Un monde en guerre, l’industrie de l’armement en boom, la classe capitaliste qui s’enrichit sur les dos des travailleurs. Il y a 100 ans, la grève générale a fait trembler les capitalistes, à Genève et ailleurs en Suisse. 

En novembre 1918, l’économie suisse s’arrête. Les ouvriers occupent les villes. A Genève, aucun tramway ne roule. Pendant trois jours, la classe ouvrière fait grève partout : l’unique grève d’ampleur nationale que la Suisse n’ait jamais vécue. Plusieurs facteurs sont à l’origine de la grève de 1918. En effet, malgré sa neutralité et sa non-participation directe à la première guerre mondiale, le conflit a conduit à une dégradation des conditions sociales en Suisse. Par exemple, le salaire réel à Genève a baissé de 25-30%, une baisse plus importante qu’ailleurs en Suisse. La détérioration des conditions de vie accélère la radicalisation de la classe ouvrière.

Partout, y compris en Suisse, la politique du “social-patriotisme”, c’est-à-dire la conciliation du socialisme et du nationalisme, qui est contraire à l’internationalisation prolétaire, va à l’encontre des intérêts des ouvriers. A la veille de la guerre impérialiste, la classe prolétaire genevoise est composée par 40% de travailleurs étrangers. Ces derniers ont dû partir mourir pour leur nation bourgeoise et ont été remplacés par une main-d’œuvre meilleur marché, à savoir les femmes. La prise de conscience de classe a été fortement influencée par les évènements politiques internationaux, notamment la révolution bolchevique d’octobre 1917. Trahis par leurs dirigeants politiques avec la politique d’union sacrée, les ouvriers suisses cherchent une alternative pour lutter contre l’ordre bourgeois.

Le manque d’issues politiques concrètes engendré par les partis politiques réformistes pousse les ouvriers genevois à s’orienter vers les syndicats. Ces derniers ont alors vu leurs effectifs augmenter drastiquement. L’Union Ouvrière par exemple, comptait 2054 membres en 1914 pour 4000 membres en 1918. Les tactiques syndicales qui visent généralement à entrer en négociation avec le patronat vont cependant à l’encontre de la lutte de classe. Le but des ouvriers face à cela est alors de politiser les luttes syndicales, alors qu’elles se sont limitées jusque-là à des objectifs économiques.

Le Comité d’action ouvrier

Pendant la guerre, les protestations et manifestations ont été organisées par les syndicats uniquement au niveau cantonal. Les travailleurs et travailleuses de différents secteurs de production se sont soutenus mutuellement via des grèves de solidarités ou des manifestations. En ont résulté des pertes et des coûts élevés pour le patronat. Le rapport de force devient de plus en plus favorable à la classe ouvrière.

Le Comité d’action ouvrier est fondé au début de l’année 1918, unissant l’Union Ouvrière et la Ligue du personnel à traitement fixe, ceci dans le but de répondre à la division des partis ouvriers genevois (En octobre 1917, le Parti Socialiste genevois s’était en effet divisé, l’aile droite créant un nouveau parti).

La Ligue représente l’aile droite du comité. Etant donné que la direction du Comité d’action ouvrier est composée d’éléments de l’aile droite et de l’aile gauche du PS genevois, son caractère reste hétérogène. Ce comité, peu organisé au niveau politique mais uni au niveau des revendication syndicales, ne s’organise qu’au niveau régional et ne représente pas une position prolétarienne internationale. “Notre grève est un mouvement purement national” :   telle est la position que défend en 1918 la majorité des syndicats au sein du Comité.

12 – 14 novembre : grève générale

La grève s’est déclenchée en quelques jours. Le 8 novembre, le premier appel à la grève lancé par le Comité d’Olten (organisateur de la grève au niveau national) pour le jour suivant est un échec total. De nombreux travailleurs ont été alors orientés vers des syndicats qui n’avaient pas une position combative et qui par conséquent s’opposaient alors à une grève.

L’occupation militaire du centre-ville de Zurich le 10 novembre renverse la situation. Le lendemain, le vote ouvrier genevois va à l’unanimité en faveur de la grève, en pleine connaissance des sanctions encourues. La grève éclate le 12 novembre. Les revendications incluent la journée de travail de huit heures et le droit de vote pour les femmes. A Genève, seulement 8’000 ouvriers (sur 140’000 habitants) ont arrêté le travail. Il est clair que le Comité d’action ouvrier aurait dû jouer un rôle plus actif afin de mobiliser plus d’ouvriers. Mais ce dernier n’a pas été capable de mettre sur pied une organisation ayant permis de mener une lutte plus fondamentale. Les revendications syndicales de nature économique ne doivent être qu’un point de départ. Il est nécessaire de les coupler avec des revendications politiques nettes, qui doivent mener les masses à s’organiser afin de renforcer leur conscience de classe et qu’elles mettent finalement un terme à la crise du régime politique de la bourgeoisie.  Avant même le lancement de l’appel à la grève, plus de 100’000 soldats sont mobilisés dans tout le pays par le Conseil fédéral, ceci afin de prévenir les grèves. Dans un climat où la lutte des classe s’accroît, la classe dominante n’hésite pas à opprimer la classe ouvrière par la force militaire.

Trahi par le Comité d’Olten

Le Comité d’Olten a rapidement reculé devant la menace militaire. La fin de la grève nationale a été déclarée par le Comité d’Olten le 15 novembre. « Le journal de Genève », seul journal bourgeois à être publié durant la grève, annonce la fin de cette dernière le matin du 14 novembre. Le Comité d’action ouvrier réagit à la provocation bourgeoise en diffusant le « Bulletin de Genève » dans le but de poursuivre la grève. La direction du Comité ainsi que de nombreux travailleurs ont été arrêtés par la police et l’armée.

Quelles leçons?

La ligne du Comité d’action ouvrier était contradictoire, car les syndicats ont souvent enchaîné les revendications économiques sans les contextualiser politiquement, c’est-à-dire sans les lier à des luttes concrètes. De plus, les positions politiques syndicales n’étaient pas différentes des lignes socio-patriotiques défendues par les partis de gauche, lesquels protégeaient la défense nationale plutôt que la classe prolétaire. La lutte pour de meilleures conditions sociales n’a pas été menée via une idéologie de lutte des classe, mais a plutôt été déclarée comme une conséquence de la guerre. Pourtant, la grève générale a clairement exprimé le potentiel qui réside dans la classe des prolétaires. Prêt à s’organiser, à se politiser et à se battre. Ce n’est que par l’organisation de la classe ouvrière que les grèves pourront se poursuivre.

En 1918, à Genève, ce fut un échec. La grève n’a été ni préparée ni menée à terme. Au lieu de tirer des leçons et de se préparer à une offensive, on a préféré se retirer et espérer que la bourgeoisie soit raisonnable. En fin de compte, une grève ne doit pas être un outil de pression sous le contrôle des syndicats, mais un mouvement organisé qui puisse enfin rompre avec la dictature bourgeoise. Mais le système ne se changera pas tout seul – c’est maintenant à nous de nous préparer pour les luttes à venir, avec une organisation révolutionnaire rigoureuse qui mène une lutte cohérente jusqu’à ce que les revendications soient appliquées.