Après la 1:12 et l’initiative contre l’immigration de masse, une nouvelle votation populaire approche. Le 18 mai sera décidé l’introduction ou pas d’un salaire minimum de 4’000 francs en Suisse. Cette votation est d’une importance cruciale pour la gauche et pour le mouvement syndical car un tel salaire améliorerait concrètement les conditions de vie d’au moins 330‘000 salarié-e-s. Pas étonnant que cette revendication jouisse d’un soutien large en Suisse. Selon un sondage du printemps dernier, 76% des suisses soutenaient cette initiative. Une fois de plus, et ceci n’est en rien étonnant, cela risque d’être fort serré : en mars 2014, 52% des sondés se prononçaient encore pour le salaire minimum. D’autres enquêtes montrent un soutien encore plus bas.

Face à de tels initiatives, la bourgeoisie sort toujours le même argumentaire, en commençant par la supposée destruction de l’emploi. Ils prétendent que des emplois à temps partiels disparaîtraient et que le système de formation professionnel serait menacé. En réalité, ils masquent consciemment le fait que les entrepreneurs engagent des salarié-e-s non pas par conscience sociale mais parce qu’ils ont besoin de leur force de travail ! De plus, des délocalisations à cause du salaire minimum ne sont envisageables que dans des cas isolés. Il faut bien rappeler que c’est avant tout dans le commerce de détail que des salaires de misères sont versés. Et on ne peut pas avoir des vendeuses et des coiffeurs qui exercent leur métier… depuis la Chine ? On a besoin de leur travail en Suisse. Mais finalement, ce qui compte pour les patrons sont leurs profits. C’est intéressant de voir que ceux-ci sont souvent étonnamment élevés dans le commerce de détail. Donc, les bourgeois ne luttent ni pour le bien-être des salarié-e-s, ni pour un bon fonctionnement de l’économie suisse, mais uniquement pour leurs propres intérêts.

Malgré les agréables résultats des sondages précédents, nous faisons actuellement face à un revirement, similaire à ce qui s’est passé avec la 1:12. Ceci reflète la peine que la gauche et les syndicats ont dans l’affrontement contre les campagnes de menaces des bourgeois. Que nous disposons de moins de ressources financières est une évidence. Mais ceci ne veut pas dire que nous ne pouvons pas gagner. Cela montre plutôt l’incapacité des syndicats et encore plus de la social-démocratie à mobiliser des couches larges de salariés de manière fiable et soutenue, à les motiver à participer activement dans la campagne et à provoquer de l’agitation sur leurs réseaux. Ceci n’est pas étonnant, sachant que les syndicats ne sont présents sous une forme organisée que dans très peu d’ateliers. Très souvent, les activités syndicales ne ressemblent plus qu’à des opérations de commando des grands appareils syndicaux, dans lesquels les militants ne jouent qu’un rôle secondaire ou pas de rôle du tout. La situation est pire encore dans la social-démocratie. Des années de partenariat social et de participations aux gouvernements ont amené les syndicats et le PS à des capacités mobilisatrices marginales. Des initiatives, quoique progressistes, n’arrivent pas à combler en elles même ce manque.

Le fait que des couches larges de salariés éprouvent de la sympathie pour ce genre de revendications de gauche devrait nous rendre optimistes. Cela aurait été impensable il y a encore 10 ans. L’éclatement de la crise en 2008 avec l’effondrement bancaire à l’échelle mondiale et les plans de sauvetage n’est pas passé sans effets en Suisse. Le sauvetage d’UBS a été particulièrement important pour la conscience des  couches larges de la population. L’une des plus grandes banques du monde, UBS, figurait comme un exemple-type du capitalisme financier moderne. Elle combinait des bénéfices et des bonus énormes avec une grande influence et autorité politique en Suisse. Les banquiers étaient considérés comme des sorts de super-héros qui rendaient ce pays riche et les politiciens bourgeois se vantaient d’être proches d’eux. Pendant des décennies, les grandes banques suisses contrôlaient de manière relativement ouverte et directe la politique suisse. Le secret bancaire, c’est-à-dire l’interdiction légale d’échanger des informations sur des comptes bancaires entre administrations fiscales domestiques ou étrangères, était considérée comme une recette de succès parmi la population, comme constituant l’identité suisse, un mythe. Avec la crise financière et le sauvetage d’UBS, cette conscience a soudainement changé. Malgré l’injection de 68 milliards de francs dans les comptes d’UBS, les salaires et bonus de plusieurs millions de francs pour les managers et les spéculateurs persistaient. C’est ainsi qu’au bout de quelques semaines, cette image, cultivée pendant des décennies, de banquiers suisses responsables s’est vite effondrée. Dans un sondage représentatif, la fiabilité des banquiers chutait pour atteindre le niveau d’un proxénète. Les salaires et bonus des banquiers entraient dans le débat public du pays tout entier, ce pays où pendant des décennies on était fiers de ne pas (devoir) discuter d’argent. Même la presse bourgeoise qui avait auparavant fayotté les banquiers et les managers commençait à les égratigner.

Ce revirement avait aussi comme fond les effets de la crise à d’autres niveaux. C’est ainsi qu’entre 2008 et 2009,  il y a eu des vagues de licenciements de masse dans l’industrie qui intensifiaient la colère des salarié-e-s à l’égard des banquiers. Ces derniers ainsi que les élites financières, à leur tour, ne faisaient que renforcer cette colère en présentant leurs salaires comme un reflet de leurs performances. Sous les nouvelles conditions, ces tentatives étaient vaines. L’inégalité des fortunes et des revenus était devenu un sujet récurrent. D’après Crédit Suisse, 1% de la population possède 59% des fortunes, ce qui veut dire qu’il y en a que très peu de vrais riches dans cette « Suisse riche ». Le revenu moyen d’un PDG est 43 fois plus élevé que le salaire médian. En même temps, un suisse sur huit est menacé de tomber dans la pauvreté. Nombre d’entre eux sont des « working poors ». De tels chiffres ne sont plus uniquement publiés dans la presse de gauche, mais aussi avec plein d’indignation dans la presse de boulevard. Il n’y a donc pas de raison d’être pessimistes.

Toutefois, des grandes votations isolées ne sont pas suffisantes ; notre but principal doit être d’organiser et d’activer la jeunesse et les salariés. Un pas dans le bon sens a été fait avec l’adoption par la jeunesse socialiste du programme d’action de la tendance marxiste. Il ne s’agit donc pas de mener la bataille uniquement dans la presse bourgeoise et à travers des nouvelles initiatives populaires. Il est d’autant plus important de construire des groupes dans les écoles et dans les ateliers, d’organiser les apprentis, de lutter contre l’austérité et pour des espaces culturels libres. Car au final, il ne s’agit pas pour nous de gagner quelques votations, mais notre tâche est de convaincre les salarié-e-s de la nécessité du socialisme. Des initiatives populaires ne peuvent pas être plus qu’un moyen pour atteindre ce but. L’initiative pour le salaire minimum, tout comme la 1:12, sont la preuve qu’il est possible de défier la puissance économique de la bourgeoisie tout en convaincant des larges couches. Ceci est la leçon la plus importante pour les travailleurs : il est possible d’aller en offensive et de lutter pour des revendications socialistes. Les conditions sont même très bonnes pour le faire !

La rédaction