L’article suivant a été écrit par la section britannique de la Tendance Marxiste International en 2010, traduit au français en janvier 2019 à l’occasion de la grève du climat.

Pour beaucoup de gens, l’idée d’un changement révolutionnaire dans la société semble être une chimère qui ne sera jamais possible de leur vivant. À cet égard, Trotski a développé l’idée du  » Programme de transition  » : un ensemble de revendications qui pourraient faire passer la société de notre situation actuelle sous le capitalisme à notre objectif final du socialisme international. À quoi ressemblerait un tel programme de transition pour l’environnement ? Quelles revendications les socialistes devraient-ils formuler à l’égard du changement climatique ? Dans cet article, nous tentons d’esquisser un tel programme.

Dans plusieurs articles, nous avons tenté d’aborder différents aspects du débat sur le changement climatique, en abordant certaines des idées qui entourent cette importante question. Nous avons examiné les échecs des méthodes basées sur le marché pour résoudre le changement climatique (Capitalisme, commerce du carbone et Copenhague), et nous avons également expliqué pourquoi les traités internationaux ne peuvent fonctionner dans les limites et les contradictions du capitalisme (L' »Accord de Copenhague »). Le mois dernier, nous nous sommes demandé pourquoi les actions individuelles, à elles seules, n’auront pas d’impact significatif, et pourquoi la seule vraie solution est l’action de masse et le changement systématique (Qui est responsable du changement climatique ?).

Pour beaucoup de gens, en revanche, l’idée d’un changement révolutionnaire dans la société semble être une chimère qui ne sera jamais possible de leur vivant. C’est très bien de présenter cette image utopique, mais il faut expliquer comment en faire une réalité. Léon Trotski, en étalant les tâches de la Quatrième Internationale en 1938, a clairement indiqué que les socialistes doivent aller au-delà des exigences « minimales » avancées par les partis sociaux-démocrates traditionnels, et doivent « trouver le pont entre la demande actuelle et le programme socialiste de la révolution ». À cet égard, Trotski a développé l’idée du « Programme de transition  » : un ensemble de revendications qui pourraient faire passer la société de notre situation actuelle sous le capitalisme à notre objectif final du socialisme international. Nous perpétuons cette tradition aujourd’hui avec notre brochure « Ce que nous défendons« .

À quoi ressemblerait un tel programme de transition pour l’environnement ? Quelles devrait revendiquer les socialistes à l’égard du changement climatique ? Un programme complet et détaillé prendrait de nombreuses pages ; au lieu de cela, nous mettons en avant sept revendications majeures.

Non aux méthodes basées sur le marché

Le libre marché n’a jamais été en mesure de satisfaire les besoins matériels les plus élémentaires de la majorité de la population mondiale. Au lieu de réduire la pauvreté, le capitalisme n’a fait qu’amplifier les inégalités et n’a pas réussi à éliminer la famine, la sécheresse et la maladie. Donc pourquoi devrions-nous penser que les méthodes axées sur le marché seront plus efficaces pour résoudre le problème tout aussi crucial qu’est celui du changement climatique ?

Beaucoup de politiciens, incapables de rompre avec le libre marché, ont tenté de créer une marchandise à partir du carbone. Cela expose les émissions de CO2 aux mêmes contradictions du capitalisme que toutes les autres marchandises. Les spéculateurs et les fraudeurs ont déjà pris le train en marche, tentant de tirer profit du commerce de carbone. Entre-temps, de nombreux économistes prédisent déjà que les marchés du carbone seront au centre de la prochaine grande bulle des actifs.

Les socialistes doivent également être fermement opposés aux taxes sur le carbone. Une taxe sur l’utilisation de l’énergie ou les émissions serait une taxe régressive (comme la TVA) et frapperait plus durement les plus pauvres. La position des socialistes est toujours en faveur d’une taxation progressive, visant les grandes entreprises et les intermédiaires à but lucratif. Les prix de l’énergie ne doivent pas augmenter pour le grand nombre de gens ordinaires qui ont déjà de la difficulté à rester au chaud pendant les hivers froids (Pauvreté énergétique : laisser les pauvres se geler).

Aucune confiance dans les « accords » capitalistes

Bien que nous devons condamner les pays impérialistes qui refusent de réduire leurs émissions, nous devons reconnaître que les accords environnementaux tels que Kyoto ou Copenhague sont voués à l’échec s’ils tentent de fonctionner dans le cadre du capitalisme. Les pays pro-capitalistes ne signeront rien qui puisse nuire aux profits des entreprises de leur pays. Ces contradictions de l’État-nation ont été pleinement mises en évidence à Copenhague et ont entraîné l’échec des accords internationaux sur toutes sortes de questions au fil des années, allant du commerce mondial à l’aide au développement.

