Environ une cinquantaine de personnes ont défié le froid (-5°C) et ont participé le mardi 3 février à la place des Nations à Genève au rassemblement de solidarité avec les normaliens disparus à Iguala (Mexique) et la lutte de leurs parents.

Les participant-e-s, certain-e-s venu-e-s de la Suisse alémanique et de France entouraient le numéro 43 fait avec des bougies et accueillaient deux représentant-e-s des parents d’élèves disparus de Ayotzinapa, présent-e-s à la session du Comité des disparitions forcées à l’ONU où une délégation de l’Etat mexicain devait présenter son rapport. Leur voyage a pu être financé grâce aux fonds récoltés lors d’un événement de soutien de la « coordination pour Suisse en Ayotzinapa ».

Le père Bernabé Abraján et la mère Hilda Legideño Vargas n’ont plus de trace de vie de leurs enfants depuis la nuit du 26 septembre 2014. Les élèves de l’école normale Raul Isidro Burgos de Ayotzinapa furent pris dans une embuscade dans la ville de Iguala. Les polices municipale et fédérale ont mitraillé les cars dans lesquels ils se déplaçaient et quatre cadavres ont été retrouvés sur place. Quatre mois après ces incidents, nous n’avons toujours pas de trace de 42 de ces étudiants. 

Au rassemblement, Don Bernabé et Doña Hilda ont brièvement exposé les motivations pour leur présence en Suisse et l’importance qu’ils accordent au fait de pouvoir exposer leur histoire dans d’autres pays. Le bref exposé a été suivi par des interventions de différents représentant-e-s d’organisations politiques et d’ONG actives à Genève, aussi d’autres mères de personnes disparu-e-s au nord du Mexique (dans des états comme Chihuahua) ont fait des interventions. Bryan Chirinos, membre de l’étincelle et de la Jeunesse Socialiste a pris la parole pour souligner l’importance de la solidarité internationale et l’influence des mouvements mexicains sur les autres pays d’Amérique Centrale. Ensuite ce fut autour du camarade Ricardo Che, membre de la section mexicaine de la Tendance Marxiste Internationale (TMI) et éditeur du journal marxiste « La Izquierda Socialista », de prendre la parole pour montrer la relation importante entre les mouvements étudiants au Mexique et le mouvement pour l’apparition en vie des étudiants enlevés.

Suite au rassemblement, en échappant au temps glacial sur place, beaucoup de participant-e-s ont pris le tram pour se rendre à la conférence organisée par l’étincelle et l’association des étudiant-e-s marxistes de l’Université (ASEMA) à Uni Mail. Un public en majorité jeune a pu jouir d’un témoignage émouvant et d’un exposé d’un niveau politique remarquable.

La soirée a commencé immédiatement avec le témoignage de Don Bernabé Abraján, le père de Adán, élève normalien disparu. Il était difficile pour lui de parler et de raconter ses derniers moments avec son fils, d’autant plus qu’on voyait son état de fatigue très fort. Nous pouvons par contre souligner dans son discours la fierté qu’il éprouvait pour la lutte des parents qui refusent de se faire acheter par le gouvernementmalgré les sommes importantes que ce dernier leur offre, jusqu’à un million de pesos mexicains par parent pour qu’ils terminent leur campagne. A ceci, il répondait qu’aucun des parents ne serait prêt à échanger un enfant contre une quelconque somme d’argent et qu’ils sont déterminés à mener la lutte jusqu’au bout.

Une participante posa une question sur le travail d’Amnesty International sur ce sujet. Mais Don Bernabé dira honnêtement par la suite qu’avant la disparition de son fils et la venue de défenseurs des droits de l’homme à l’école de Ayotzinapa, il n’avait jamais entendu parler du concept des droits humains. Il était très content que ce cas soit discuté aux Nations Unies et déjà d’autres représentant-e-s de parents essayaient d’aller exposer leur témoignage dans d’autres pays, en Amérique du Nord par exemple.En ce qui concerne le rapport officiel que la délégation de l’État mexicain présenta aux Comité des disparitions forcées, pour Bernabé, ce ne sont que des pures mensonges (« puras mentiras »). L’État mexicain a déjà 96 responsables pour ces incidents ce qui ne sert pas à grand-chose pour Don Bernabé car il est déjà confirmé que José Luis Abarca, maire de Iguala était l’un des principaux responsables. D’ailleurs, le fils de Abarca veut lancer une candidature dans l’État de Guerrero pour les prochaines élections que les parents veulent combattre.

Don Bernabé n’avait pas l’habitude de parler devant le public mais il a très vite gagné la sympathie de tout le monde et on pouvait voir l’impact que ses mots avaient sur les visages des gens présent-e-s. 

Dans un deuxième temps, le camarade Ricardo Che a dessiné une image précise du contexte mexicain en expliquant l’ambiance générale dans laquelle le mouvement de soutien à Ayotzinapa s’est développé. Il a aussi parlé du mouvement étudiant autour de l’Institut Polytechnique National, qui avait émergé en même temps que l’attentat contre les normaliens. À son apogée, plus de 170 instituts étaient en grève de 48 heures ou illimitée. Sa description très précise du problème du trafic de la drogue et son influence dans l’économie et le système politique mexicain nous permet aussi de comprendre pourquoi un tel événement a pu avoir lieu. Ricardo Che conclut sa présentation en appelant à l’organisation et la formation politique et à mener une lutte commune avec nous au sein de la Tendance Marxiste Internationale.

D’autres thèmes ont pu être abordés dans la discussion comme celui de la lutte armée, la comparaison de la violence au Mexique avec celle des favelas brésiliennes, la crise aux USA et le mouvement à Ferguson, le succès de SYRIZA et PODEMOS mais aussi sur la carrière d’actrice de telenovelas de la femme du président mexicain, Angélica Rivera. La séance s’est terminée par un petit apéritif avec des cacahuètes bien piquantes.

Caspar Oertli