« Quand les historiens du futur écriront sur 2019, ils la percevront comme une année de changement fondamental. » C’est ainsi que le marxiste britannique Alan Woods a commencé son discours d’ouverture à l’école d’été de notre Internationale, la Tendance Marxiste Internationale, en juillet 2019. Nous publions ici notre document de perspectives, adopté lors de notre assemblé en février 2020.

Trois mois plus tard seulement, nous avons connu une série de mouvements insurrectionnels simultanés répartis sur la planète : Haïti, Équateur, Chili, Liban, Irak, Hong Kong, etc. Ces tumultes, qui ont en commun d’innombrables caractéristiques, annoncent une nouvelle période. Une période de révolution mondiale.

Aussi différentes que soient les situations dans tous ces pays, elles ont toutes en commun d’être des soulèvements de masse, déclenchés par un état dans lequel les masses ne peuvent plus vivre comme avant. Elles sont toutes des réactions à la crise mondiale du capitalisme. La crise d’un système qui pousse des millions de personnes dans la pauvreté, sans espoir de perspectives.

Le document des perspectives suisses a pour but de mettre en lumière les développements les plus importants de la lutte des classes en Suisse. Mais pour les comprendre, il faut d’abord regarder le contexte général. La situation actuelle au niveau mondial se caractérise tout d’abord par une crise prolongée, dont l’économie ne s’est pas encore remise depuis 2008/9. En outre, il y a toutes les chances qu’une nouvelle récession économique se produise dans un avenir proche. De plus, les mouvements insurrectionnels illustrent une reprise de la lutte des classes dans un pays après l’autre. Ces éléments influencent la situation en Suisse, quoique de manière différente. La première partie de ce document traite donc du contexte international.

Au cours des dix dernières années, la bourgeoisie mondiale n’a eu d’autre choix que de transmettre la crise à la classe ouvrière. En Suisse, ce processus est moins avancé que dans d’autres pays. Mais là aussi, nous sommes indubitablement confrontés à une situation nouvelle. 2019 est l’année des mouvements de masse. Il n’y a eu aucun mouvement comparable au cours des cinquante dernières années à la grève du climat et à la grève des femmes. Conformément à la situation locale, ces mobilisations ne sont pas comparables au radicalisme des Gilets Jaunes en France ou à la lutte héroïque des masses chiliennes. Cependant, ils ont tous un point commun important: c’est la réaction d’une partie de la population à la crise et aux conséquences de la politique de crise capitaliste.

En tant que marxistes, nous ne nous plaignons pas du manque de conscience socialiste des mouvements. Nous constatons que la crise a ébranlé la classe ouvrière, en particulier les jeunes et les femmes. La crise a laissé sa marque et a radicalement changé leur conscience. Parce qu’il n’y a pas de fin en vue à la crise, ce processus de prise de conscience va se poursuivre. Les mobilisations historiques prouvent la rapidité avec laquelle le processus de radicalisation progresse. Mais à eux seuls, ces mouvements ne se donneront pas, ou pas assez vite, le programme politique – révolutionnaire – nécessaire et ne formeront pas une direction prête à lutter contre le système jusqu’au bout. Ces deux conditions, cependant, sont nécessaires pour sortir l’humanité de la crise organique du système. Ceux qui comprennent cela comprennent aussi à quel point il est urgent de bâtir l’organisation qui peut défendre ce programme. 

Ce document analyse le processus historique et les bases économiques, politiques et sociales sur lesquelles il se déroule. En tant que marxistes, en tant que partie consciente de la classe, nous avons besoin d’une compréhension scientifique de cette situation. L’analyse des tendances les plus importantes et des développements les plus probables sert de base à notre intervention dans ce processus. Toute notre pratique vise à créer le facteur qui manque au prolétariat pour sa victoire. Il s’agit de construire une organisation de révolutionnaires formés, ancrés dans la classe ouvrière et la jeunesse.

International

Depuis 2008, le capitalisme connaît une crise dont l’ampleur dépasse même celle de la crise des années 1930. La chute monumentale de 2008/9 a marqué l’entrée dans une nouvelle ère. Nous comprenons la situation actuelle comme une crise prolongée ou « crise organique », parce que le marché ne peut plus surmonter les contradictions à lui seul. La croissance sera fortement limitée pendant toute une période. La cause en est « une épidémie sociale (…), qui à toute époque, eût semblé une absurdité (…) – l’épidémie de la surproduction », comme Marx et Engels l’avaient déjà souligné en 1848. Certains économistes bourgeois sont d’accord. Mais l’ancien banquier central britannique Mervyn King se plaint que sa « thèse selon laquelle non seulement les Etats-Unis, mais le monde entier, souffrent de la stagnation séculaire due au manque de demande », se heurte à tant de résistance parmi les bourgeois. Ils ne peuvent pas admettre que Marx avait raison.

