Avec sa campagne d’organisation politique d’apprenti-e-s, la JS lance pour 2015 un projet ambitieux. L’objectif est de devenir le parti qui représente les apprenti-e-s et jeunes en formation. Depuis les années 70, les apprenti-e-s ont été largement laissé-e-s de côté par les organisations politiques de gauche. Pour reprendre cette problématique, un positionnement politique par rapport à l’institution de l’« apprentissage » est nécessaire.

 

Dans notre contre-proposition au papier de position du comité directeur de la JS, nous essayons de regarder au-delà de « l’histoire d’un succès » que l’ensemble de l’opinion publique bourgeoise veut nous faire croire. Nous publions ici la partie analytique de notre papier de position, proposition que nous avons soumise à l’assemblée annuelle 2015 de la JS Suisse.

L’apprentissage n’est pas de la tarte !

Le contrôle démocratique de l’économie est une des revendications clés de la JS. Nous ne pouvons atteindre ce but qu’en changeant les rapports de forces réelles en notre faveur au niveau des entreprises. La classe ouvrière est la force sociale qui peut renverser les conditions dominantes et ainsi dépasser le capitalisme. Ceci n’est pas une conclusion arbitraire, mais nous l’extrapolons des lois de mouvements historiques de la société de classe. C’est pour ces raisons que la construction de forces socialistes auprès des salarié-e-s est centrale. Les conditions pour celle-ci sont tout à fait favorables. La crise du capitalisme a des effets de plus en plus immédiats sur la condition de vie des salarié-e-s en Suisse. Les apprentis en particulier les ressentent fortement. C’est ainsi que la crise ne reste plus seulement une notion abstraite, mais se manifeste directement dans la vie concrète de larges couches de travailleur-euse-s. Tôt ou tard ceci va provoquer des bonds dans les consciences et nous devons leur apporter une expression politique. Le champ est ouvert pour une agitation socialiste auprès des jeunes travailleur-euse-s.

73 % des jeunes en Suisse choisissent une formation professionnelle duale à la fin de l’école obligatoire. En conséquence, une grande partie des jeunes travailleur-euse-s est très tôt soumise directement à l’exploitation directe dans l’économie privée avec tous les oppressions qui y sont relatives. Des jeunes travailleur-euse-s sont dès le début soumis à un patron et peuvent être licenciés. Leur perspective de carrière professionnelle est l’ascension au sein de l’entreprise. Ces faits ont un effet fortement disciplinant sur ces jeunes. Ils se font dézinguer de manière quasi systématique pendant leur apprentissage, ce qui y joue un rôle important.

Ceci ne signifie cependant pas que les apprenti-e-s n’ont pas de potentiel révolutionnaire. Les contradictions entre les conditions insupportables et la pression permanente, s’exacerbent sous la surface. L’insatisfaction parmi les apprenti-e-s constitue une bombe à retardement prête à exploser. Nous pouvons déduire des mouvements d’apprenti-e-s historiques qu’ils peuvent, comme une des couches les plus opprimées de la classe ouvrière, jouer un rôle extrêmement radical dans la lutte des classes, étant donné que les conditions politiques sont favorables et surtout que nous menons une agitation consciente parmi eux.

L’apprentissage en crise

La condition des apprenti-e-s en Suisse est souvent très précaire. Le rapport sur les apprentis d’Unia et les cas du «?Pilori des places d’apprentissage?» («?Lehrstellenpranger?») dévoilent clairement les abus?: des heures supplémentaires, des travaux étrangers à la profession, de l’humiliation, voire même de la violence physique sont à l’ordre du jour pour un grand nombre d’apprenti-e-s. Les bourgeois essaient de présenter ces abus comme des cas uniques regrettables dans un système de formation professionnelle duale qui serait en grande partie un franc succès. Les chiffres suivants montrent cependant que ces problèmes constituent un phénomène largement répandu. Les entreprises indiquent elles-mêmes que les apprenti-e-s en première année passent plus de 50 % de leur temps de travail avec des travaux étrangers à leur profession (Strupler/Wolter 2012: 45).

Malgré des dispositions légales l’interdisant, le rapport sur les apprentis d’Unia montre que 55 % des apprentis doivent travailler plus longtemps que neuf heures par jour au moins une fois par mois. 25 % des apprentis n’obtiennent cependant pas de compensation financière ou temporelle pour ces heures supplémentaires illégales (Unia 2014?: 12).

La sécurité au travail n’est en même temps assurée en rien. Selon une enquête de la SUVA, le risque d’un accident est 60 % supérieur chez les apprenti-e-s que chez ceux l’ayant déjà terminé. Annuellement, un apprenti sur huit se blesse au travail et on compte trois accidents mortels (Suva 2013, pp. 2). Des jeunes travailleurs décèdent alors directement sous les conditions d’exploitation capitaliste et des pressions au travail qui l’accompagnent.

Contrôle ?

Comme si la situation actuelle ne serait pas déjà suffisamment grave, le Conseil fédéral a pris la décision, sous la pression des entrepreneurs, de baisser l’âge de protection des jeunes à 15 ans. Jusqu’en 2008 cette limite d’âge était encore fixée à 20 ans. Concrètement, cela signifie que, depuis août 2015, des jeunes de 15 ans devraient travailler aussi avec des produits chimiques cancérigènes, avec des microorganismes contagieux et des matériaux radioactifs (voire USS 2014).