Il est clair que la coopération internationale est nécessaire pour résoudre ce qui est clairement un problème international ; cependant, cela ne peut se faire qu’en vertu d’accords conclus par des délégués qui doivent rendre des comptes et qui représentent les intérêts des personnes et de la planète, et non les intérêts des grandes entreprises.

Pour des transports, logements et industries nationalisé et contrôlés démocratiquement

Au Royaume-Uni, les principaux contributeurs à la demande énergétique (et donc aux émissions de CO2) sont les transports, l’industrie et les bâtiments. Sous contrôle privé, ces secteurs opèrent dans un but lucratif et n’ont fait l’objet que de peu d’investissements. En tant qu’individus, nous n’avons ni l’argent ni le contrôle nécessaire pour réduire le gaspillage et l’inefficacité de ces pollueurs. Ce qu’il faut donc, c’est la nationalisation de ces grands consommateurs d’énergie, sous le contrôle démocratique des travailleurs, des syndicats et des représentants élus.

Actuellement, le réseau de transport public est extrêmement inefficace. Après la privatisation en 1993, la ponctualité et la fiabilité du service ferroviaire ne se sont toujours pas améliorés et les prix des transports augmentent chaque année. Dans de nombreuses villes, au moins trois compagnies d’autobus distinctes fonctionnent de manière totalement non coordonnée. Nous exigeons un système de transport public entièrement intégré. Les bus, les tramways et les trains à travers le pays doivent être nationalisés sous le contrôle des travailleurs et la fermeture des lignes de chemin de fer et de bus doit être annulée, en particulier dans les zones rurales. Les prix des transports doivent également être réduits ; un système de transport public abordable et efficace pourrait permettre à des centaines de milliers de voitures de quitter la route, réduisant ainsi la pollution, les maladies respiratoires et les accidents de la circulation, et permettant aux voyageurs d’économiser d’énormes sommes d’argent.

L’industrie et les marchandises qu’elle produit sont sujettes à l’inefficacité à chaque étape de la production. Les matières premières et les ressources sont extraites avec peu de respect pour l’environnement ; la production n’est pas planifiée ; les biens de consommation sont conçus de façon à qu’ils ne durent pas ; les déchets sont rarement recyclés par l’industrie. Dans chaque cas, cela est dû à l’appétit insatiable des grandes entreprises pour les profits, ce qui se traduit par la nécessité de réduire des coûts de production à chaque opportunité. Ce qu’il faut, c’est une économie planifiée démocratiquement, qui pourrait éliminer la dégradation de l’environnement.

Le gouvernement devrait lancer un projet national pour améliorer l’isolation et les systèmes de chauffage de tous les bâtiments, ainsi que soutenir la construction de nouvelles habitations abordables et économes en énergie. Un tel plan réduirait la demande d’énergie et créerait des milliers de nouveaux emplois. Le secteur de la construction doit être nationalisé et contraint de se conformer à des réglementations plus strictes, tandis que les logements sociaux doivent être remis à la propriété publique, et non pas contrôlés par des propriétaires privés qui font des bénéfices sans rien investir en retour.

Pour une transition des combustibles fossiles à l’industrie verte

Les compagnies d’électricité réalisent actuellement d’énormes profits en facturant aux consommateurs des prix scandaleux pour l’électricité et le gaz, tout en investissant que de manière minime dans les technologies renouvelables. Ces entreprises d’intérêt public doivent être prises en charge par le secteur public, sous le contrôle démocratique des travailleurs, ce qui permettra une transition à grande échelle des combustibles fossiles vers des sources d’énergie alternatives, telles que l’énergie éolienne, houlomotrice, marémotrice et solaire.

Pendant la transition vers un secteur énergétique durable, il est inévitable que le pétrole, le charbon et le gaz resteront utilisés pendant une certaine période. Lorsque d’anciennes centrales sont modernisées ou mises hors service, tous les travailleurs doivent être trouvés un emploi ou une formation de remplacement sans perte de salaire.

