En 2008, nos camarades suisse-alémaniques avaient pu interviewer Gianni Frizzo, le dirigeant de la grève des ateliers de CFF Cargo à Bellinzona. Presque six années plus tard, nous l’avons de nouveau rencontré lors de la réunion de la commission jeunes du syndicat Unia. Il eut la gentillesse de nous accorder un deuxième interview.

Quelle est la situation dans l’atelier aujourd’hui, six années après la grève ?
La situation reste très difficile pour nous. C’est une lutte quotidienne pour défendre le respect et la dignité que nous avons conquis à travers la grève. Notre droit de regard est mis en question chaque jour. Nous avons beaucoup obtenu et nous avons pu empêcher la fermeture des offices. Les CFF ont entre temps changé leurs tactiques. Ils procèdent plus lentement, en utilisant la dite « tactique de salami », mais leur but reste le même qu’en 2008. Il y a beaucoup d’exemples, comme celle des restructurations dans les ateliers de Biasca. Les CFF te marquent soit avec la vie ou la mort. Une fois que tu es marqué avec le tampon mort, c’est très difficile d’encore sauver quelque chose. Mais nous avons réussi à l’empêcher et nous nous protégeons d’autres attaques.

Est-ce que les assemblées d’atelier et le droit de regard existent encore, ou est-ce que cela a changé ?
Les  rencontres hebdomadaires du comité des ouvriers se tiennent encore. Certes, les tables rondes hebdomadaires entre les délégués ouvriers et les représentants des syndicats, ainsi que le management des CFF n’existent plus dans les mêmes proportions. Mais il y a encore des rencontres régulières entre des secrétaires syndicaux d’Unia et du SEV, l’association du personnel Transfair et le comité directeur des CFF. On n’y discute pas uniquement de la question des salaires, du temps de travail ou de la sécurité au travail, mais aussi du travail lui-même ; comment on travaille et ce qu’on fait. Une lutte large et dure fut nécessaire pour obtenir tout cela.

En 2010, nous avons fondé une association composée des salariés des offices et de sympathisants dans laquelle nous avons versé les restes du fond de grève qui s’élevait à environ 250‘000 francs.  Les buts de l’organisation consistent à défendre les offices, à maintenir le droit de participation dans les affaires des offices, tout comme aborder des questions syndicales et sociales plus larges. Cette association est malheureusement vue d’un mauvais œil par les syndicats, car ils craignent une certaine concurrence. Au lieu de nous soutenir, ils nous considèrent comme des ennemis.

Est ce qu’il vous faut encore craindre de la répression de la part des CFF ?
Il y avait une tentative d’attaque sur le plan juridique. Cette attaque servait en premier lieu à « préparer le terrain », à tester notre réaction. Nous sommes sous pression constante. Surtout lorsque les CFF communiquent des modifications dans l’atelier et qu’ils veulent nous interdire de prendre position publiquement. Ils appellent ça « retour à la normalité ». Nous sommes censés respecter qu’il n’y ait qu’un service de communication dans les entreprises qui ait seul le droit de communiquer vers l’extérieur de l’entreprise. Nous refusons cette « normalité ».

S’il y avait une attaque aujourd’hui, est-ce que vous serriez prêts à vous battre ?
Pour nous attaquer aujourd’hui, il leur faudrait beaucoup de courage, ou plus encore, car nous sommes bien préparés. Entretemps, nous avons environ 15‘000 numéros de téléphone de militants que nous pouvons contacter à tout moment. Certes nous ne pourrons pas mobiliser toutes ces personnes, mais en même temps je ne pense pas qu’on ait besoin d’autant de personnes. Sans vouloir paraître arrogant, ce sont plutôt les CFF qui doivent se préparer pour pouvoir lancer une attaque, car de notre côté, il y a encore beaucoup de pression. Comme réponse à notre grève de 2008, le Conseil d’Etat à Bellinzona à proposé un centre de compétences pour des chemins de fers durables. Ce projet va maintenant débuter en automne 2014. Ceci nous montre que nos adversaires, les CFF et l’Etat, nous considèrent encore comme une force qu’il faut craindre. Si non, ils n’auraient jamais eu l’idée de mettre en place un tel centre de compétences.

Evidemment, la situation n’est plus comme en 2008. La grève est finie et c’est pourquoi nous sommes moins importants pour les partis. Nous maintenons des bons contacts mais ne les utilisons que quand c’est nécessaire. C’est important que nous nous arrangions avec tous ceux qui veulent nous soutenir, notamment pour faire circuler les informations. Ça serait beau de ne pas devoir s’arranger avec les partis de droite, mais la réalité est qu’il n’y a pas tous les travailleurs qui s’orientent vers la gauche. Il nous faut un sens pratique. Nous ne disposons pas de journal avec lequel nous pouvons atteindre les gens, comme nos ennemis potentiels : la Lega dei Ticinesi. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous démarquer entièrement.

Le Tessin a presque accepté l’initiative 1:12 et a, en même temps, accepté l’initiative sur l’immigration de masse. N’est-ce pas une contradiction ?
L’UDC a bien su instrumentaliser l’argument des emplois manquants. C’est, entre autre, pour ça qu’on a voté ainsi au Tessin. Nous pouvons dire que le résultat au Tessin est contradictoire. Mais pour les travailleurs cette contradiction n’a pas d’importance. Ça aurait été notre tâche ici de donner les bonnes réponses et de démasquer nos vrais ennemis sur cette question. Nous l’avons raté. La droite politique soutient les délocalisations d’entreprises italiennes vers la Suisse – on y fait même de la promotion active. En même temps, ils rallient la population derrière eux en râlant sur l’augmentation continue de l’immigration. Pour nous, il est clair que les délocalisations ne font pas uniquement déplacer les entreprises, mais également les problèmes. C’est pour ça que nous devons approcher la question avec un focus globale. Les emplois qui sont déplacés en Suisse manquent en Italie et vice-versa.

On travaille suffisamment en Europe aujourd’hui pour que toutes les personnes puissent avoir une vie agréable. Mais, en même temps, il y a un chômage énorme. Il est temps de sortir à nouveau la revendication : « nous travaillons tous, mais moins ». Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi elle est passée à la trappe.