L’aéroport de Cointrin est certes un petit aéroport. Mais le chiffre de voyageurs et la pression sur les employés sont grands. Une enquête.

Depuis 2009, des grèves et mouvements de résistance éclatent très régulièrement à « Genève Aéroport ». En 2010, les bagagistes de Swissport luttent et obtiennent de meilleures conditions de travail. Un an plus tard, une grève éclate chez ISS Aviation, entreprise de nettoyage. Elle durera 121 jours. Actuellement, les employés de Gate Gourmet sont en grève depuis le 14 septembre. Pourquoi ces grèves se produisent-elles, quels sont leurs résultats et quelles sont leurs implications sur le mouvement ouvrier ?

L’Aéroport International de Genève – Une entreprise publique ?

Genève Aéroport (GA) est un établissement public autonome. Il est présidé par Isabel Rochat (PLR), en tant que responsable du département de la solidarité et de l’emploi. L’actuel PDG de cette « entreprise » est Robert Deillon, ancien vice-président de la Division Europe de Gate Gourmet. Pour préserver la compétitivité face aux aéroports de Zurich et Bâle, un demi-milliard de francs a été investi dans son infrastructure depuis 2007. L’année dernière, le cap des 13.9 millions de passagers a été dépassé. Sur le marché de l’aviation règnent une concurrence impitoyable et une monopolisation forte. Le marché des long-courriers est divisé en trois cartels : Sky Team, One World et Star Alliance. Mais GA dépend aussi du marché des court-courriers : Easy Jet est responsable de 40 % du trafic. Pourtant GA se défend bien. Il a pu verser plus de 350 millions au canton de Genève, ce qui représente la moitié du profit de l’institution. Ainsi, ce n’est pas surprenant que cette entreprise publique autonome soit obligée d’exploiter les installations et la main-d’œuvre au maximum, afin de réaliser ce chiffre.

Mêmes problèmes partout

9500 personnes sont employées à Cointrin par une quantité importante d’entreprises distinctes. Parmi elles figurent de très grandes entreprises. Le chiffre d’affaires de ces multinationales ne souffre pas de la crise économique. Pour poursuivre l’envolée des profits, ces entreprises prennent chez les employés tout ce qu’elles peuvent : SR Technics augmente la charge d’horaires, Easy Jet refuse depuis 5 ans de négocier une CCT, Skyguide essaye de diminuer les pensions et Swissport et ISS sont en train de vider le contenu de leurs conventions collectives de travail (CCT) récemment défendues ou même améliorées. De cette pression témoigne la pétition en soutien des grévistes de Gate Gourmet que le SSP a fait signer dans les établissements actifs de l’aéroport. Plus que 2500 employés solidaires l’ont signée. Un record pour le syndicat. Mais les employés ne sont pourtant venus qu’en petit nombre au rassemblement syndical devant l’entrée du check-in. La crainte de subir des représailles a été trop grande pour les employés. A SR Technics, la participation au rassemblement était explicitement interdite et le responsable est venu contrôler personnellement qu’aucun de « ses » employés ne s’y est rendu.

Malgré cette pression croissante, la défense des conditions de travail avec tous les moyens disponibles n’est pas une affaire courante en Suisse. Mais à l’aéroport de Genève, les travailleurs et le Syndicat du Service Public (SSP) nous fournissent des exemples intéressants. Qu’est-ce que nous pouvons apprendre de ceux-ci??

Une grève?? C’est quoi??

