfants, des personnes âgées et des invalides) qui peut difficilement être transformé en marchandise. En effet, dans ces domaines, il est difficile d’augmenter la productivité. De tels services, lorsqu’ils sont offerts par des entreprises privées, sont donc très coûteux (une crèche à 100% coûte généralement plus de CHF 2000) et ne sont pas abordables pour la majorité des salarié-e-s. Les entreprises capitalistes privées qui offrent de tels services ne survivent généralement que parce qu’elles sont souvent subventionnées (par exemple les crèches, les spitex, les maisons de retraite et les maisons de repos) et parce que les employé-e-s doivent se contenter des salaires et conditions de travail les plus misérables (les femmes migrantes sont généralement les plus touchées ici). Comme nous pouvons le voir, le capitalisme dépend du fait que la majeure partie du travail reproductif est effectuée sans rémunération dans la famille.

Thèse 4 : Malgré les mécanismes répressifs et les rôles genrés, la famille prolétarienne dans son ensemble est exploitée par le capital.

Au sein de la famille prolétarienne, la division du travail entre les sexes est très marquée. Aujourd’hui, ce sont toujours les femmes qui s’occupent de la majeure partie des tâches ménagères et des soins – en Suisse, presque deux fois plus que les hommes. D’autre part, l’homme se voit attribuer le rôle de principal soutien économique. Dans plus de la moitié de tous les ménages de couples en Suisse, les hommes travaillent à plein temps et les femmes à temps partiel. Bien que 71% des femmes aient aujourd’hui un emploi, la majorité des hommes restent les « principaux soutiens économiques ». Cette division du travail est reproduite jour après jour par des mécanismes économiques. Les femmes gagnent moins bien leur vie et sont victimes de discrimination à bien d’autres égards sur le marché du travail, ce qui les pousse dans le travail ménager. La division du travail selon le genre avec une répartition « traditionnelle » des rôles n’a donc de sens économique que pour la plupart des familles prolétariennes.

Ainsi, dans la plupart des cas, les femmes restent économiquement dépendantes des hommes. C’est le cas, par exemple, de la situation précaire des parents isolés ; les mères célibataires avec de jeunes enfants atteignent le maximum statistique avec une charge totale de plus de 70 heures de travail salarié et domestique. Dans le même temps, le taux de pauvreté de 12,7% est presque quatre fois plus élevé que celui du reste de la population active.

Les femmes qui travaillent subissent donc une double oppression spécifique : dans le travail salarié d’une part, et au sein de la famille d’autre part. La dépendance économique des femmes à l’égard des hommes conduit à la suprématie masculine au sein de la famille. La femme est considérée comme son « appendice » ou même son objet, dont il peut disposer. Cela se consolide idéologiquement à d’innombrables niveaux. Dès notre plus jeune âge, on nous enseigne des rôles modèles appropriés. Les personnes qui vivent en dehors de cette forme familiale sont également influencées par ces rôles. L’homme doit être téméraire, ambitieux et dominant, la femme sensible et attentionnée, mais soumise. Ces rôles genrés binaires sont également la condition préalable à la discrimination à l’encontre des personnes en dehors de ces catégories de genre. 

Néanmoins, il est important de voir que les femmes ne sont pas exploitées par les hommes. Le principal bénéficiaire du travail reproductif rémunéré est le capital. Le travail salarié et le travail reproductif sont inégalement répartis entre les sexes, mais les deux travaux ont pour but de reproduire la force de travail de toute la famille prolétarienne afin qu’elle puisse être exploitée à nouveau par le capital. Avec le salaire, la famille acquiert les « matières premières » (par exemple la nourriture, le logement) qui, cependant, ne reproduisent la force de travail que par les travaux ménagers (cuisine, nettoyage, etc.). Bref, la famille prolétarienne dans son ensemble est exploitée par le capital.

