Le centenaire de la révolution russe d’octobre 1917 (l’année passée) a provoqué de nombreux débats au sein de la gauche. Des références à la militante marxiste Rosa Luxemburg ont souvent été utilisées pour appuyer une opposition à la révolution d’octobre. Mais quel était réellement le point de vue de cette grande révolutionnaire ?

Rosa Luxemburg fut une des plus importantes membres et théoriciennes du parti social-démocrate allemands (SPD) et de l’international ouvrière durant l’avant-guerre. Fermement opposée à la 1ere Guerre mondiale, elle fut expulsée du SPD et fonda la ligue spartakiste, une organisation marxiste, qui donnera plus tard le parti communiste allemand. Elle reste à ce jour une des marxistes les plus mal comprises, et dont les citations sont souvent détournées pour déformer ses propos.

La révolution russe de Rosa Luxembourg

C’est dans son livre « La Révolution russe » qu’on trouve toutes les citations régulièrement utilisées par les réformistes contre les marxistes défendant l’héritage de la révolution russe. Après avoir vu comment ce livre est utilisé j’ai été surpris de voir que tout le début du livre est un vibrant hommage aux Bolchéviks, à Lénine et Trotsky. Elle explique comment la révolution de février 1917 était arrivée à une impasse où les antagonismes entre le prolétariat ouvrier et paysan et la bourgeoisie ne pouvaient déboucher que sur le socialisme ou la contre révolution : « Au bout de quelques mois, la situation réelle de la révolution russe se trouva résumée dans l’alternative suivante : ou victoire de la contre-révolution ou dictature du prolétariat, ou Kalédine ou Lénine. Telle est la situation qui se produit très rapidement dans chaque révolution, une fois dissipée la première ivresse de la victoire, et qui découlait en Russie des questions brûlantes de la paix et de la terre, pour lesquelles il n’y avait pas de solution possible dans les cadres de la révolution « bourgeoise » ».

Critique des réformistes

Elle dénonce violemment l’attitude du réformiste Kerenski, leader du gouvernement provisoire, et montre la menace de la réaction avec Kalédine ou Kornilov (deux généraux qui ont tenté des putschs ou fait des démonstrations militaire de force).

Elle critique vivement l’attitude des Menchévik (le courant réformiste de l’ancien parti social-démocrate russe) qui prônait la collaboration de classe : « On peut mesurer par là ce qu’a d’utopique et au fond de réactionnaire la tactique suivie par les socialistes russes de la tendance Kautsky, les Mencheviks. (…) Ils s’accrochaient désespérément à la collaboration avec les libéraux bourgeois, c’est-à-dire à l’union forcée des éléments, qui, séparés par la marche logique, interne, du développement révolutionnaire, étaient déjà entrés en opposition violente. Les Axelrod, les Dan, voulaient à tout prix collaborer avec les classes et les partis qui menaçaient précisément des plus grands dangers la révolution et sa première conquête, la démocratie ».

Grande ironie, Rosa Luxembourg voit le véritable danger pour la démocratie dans le même type de réformistes qu’on retrouve aujourd’hui et qui trop souvent se réfèrent à elle pour dire que les Bolcheviks ont tué la démocratie. Le danger pour la révolution et la démocratie n’était pas le parti bolchevik, qui a très bien compris que les intérêts des prolétaires et les intérêts des classes dominantes étaient opposés de manière irréconciliable. Mais c’étaient bien ceux qui voulaient collaborer avec les exploitants sous prétexte de la démocratie, ignorant le fait que ces classes dominants n’avaient d’autre but que de détruire la révolution et les organes de la démocratie prolétaire.

A la lecture du livre on est forcé de constater qu’elle critique plus les positions des ancêtres politiques de la sociale-démocratie que celle des Bolchéviks dont elle fait l’éloge.

Critique des Bolchéviks

Ses principales critiques de la politique des Bolchéviks portent sur quatre points :

Elle juge comme une erreur la redistribution des terres de l’aristocratie aux paysans. Elle aurait préféré qu’il n’y ait pas de redistribution des terres mais directement une collectivisation de l’ensemble des terres et une planification de leurs exploitations. Mais les Bolchéviks ont compris qu’il fallait une redistribution car c’était le seul moyen de gagner les paysans à la révolution. Dans un pays arriéré où la classe prolétaire était encore une minorité, c’était une nécessité absolue pour le succès de la révolution.

Une autre critique importante porte sur la question de l’autodétermination des peuples. Les Bolchéviks ont donné aux nations opprimés sous le tsarisme le droit de voter pour leur indépendance. Elle trouvait que c’était diviser les travailleurs en créant de nouvelles nations alors que les Bolchéviks voulaient rebâtir une nation débarrassée de l’oppression des minorités nationales avec une coopération pleinement voulue. Sur ces deux points, Rosa attaque les Bolchéviks sur leur gauche et non sur leur droite, écartant des droits démocratiques fondamentaux en faveur de mesures beaucoup plus «extrêmes». Il est bizarre de voir que les réformistes, notamment certains à la JS, la montrent comme étant plus modérée que les Bolchéviks alors que ce n’est pas le cas.

Son autre critique la plus importante porte sur l’Assemblée Constituante après la révolution. Les Bolchéviks ont décidé de dissoudre l’Assemblée Constituante car, selon eux, elle était moins démocratique que les soviets (terme russe pour «conseils», les organes démocratiques des ouvriers et des paysans) et avait été manipulée par la bourgeoisie à ses fins. En soi Luxemburg ne critique pas sa dissolution car elle en reconnaît le caractère bourgeois. Par contre, elle critique le fait que les Bolchéviks se soient contentés de leur élection démocratique par les Soviets ouvriers et paysans et non d’une élection plus large. De plus, elle critique les restrictions des libertés de la presse et démocratique mises en place à cause de la guerre civile. Mais, elle reconnait par la suite que cela était nécessaire en raison de la menace qui pesait sur la révolution. Dans ce livre, l’auteure se contredit elle-même. Alors que ses critiques portent sur le fait que cette révolution n’était pas idéale, Luxemburg explique juste après qu’il n’y avait en vérité aucune d’alternative.

Dans la conclusion de son ouvrage, la révolutionnaire montre que les Bolchéviks ont eu raison d’être radical et que c’est leur radicalité qui a permis le triomphe de la révolution. Les sociaux-démocrates russes, avec leur politique de collaboration de classe et de soutien aux institutions bourgeoises, menaient la révolution à sa perte. C’est ce même genre de politique que les réformistes soutiennent actuellement.

Conclusion

Comme j’ai essayé de le démontrer, les socialistes actuels qui citent le livre de Rosa Luxemburg pour s’attaquer à la révolution russe (notamment dans certains papiers de positions émises par des groupes dans la JS) se réfèrent systématiquement à des citations isolées. Non seulement ils détournent des citations en les sortant de leurs contextes, mais surtout ils ne prennent pas en compte le fait que l’auteure n’était pas opposée aux Bolchéviks. Elle comprenait parfaitement que la démocratie bourgeoise n’est qu’une façade : si la bourgeoisie voit ses intérêts trop menacés, elle n’hésiterait pas à mettre en place la répression violente et la dictature.