Un « arrêt de travail » est un outil de lutte économique des employés afin de faire pression sur leurs employeurs de manière à obtenir des concessions de ce dernier. En raison du refus de travailler, un préjudice se produit sur l’employeur. Ceci peut être de nature financière (l’entreprise ne produit pas le bien ou le service qu’elle devrait), mais aussi publicitaire, la pression sociale donne une mauvaise image de l’entreprise, à cause de la grève. Cette possibilité d’infliger un dommage économique à l’employeur est une arme très puissante dans les mains des travailleurs. Elle peut être utilisée afin d’exiger le respect ou l’amélioration des conditions de travail ou le maintien d’un site en danger de délocalisation. Mais pour être efficace, une grève doit être bien préparée et mise en œuvre. Le syndicat ne peut pas juste proclamer la grève. Les employés doivent être convaincus et connaître les risques. Ils doivent être sûrs que la majorité suit la consigne. Sinon la grève ne sert à rien du fait qu’elle n’inflige pas de dommage suffisant et ne génère alors pas assez de pression. Les premiers pas à suivre doivent être décidés d’avance et les grévistes doivent être prêts à la première réaction (souvent musclé) de l’employeur. Un comité de soutien doit être fondé si la grève perdure, afin de mobiliser un soutien plus large.

A l’exception de Genève, peu de grèves se produisent en Suisse. Depuis 1937, le spectre de la « paix du travail » hante la Suisse. Dans les branches économiques où une CCT règle les conditions de travail, il est interdit aux employés de faire recours à la grève. Une telle convention est généralement négociée tous les quatre ans entre les représentants des employeurs et les syndicats. Avant cette convention phare, les employeurs signaient une CCT uniquement lorsqu’une forte syndicalisation prédominait dans le secteur. Grâce aux conventions, les patrons se prémunissent contre les grèves couteuses. Aujourd’hui, ces raisons ont changé. Pendant que les appareils syndicaux signent plus facilement une CCT avec un contenu peu contraignant, à cause de logiques diverses qui peuvent émaner de la logique interne de l’appareil syndicale. Les employeurs, eux, signent toujours pour la même raison : être sûrs que les travailleurs ne deviennent pas insoumis. En plus, les conventions collectives signées par un nombre important d’entreprises, ou une CCT déclarée de portée générale, empêche la concurrence déloyale entre patrons.

Mais à l’aéroport il y en ades grèves !

La grève des bagagistes de Swissport en 2010 était une grève exceptionnelle pour plusieurs raisons. Swissport avait négocié et signé une nouvelle CCT avantageuse pour l’employeur avec le syndicat « jaune » PUSH (fondé par l’ancien Swissair et lié directement aux milieux patronaux). Les employés, majoritairement organisés par le SSP, se sont fâchés. Des négociations sous l’égide de l’ancien président de l’aéroport, François Longchamp, échouent. La majorité des bagagistes de Swissport commence une grève qui va durer dix jours. Elle provoque des dysfonctionnements dans le traitement des bagages et des retards de vols. Celles-ci peuvent uniquement être compensées à l’aide de briseurs de grève constitués de pompiers et de bagagistes envoyés en bus depuis Zurich. Le deuxième samedi de la grève, les collèges de la piste font un débrayage de solidarité. La direction de l’aéroport craint l’extension de la grève et se plie. Les grévistes ont conquis de meilleures conditions de travail et une augmentation de salaire non seulement pour eux, mais aussi pour d’autres 300 employés de Swissport. Ce succès était inattendu. Deux facteurs étaient clés : la détermination des grévistes et la solidarité du personnel. Le dysfonctionnement dans le tri de bagage a mis de la pression sur l’entreprise et la menace de l’extension de la grève fit déborder la vase.