Bien que l’oppression sexuelle brutale existe au niveau interpersonnel, les hommes et les femmes qui travaillent ont toujours le même intérêt objectif de classe, à savoir la fin de l’exploitation capitaliste. Mais pour devenir capables de lutter ensemble contre le capital, les relations oppressives entre les sexes doivent être combattues au sein du prolétariat. De nombreux travailleurs reproduisent des préjugés sexistes à l’égard des femmes et entravent ainsi la lutte commune. Inversement, de nombreux mouvements de femmes ont à maintes reprises tiré la fausse conclusion qu’il n’y avait pas d’alliés chez les hommes salariés. Pour nous, cependant, cela est clair : la lutte de classe est la lutte des femmes et vice versa !

Thèse 5 : Double charge – le travail salarié n’est que potentiellement émancipateur pour les femmes. 

La prédominance persistante de la responsabilité des femmes dans le travail reproductif influence la position des femmes salariées dans la famille, sur le marché du travail et dans la société. Le capital a des exigences contradictoires à l’égard des femmes prolétariennes. Elles doivent assumer le travail domestique non-rémunéré et être également disponibles en tant que main-d’œuvre bon marché. Il en résulte une double charge intenable pour les femmes travailleuses. C’est pourquoi une grande partie (60%) des femmes en Suisse travaillent à temps partiel. Les « secteurs typiquement féminins » (soins, éducation, commerce de détail et administration) sont donc particulièrement « flexibilisés » et se caractérisent ainsi par des conditions de travail très précaires et de faibles salaires. Ce choix de profession spécifique au genre est à son tour l’expression d’une socialisation inégale selon des modèles de rôle clairs. 

Néanmoins, l’entrée des femmes dans le monde du travail rémunéré reste un facteur potentiellement émancipateur. Un revenu personnel favorise l’indépendance économique, même si pour la plupart des femmes qui travaillent dans le capitalisme, cela implique une double charge flagrante de travail domestique et salarié. Cependant, l’inclusion des femmes dans la production renforce le potentiel de l’ensemble de la classe ouvrière : les femmes travailleuses ont une position plus forte vis-à-vis du capital qu’une femme au foyer isolée dans ses quatre murs. Dans le travail salarié, cependant, la classe ouvrière se trouve exactement au levier afin de pouvoir frapper la classe dirigeante de manière féroce. Par conséquent, les revendications d’un « travail domestique rémunéré » sont contre-productives, car elles cimentent le rôle des femmes dans le ménage au lieu de les en émanciper. Au lieu de cela, nous luttons pour la pleine socialisation du travail de reproduction. Ce n’est qu’ainsi que les femmes peuvent participer pleinement et sur un pied d’égalité à la production et à la vie publique et politique.

Que faire ?

Thèse 6 : Pour plus de crèches et de cantines ! La socialisation du travail domestique est l’une des forces motrices les plus importantes de la lutte révolutionnaire.

Pour mettre fin à l’oppression des femmes, nous devons les libérer du fardeau du travail reproductif. Il ne s’agit pas de répartir le travail de manière plus « juste » entre hommes et femmes. La famille est un refuge pour les idéologies conservatrices et réactionnaires, mais c’est bien plus que cela. La famille prolétarienne est un soutien essentiel à l’économie capitaliste, parce que les capitalistes profitent substantiellement du travail gratuit effectué dans le privé. Nous devons nous battre pour que l’ensemble de la société assume la responsabilité et les coûts de la reproduction de la classe ouvrière.

C’est pourquoi nous exigeons la socialisation du travail domestique et des soins dans des conditions de travail équitables, financées par les riches et l’Etat. Cela signifie concrètement :

● Un réseau gratuit de crèches dans tous les quartiers et dans toutes les entreprises – une place dans une crèche pour chaque enfant !

● L’expansion des places de soins publiques pour répondre à la nécessité

● Cantines gratuites dans les entreprises et les quartiers et services de restauration collective pour les ménages

● Buanderies publiques gratuites et services de nettoyage pour les ménages à l’échelle du quartier.