Que 28 % des apprentissages soient résiliés avant leur terminaison n’est pas étonnant. Une enquête auprès des apprenti-e-s dans la construction montre clairement où sont les problèmes. 52 % d’entre eux indiquaient que leurs capacités seraient sous-exploitées et qu’ils ne fussent utilisés que pour des travaux de manœuvre. Encore 52 % indiquaient qu’ils étaient esquintés lorsqu’ils faisaient des erreurs (SSE, 2014, p. 3). Ces conditions lamentables durant l’apprentissage ne sont alors pas des cas uniques, commises par des moutons noirs parmi les entreprises. Les origines de ces abus résident dans le système capitaliste lui-même et dans la manière dont la formation professionnelle s’y insère.

La concurrence capitaliste force les entrepreneurs à optimiser continuellement leurs coûts en vue de la recherche des profits les plus élevés possible. Optimiser des coûts ne signifie rien d’autre que mettre les salaires sous pression et demander des heures supplémentaires. Les apprenti-e-s sont particulièrement exposés à ces pressions. En raison de leur bas salaire , ils peuvent être utilisés pour toute sorte de travaux non-qualifiés. En plus, ils sont tout en bas de l’échelon de commande dans une entreprise. Ceci signifie que la pression exercée par des patrons afin de faire travailler plus vite et moins cher se transmet en fin de compte sur les apprenti-e-s à travers la hiérarchie dans l’entreprise. Ce qui souffre est la qualité de la formation, mais surtout aussi l’apprenti en lui-même. La pression sur les apprenti-e-s s’amorce alors durant la crise de manière concrète en raison de leur position dans le processus de production. Dans ce sens, le système de formation duale et le secteur des stages offrent la possibilité aux patrons d’employer des jeunes salarié-e-s à des salaires de dumping. Ce n’est alors pas un hasard qu’il y ait un excédant de place d’apprentissage, malgré la crise. Au contraire, cela témoigne de la volonté des patrons d’utiliser les apprenti-e-s comme main-d’œuvre bon marché, justement durant la crise. Pendant l’apprentissage, le salaire perçu ne suffit même pas pour s’entretenir. C’est ainsi que les apprentis sont dépendants de leurs parents, malgré le fait qu’ils travaillent. Ceci signifie que l’exploitation durant l’apprentissage a aussi des effets sur les parents. Ils doivent porter une bonne partie des coûts de vie de leurs enfants, parce que les entreprises ne sont même pas prêtes à assurer l’existence de leurs jeunes forces de travail.

Il y a évidemment des grandes différences entre les différentes branches et entreprises. Pour des métiers hautement spécialisés, certaines entreprises investissent des quantités considérables d’argent et de temps pour la formation d’un personnel qualifié. Ceci a évidemment des effets positifs sur la qualité de la formation. Ces entreprises dépendent d’un personnel qualifié qui est en partie aussi formé directement pour des travaux spécialisés spécifiques à cette entreprise. Les motifs derrière ceci restent cependant les intérêts de profit des entreprises.

La formation professionnelle est directement soumise aux intérêts des entrepreneurs privés et de leurs associations patronales. Ce sont eux qui dictent le syllabus. Déjà durant leur formation les jeunes travailleur-eus-s sont soumis à la pression de l’exploitation capitaliste et se trouvent à la merci du patron. Cette pression commence d’ailleurs déjà à l’école secondaire quand tout s’oriente à préparer le futur apprenti à la recherche d’emploi. Au lieu de donner aux jeunes la possibilité d’apprendre un métier créatif qui correspond à leur besoin et à ceux de la société, ils doivent vite apprendre que le libre choix de métier n’est en réalité qu’une farce. La pression de trouver une place d’apprentissage jusqu’à la fin de l’école obligatoire pousse souvent ces jeunes à accepter celle qu’on obtient. Ce sont alors de nouveau les entrepreneurs qui décident quel métier on peut apprendre.

Quel contrôle ?

Les régulations existantes des conditions d’apprentissage sont insuffisantes, mais leur application l’est encore davantage. Les responsables des autorités cantonales du service de la formation professionnelle se sentent souvent tenus de servir davantage les intérêts des patrons que ceux des apprenti-e-s. Ils annoncent souvent préalablement des éventuels contrôles, ou ne font rien lors d’abus. En plus, leur marge de manœuvre est souvent restreinte. La seule solution lors d’un conflit est souvent la résiliation du contrat d’apprentissage, ce qui transforme les apprenti-e-s en chômeur-euse-s. Des sanctions pour les patrons dans des tels cas sont très rares. Nous n’avons cependant pas d’illusions dans les institutions de partenariat social, comme des commissions paritaires ou tripartites. Ils n’ont guère d’effets et trop souvent ils représentent clairement les intérêts patronaux. Notre politique vise l’auto-organisation des apprenti-e-s pour atteindre une force qui peut effectivement exercer une pression sur les patrons.

Tous ces abus dans le système de formation duale résultent directement du système de formation suisse qui, au lieu de servir les intérêts de tou-te-s en ayant un caractère planifié à l’échelle de toute la société, est soumis à la propriété privée et donc aux intérêts de profit des capitalistes. La formation professionnelle n’est ni là pour rendre possible un progrès social, ni pour déployer la créativité des jeunes, mais pour former des forces de travail fonctionnelles et profitables pour la production capitaliste.

Cette contradiction ne peut évidemment être résolue autrement qu’en socialisant la production sous contrôle ouvrier. Pour réaliser ceci il faut organiser la lutte de tou-te-s les apprenti-e-s avec tou-te-s les salarié-e-s contre ce système.