Les conclusions sont tirées

La grève à Swissport est devenue un exemple, pas seulement pour les autres travailleurs de l’aéroport, mais aussi pour la direction qui en a retenu les leçons. Une année plus tard, ISS Aviation dénonce la CCT et la renégocie de nouveau avec le syndicat jaune PUSH. Le résultat contient une dégradation forte des conditions de travail et des salaires. Les employées de nettoyage essayent de suivre l’exemple des bagagistes. Pour empêcher une participation importante et une extension de la grève, la direction met un maximum de pression sur les employés et les divise avec des entretiens individuels et en les achetant avec des augmentations de salaire isolées. Quinze nettoyeuses embarquent dans une grève de 121 jours. Du fait qu’elles se trouvent en forte minorité (plus de cent employés d’ISS acceptent la dégradation des conditions), elles doivent porter leur lutte dans la sphère publique et dans les médias. Avec des actions très créatives, le soutien par les organisations syndicales et de gauche, tout comme avec l’encadrement coûteux du SSP, elles arrivent à un compromis avec l’entreprise qui leur accorde de meilleures conditions que celles stipulées par la nouvelle CCT, mais tout de même pas du niveau de l’ancienne convention. Cette grève a lancé des débats de fond sur la tactique de grèves. Vaut-il la peine de fomenter une grève aussi minoritaire dont l’issu est fort incertain?? Il n’y a rien de pire qu’une grève perdue parce que cela démoralise les autres employés de l’aéroport, surtout dans une période où les attaques contre les conditions de travail sont affaire courante. Il est de l’obligation des syndicalistes d’évaluer les risques. Trop d’optimisme ou le principe « une grève vaut toujours le coup » peut avoir des conséquences néfastes pour le mouvement.

Les mêmes obstacles se manifestent dans la grève des salariés de Gate Gourmet en cours. Sur 120 employés, plus de 80 sont entrés en grève. Mais maints grévistes sont retournés au travail et l’employeur a pu faire appel à d’anciens collaborateurs pour maintenir les activités sans perturber les livraisons de menus. Même cet arrêt de travail initialement massif n’arrive pas à réaliser son arme la plus efficace, faire perdre au patron du pognon ! Même si Gate Gourmet doit effectuer des dépenses supplémentaires substantielles (pour l’emploi des agents de sécurité et d’intérimaires afin de briser la grève), la grève a quasi perdu son essence de blocage de production des menus préfabriqués. Ceci rend son sort très incertain. Apparemment, le syndicat n’a pas trouvé les moyens pour ne pas tomber une deuxième fois dans le même piège.

La tempête se lève

Il y a cependant une explication primordiale au sort des deux dernières grèves : l’employeur a réussi à diviser les travailleurs de sorte qu’un tout petit nombre continue la grève. Ce nombre était trop insignifiant pour infliger des dommages douloureux à l’employeur dans les deux cas une entreprise internationale. Pour le cas d’ISS, l’entreprise se voyait quand même obligée d’investir dans une campagne publicitaire coûteuse afin de discréditer les grévistes devant « l’opinion publique » à laquelle les grévistes, elles aussi faisaient appel. Mais le rapport de force dans l’entreprise reste toujours le facteur décisif dans de telles luttes. Pour avoir du succès, une grève doit obligatoirement bloquer une partie du processus du travail. Les entrepreneurs pensent principalement à travers leur portefeuille. Ils sont prêts à lâcher uniquement lorsqu’ils ne peuvent pas vendre leur produit ou leur service, vu que leur production est bloquée. Et pour arriver à cela, la période de préparation qui précède à la grève est décisive. D’elle dépend, en grande partie, si la grève sera un succès ou pas.

Les pressions sur l’ensemble des employés à l’aéroport de Genève augmentent constamment, et ceci dans tous les établissements présents. Cela se passe à travers la mise en concurrence accrue entre des entreprises du même secteur, la casse des CCT ou l’augmentation sans cesse de la charge horaire et de l’intensité du rythme de travail. Même chez Swissport, où la CCT était défendue grâce à un mouvement exemplaire, les bagagistes ne sont pas à l’abri de ce nouveau vent froid qui traverse les 150 entreprises actives sur le terrain de l’aéroport international de Genève. Les employés de l’aéroport ont compris depuis un bon moment les expériences d’autres ouvriers en Europe : le temps des négociations aimables est passé. La seule façon de défendre les conditions de travail est d’utiliser tous les moyens à disposition et particulièrement la grève. Mais avant toute action, il y a encore une étape décisive : l’organisation de la grève

  • Pour un syndicalisme combatif, démocratique et ancré sur les lieux de travail !
  • Pour la nationalisation et renationalisation de toutes les entreprises actives sur l’Aéroport de Genève !

Caspar Oertli
JS Genève