● Retraite populaire et assurance maladie nationale – payée par des impôts fortement progressifs !

En transférant le travail domestique et les soins de la famille au secteur public, nous brisons des piliers existentiels du capitalisme. Nous exigeons que le capital soit entièrement utilisé pour son financement. Mais bien sûr, c’est incompatible avec la logique capitaliste du profit. La libération des femmes est donc un défi révolutionnaire, qui n’est pleinement possible qu’avec le renversement du capitalisme. 

La socialisation du travail domestique n’est cependant qu’un aspect des mesures nécessaires. Tant que les femmes sont principalement responsables des tâches ménagères et des soins, alors qu’elles doivent en même temps exercer un travail rémunéré, elles souffrent d’une double charge massive. Le travail salarié pourrait potentiellement émanciper les femmes, mais sous le capitalisme, il tend à conduire à l’inverse. C’est pourquoi nous exigeons 

● Une réduction drastique du temps de travail à salaire constant – pour les femmes et les hommes

● Salaire minimum des 2/3 du salaire moyen – pour toutes les branches d’activité

● Mise en place de comités syndicaux de salarié-e-s pour le contrôle de l’égalité salariale

● Au moins 12 mois de congé parental

Ces revendications concernent l’ensemble des salarié-e-s. Ils créent ainsi le lien entre les sexes, ce qui montre que les travailleurs et travailleuses ont un intérêt commun.

Thèse 7 : La classe ouvrière est le sujet révolutionnaire dans la société capitaliste

Dans les mouvements féminins émergents, nous ne devons pas commettre l’erreur de considérer les femmes comme un bloc homogène. Bien qu’ils partagent souvent les mêmes exigences, dans leur mise en œuvre pratique, ces mouvements se séparent selon les lignes de classe. L’exemple de l’autodétermination sur son propre corps l’illustre particulièrement bien. Pour les femmes bourgeoises, la légalité de l’avortement seule est suffisante, l’accès aux cliniques étant lié à la situation financière. Alors que pour les femmes salariées, la légalisation de l’avortement représente avant tout une amélioration de leurs conditions de vie si elles en ont les moyens. En dernière instance, les intérêts de classe sont toujours décisifs. Il ne fait aucun doute que les femmes seront au centre des futurs mouvements révolutionnaires. Mais leur lutte ne peut réussir que sur une base de classe. Le sujet révolutionnaire est donc tous les membres de la classe ouvrière, mais pas les femmes en tant que telles.

Leur position dans le processus de production et donc dans la société fait des salarié-e-s un sujet révolutionnaire – indépendamment du sexe, de la sexualité et de l’origine. La classe ouvrière est la classe active. Tout ce qui est construit et produit autour de nous provient de leur travail. Cela signifie qu’elle est unie au levier du pouvoir, même si elle n’en est pas consciente. La classe ouvrière est le sujet révolutionnaire parce que, en raison de sa position dans le processus de production, elle a le pouvoir de renverser la bourgeoisie et de diriger la société de manière indépendante.

Ici, la séparation volontaire du travail dans le processus de production et des tâches ménagères au sein de la famille devient centrale. Si, par exemple, les infirmières font la grève, c’est une attaque directe contre le capitaliste qui les a embauchées. Les jours de grève, il perd la valeur ajoutée qu’il peut tirer de leur travail. Elles puisent leur force de pouvoir faire grève dans le caractère collectif de leur travail. D’autre part, les femmes au foyer qui ne font pas de travail salarié se trouvent dans une situation différente, non seulement en raison de leur petit nombre (71% des femmes en Suisse sont employées) mais aussi parce que le travail reproductif non rémunéré est organisé individuellement dans la famille. Il est difficile pour les femmes au foyer de se réunir, de développer une conscience commune et de combattre l’ennemi commun. Parce qu’elle est la responsabilité individuelle de la femme, une grève finit par nuire à son enfant, aux autres membres de la famille nécessitant de soins ou à elle-même en premier lieu, au lieu de lui permettre de combattre les causes de son oppression.