Nationalisation et contrôle démocratique des banques et des investissements

Dans le « Programme de transition », Trotski soulignait que ce sont les banques qui contrôlent réellement l’économie : « les banques concentrent dans leurs mains le commandement réel de l’économie… Impossible de faire un seul pas sérieux dans la lutte contre le despotisme des monopoles et l’anarchie capitaliste, qui se complètent l’un l’autre dans leur œuvre de destruction, si on laisse les leviers de commande des banques dans les mains des rapaces capitalistes. »

Bien qu’on parle beaucoup d’investir dans les énergies renouvelables et de créer des emplois verts, les gouvernements et les entreprises ont en fait très peu dépensé jusqu’ici. Dans son rapport spécial sur l’investissement dans l’énergie verte, The Economist déclare que « tandis que les décideurs politiques se sont précipités de conférence en conférence pour pousser le monde vers un avenir vert, les investisseurs s’en sont détournés« .

En raison des renflouements de ces dernières années, le gouvernement britannique détient déjà une participation importante dans de nombreuses banques. Ce qu’il faut maintenant, c’est mettre le contrôle de ces banques entre les mains des travailleurs et des syndicats, afin que l’argent public puisse être investi dans des industries vertes et non utilisé pour continuer à verser des primes aux banquiers.

Contrôle démocratique des médias, de l’éducation et de la recherche

En allumant la télévision de nos jours, on se retrouve face à diverses publicités et programmes qui tentent de faire porter la responsabilité de la catastrophe écologique sur des individus ordinaires. Dans certains cas, les médias tentent de nier complètement le changement climatique. Ces instances sont normalement financées par de grands groupes d’intérêts puissants, tels que les industries du pétrole et du charbon, et sont en contradiction totale avec la grande majorité des études scientifiques. La lutte contre cette propagande doit commencer par la lutte pour des médias socialement contrôlés et contrôlés démocratiquement, et non aux mains d’un cartel de magnats.

De plus, les grandes entreprises ont une grande influence sur l’éducation et la recherche environnementale. Par exemple, le Centre for Energy Studies de l’Université de Cambridge est situé dans la Judge Business School et est généreusement financé par BP et ExxonMobil. Nous disons que ce sont les étudiants et les travailleurs qui devraient décider de ce qui est enseigné et étudié dans les universités, et non les entreprises privées.

En 2009, le gouvernement britannique a alloué au ministère de la Défense 44,6 milliards de livres sterling de l’argent des contribuables, soit plus de 7 % des dépenses publiques totales. Ce montant est supérieur aux budgets combinés alloués aux transports, au logement, à l’environnement, à l’énergie, au changement climatique et au développement international. L’argent public ne devrait pas être gaspillé en guerres, mais plutôt investi dans la recherche sur les technologies vertes. Les grandes entreprises de défense, telles que BAE Systems, devraient être nationalisées et leurs capacités productives et scientifiques utilisées pour développer des éoliennes, et non des armes.

Stop à l’utilisation d’aliments comme combustible

Les biocarburants ont été encouragés par de nombreux gouvernements ces dernières années en tant que source durable de carburant ; cependant, les inconvénients des biocarburants sont trop souvent négligés. En convertissant les terres agricoles en biocarburants, les prix des denrées alimentaires augmentent, ce qui frappe le plus durement les populations pauvres. Un programme socialiste rejette l’utilisation actuelle des biocarburants et exige des sources d’énergie véritablement durables.

Les organismes génétiquement modifiés ont le potentiel d’augmenter considérablement le rendement, mais il y a aussi des risques possibles associés à la contamination croisée. Ce qu’il faut, c’est la nationalisation des plus grandes agro-industries et une véritable enquête scientifique sur les cultures génétiquement modifiées par des scientifiques indépendants, et non par des scientifiques financés par les grandes entreprises. Une économie planifiée pourrait distribuer la nourriture de manière beaucoup plus rationnelle, plutôt que de compter sur les forces du marché qui empêchent des millions de personnes d’avoir assez à manger.

La nécessite du socialisme

Les points ci-dessus donnent un bref aperçu de ce que les socialistes devraient revendiquer concernant le changement climatique et l’environnement. Il faut souligner que le socialisme n’est pas intrinsèquement vert ; même si toutes les mesures ci-dessus étaient mises en œuvre, la sécurité de la planète ne serait pas garantie. Une plus grande prise de conscience concernant l’environnement serait encore nécessaire de la part de tous. Ces changements de comportement ne peuvent toutefois se produire qu’en même temps qu’un changement systématique. En plaçant les moyens de production entre les mains de la majorité, la séparation des travailleurs du fruit de leur travail se dissoudrait, et les gens ne seraient plus aliénés de l’environnement.

Le motif du profit est le plus grand obstacle de l’écologisme. En dernière analyse, la plus grande contradiction reste celle de la société de classes. Une fois cette contradiction fondamentale résolue, nous pourrons commencer à aborder les autres contradictions qui peuvent exister, comme celle entre l’humanité et la planète.