Le maintien de l’approvisionnement en denrées de base est essentiel en ces temps de pandémie. Or, face à la surexposition due au manque de mesures prises par la direction, des employé-e-s de la Migros Cornavin ont marqué un arrêt de travail le dimanche 22 mars. Avec l’aide du syndicat Unia, ils ont fait plier la direction. 

Les travailleuses et travailleurs des grandes enseignes de la distribution alimentaire sont parmi celles et ceux qui ont le plus de chances d’être contaminés et de contaminer en retour. Pourtant, la distribution de nourriture étant essentielle, les travailleurs-ses doivent continuer à risquer leur santé et celles des autres (dont leurs proches) en allant au boulot. En effet, que ce soit dans les rayons où à la caisse, les clients ne respectent pas forcément les distances et ne sont pas tous munis de masques et de gants. Mais les comportements les plus irresponsables incombent aux directions.

Une industrie essentielle aux pratiques criminelles

Bien que ses concurrents aient instauré un service de contrôle du flux de clients à l’entrée des magasin, la Migros était, il y a deux semaines encore, la grande retardataire pour prendre quelque mesure sanitaire que ce soit. Il faut dire que la Migros Cornavin, tout en restant l’un des endroits les plus fréquentés, n’avait, hormis la pose de plexiglas aux caisses et une annonce de contingentement de la clientèle, mis en place aucune mesure jusqu’alors. Et ce n’est pas faute de ne pas avoir vu le problème venir : il y a quelques jours, le directeur général de la Migros, Fabrice Zumbrunnen, déclarait dans un journal alémanique qu’en janvier déjà, les entreprises industrielles et la logistique tournaient à plein régime et qu’une équipe de gestion de crise a été mise en place « pour se préparer à l’escalade des événements ». La Suisse est touchée depuis le 25 février par la pandémie et ces géants de la distribution, qui ont pu observer les développements à l’étranger, auraient dû se préparer. 

« Anxiogène », « priorité pour le personnel soignant », « pas nécessaire selon l’OFSP », déclare la direction tous azimuts. Elle se défend également d’avoir privilégié la mise en place de plexiglas aux caisses. Trop étroit et facilement contournable selon les employé-e-e-s. On voit mal d’ailleurs comment cela protège le personnel en charge des rayons, des stocks, de la surveillance des bornes automatiques, etc. Une direction faisant la sourde oreille, au point de renvoyer chez eux, sans paie, deux employé-e-s qui persistaient à se protéger, les dimanche 15 et mercredi 18 mars, en sus d’intimidations verbales à d’autres. « Mon manager m’a menacé : “soit tu restes sans [masque], soit tu pars avec“ », raconte un employé. 

Un weekend éclair

Le personnel s’est alors organisé sur les réseaux sociaux, et a fait appel au syndicat Unia. Ensemble, ils ont courageusement mené l’arrêt partiel de travail le dimanche 22 mars, au matin. « On a obtenu que les employé-e-s se sentant menacés puissent rester chez eux en étant payés. Mais la revendication principale du droit de porter des masques n’a pas été entendue ». Le syndicaliste d’Unia Pablo Guscetti précise que cette garantie de paiement intégral du salaire à charge de l’employeur-se a été faite oralement, malgré la demande de la mettre par écrit. Selon Le Temps (25.03), la direction aurait, par la suite, tranché « en déconseillant, mais tolérant, l’utilisation de ce type de protections dans ses magasins » dans un courrier interne aux employé-e-s. En fait, sous les feux des médias depuis l’action du dimanche, la direction a ravalé ses interdictions par peur que son engagement oral de payer ceux qui souhaitaient rester à la maison ne s’étende aux autres succursales. Elle a été forcée de tolérer le port du masque et, dans ce sens, la victoire des salarié-e-s de Cornavin a profité à l’ensemble des employé-e-s de la Migros. Mais cette tolérance s’est établie doublement aux frais du personnel : d’abord car la direction n’en garantit pas la mise à disposition, et ensuite car elle l’a utilisée pour retrancher sur une concession, celle de payer le salaire des travailleurs-ses qui restent chez eux, faute de se sentir en sécurité au travail. En somme, la direction était prête, dans un premier temps du moins, à faire des concessions plus larges. Concessions qui pèsent lourd si l’on garde à l’esprit qu’à Cornavin, seul un quart des employé-e-s s’est mobilisé.

L’Etat, gestionnaire des intérêts des capitalistes

La direction de la succursale de Cornavin a su se cacher derrière les mesures et prescriptions insuffisantes de l’Etat. Nous avons maintes fois souligné la lenteur et l’insuffisance criminelles de la réaction de l’Etat et ses organes depuis l’expansion du Covid en Suisse, prêchant la distanciation mais laissant l’application des mesures de santé au bon vouloir des patrons. Pire, les mesures de cantons tirant des conclusions plus conséquentes, telles que la quarantaine pour les plus de 65 ans à Uri et la fermeture des chantiers à Genève et au Tessin, quoique insuffisantes elles aussi dans l’absolu, ont été jugées non conformes au droit fédéral par le ministère de la Justice. Nous avons expliqué que le motif premier derrière cette inaction était de protéger autant que se peut… les profits. L’Etat est là précisément pour que les patrons puissent se cacher derrière lui ; c’est leurs affaires qu’il gère. Il n’est « que l’organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiètements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés », écrivait Engels.

La santé avant les profits !

Sans des empiètements sur les conditions de la production capitaliste, il n’y aurait pas de mesures sanitaires en place. Rien n’a été « donné » par les patrons, qui ont au contraire cherché à économiser ces dépenses en tout état de conscience. Tout doit être conquis par les salarié-e-s, qui sont les véritables garants de la protection sur les lieux de travail. A l’heure où la contagion court toujours et où l’on compte aux Etats-Unis les premiers cas de décès du Covid parmi les employé-e-s de la grande distribution, la question qui se pose est la suivante : si une dizaine de travailleurs-ses ont pu se faire entendre, que peuvent obtenir, ensemble, les employé-e-s du secteur ? Que peut obtenir la classe ouvrière dans son ensemble ? Genève a montré la voie ! Il est temps d’exiger – et les CHF 335 millions de bénéfices nets annuels de la Migros sont, à eux seuls, largement suffisants :

–       Le contrôle par les salarié-e-s des mesures de protection sur les lieux de travail avec droit de fermeture en cas de non-respect  ;

–       La réduction, avec paiement intégral du salaire, des heures de travail des caissières-rs et l’utilisation maximale des bornes automatiques, pour limiter leur exposition ;

–       Le contrôle des prix alimentaires par les salarié-e-s du secteur ;

–     La prise en charge gratuite des enfants pour le personnel travaillant dans les secteurs essentiels ;

–    Le retrait de toute mesure d’extension des horaires d’ouverture des magasins et du travail le dimanche ;

–     Pour toutes ces raisons, interdiction de licencier et de faire des bénéfices en ces temps ;

–     On ne peut contrôler ce que l’on ne possède pas fermement : il est temps de nationaliser cette industrie et la placer sous le contrôle démocratique des travailleuses et travailleurs !