Les idéologies discriminatoires profondément enracinée de la classe dirigeante, comme le sexisme ou le racisme, sont également reproduites dans la classe ouvrière. Mais c’est précisément la lutte commune contre le capital qui est capable de les surmonter. Par conséquent, d’une part, nous devons unir les différentes luttes sur une base de classe, mais d’autre part, nous devons également mener une lutte idéologique déterminée contre le sexisme et d’autres formes d’oppression au sein du mouvement ouvrier, ainsi que dans nos revendications politiques.

Thèse 8 : La JS est le lien entre les luttes des femmes et le mouvement ouvrier.

En tant que parti socialiste, notre tâche est d’unir ces luttes sur une base de classe et de faire avancer la lutte idéologique au sein du mouvement ouvrier. C’est pourquoi nous nous opposons au féminisme diviseur qui explique l’oppression des femmes uniquement par les différences de genre. Nous devons montrer que les jeunes et les salarié-e-s de tout sexe, de toute sexualité et de toute origine sont asservi-e-s par le capital et montés les uns contre les autres par la classe dirigeante.

La socialisation du travail ménager et la réduction drastique du temps de travail à salaire constant sont nos deux exigences fondamentales. Un mouvement ouvrier fort est nécessaire pour les mettre en œuvre. Car ce sont les salarié-e-s qui, en cessant leur travail, peuvent faire pression sur les capitalistes et les forcer ainsi à faire des concessions. Le fait que les femmes sont sous-représentées dans le mouvement ouvrier est démontré par le faible taux de syndicalisation dans les professions typiquement féminines. Mais nous nous opposons à la fausse conclusion selon laquelle la classe ouvrière et ses organisations sont réactionnaires. C’est plutôt à nous de lutter pour que les femmes soient organisées et mieux intégrées dans le mouvement ouvrier. 

En particulier dans la perspective de la grève des femmes prévue le 14 juin 2019, nous appelons les syndicats à urgemment :

● Organiser les femmes dans ce qu’on appelle les « emplois de care » (et autres « secteurs féminins » typiques) et s’ancrer dans les entreprises.

● Promouvoir la formation de comités de contrôle des employé-e-s pour lutter contre l’inégalité salariale et le dumping salarial.

● Faire pression sur les entreprises pour qu’elles mettent en place des cantines, des services de garde d’enfants à temps plein et des tables de repas pour les travailleurs et travailleuses.

La classe ouvrière n’est pas consciente de sa force. Elle a besoin d’expérience au combat pour acquérir de la confiance en soi et doit d’abord reconnaître ses intérêts contraires à l’idéologie bourgeoise, c’est-à-dire développer une conscience de classe. Mais cette confiance en soi ne vient pas des mobilisations sélectives dans les rues et des négociations en coulisses des dirigeants avec les capitalistes. Seule l’intervention directe des gens dans leur réalité et leur auto-émancipation peut produire cette confiance en soi. 

Nous tirons donc les conclusions suivantes :

1. Seule la chute du capitalisme peut libérer complètement les femmes ainsi que toute l’Humanité.

2. La lutte des femmes pour leurs droits commence déjà dans le capitalisme.

3. Ces expériences de combat feront progresser la confiance en soi et la conscience de classe des femmes ainsi que de l’ensemble du mouvement ouvrier.

4. Les revendications des femmes font partie de celles de toute la classe ouvrière et continueront à construire le mouvement ouvrier.

En tant que parti socialiste, nous avons la responsabilité de poursuivre ces conclusions et de combiner les préoccupations des femmes avec celles du mouvement ouvrier. De même, dans ce mouvement, nous devons détruire toute illusion dans le système capitaliste.