Pour les marxistes, le facteur central est que le capitalisme d’aujourd’hui n’est plus capable de développer des forces productives dans la même mesure que dans le passé. Cette nouvelle situation demeure l’élément déterminant de la situation et la base de cette crise durable.

Cependant, les processus de base de la dynamique capitaliste ne sont pas simplement éteints. Il y a encore des cycles économiques, c’est-à-dire des reprises et des récessions, mais dans un contexte plus large de stagnation prolongée. C’est pourquoi, depuis 2008, les « booms » ont été faibles : relativement peu de temps après l’effondrement de 2008/9, certains pays ont même commencé à se redresser, surtout aux Etats-Unis. Mais c’est en même temps la plus faible reprise économique de l’histoire. Cela s’explique par le fait que les contradictions fondamentales n’ont pu être résolues, mais se sont au contraire intensifiées. Examinons rapidement les éléments au-delà de l’augmentation de l’exploitation des salariés qui ont permis la reprise rapide de l’économie mondiale si peu de temps après l’effondrement.

Dans les dernières perspectives, nous avons identifié trois facteurs, que nous ne résumerons que brièvement ici : La robustesse de l’économie chinoise, la politique monétaire mondiale des banques nationales et l’absence de protectionnisme.

L’économie chinoise a connu une forte croissance dans les années qui ont suivi immédiatement la crise. Cela a été soutenu par un énorme plan de relance du gouvernement. La demande chinoise est devenue un pilier mondial de l’économie. Mais c ette croissance s’affaiblira rapidement à partir de 2014 au plus tard. C’est aussi profond qu’il ne l’a pas été en 30 ans. 

La politique monétaire des grandes banques centrales est tellement expansionniste que personne n’aurait pu l’imaginer avant 2008. Divers programmes de soutien, et les taux d’intérêt directeurs historiquement bas des grandes banques centrales, avaient pour objectif d’amortir d’abord l’effondrement économique, puis de stimuler l’économie. Un effondrement encore plus profond a été évité, mais même l’ancien banquier central King doit admettre que cette pratique « n’a guère aidé dans deux domaines importants de la politique économique – libérer l’économie mondiale de son piège de faible croissance et préparer la prochaine crise financière ». D’une part, les politiques des banques nationales ont rendu de nombreuses entreprises – et donc l’économie en général – dépendantes de l’argent bon marché. Une grande partie de cette somme a disparu dans la spéculation, car la croissance et les investissements sont restés faibles. Les taux directeurs encore très bas représentent un risque car les capitalistes ne peuvent plus baisser les taux d’intérêt en cas de nouvelle récession. Il leur manque un outil anticyclique important !

La reprise relative de l’économie mondiale a été soutenue par la reprise rapide du commerce mondial. Les efforts coordonnés des gouvernements à un stade précoce de la crise ont permis d’éviter une augmentation soudaine des mesures protectionnistes. Depuis 2011 le commerce mondial tende cependant à stagner en terme absolue et se réduit même si pondéré au PIB, ce qui augmente la concurrence sur les marchés mondiaux. C’est sous ces signes qu’il faut comprendre les mesures protectionnistes introduites par divers gouvernements, en particulier celui de Trump aux USA,. Cela a en retour entraîné un ralentissement sensible de la croissance du commerce mondial. La montée du protectionnisme est conséquence et amplificateur de la crise du capitalisme et alors de la baisse des échanges internationaux, avec tous les risques qu’il comporte pour le capitalisme mondiale.

Chacun de ces facteurs de soutien s’étant inversé ou s’étant évanoui, une nouvelle récession économique se présente aujourd’hui dans une situation très différente de celle de 2008. Sans outils anticycliques, les capitalistes sont à la merci de la récession. Cela aggravera considérablement la prochaine crise. De plus, ils n’ont pas des années pour se préparer. La prochaine récession attend devant la porte.

Avec une durée de 11 ans, les États-Unis ont connu le plus long boom de leur histoire. Toutefois, il a été il était historiquement faible – nous avons expliqué pourquoi. Nous observons actuellement les premiers signes d’un nouvel effondrement, et c’est tout à fait classique dans l’industrie, où la production, l’investissement et l’emploi ont diminué en 2019, ce qui signifie que secteur le plus important des États-Unis, l’industrie (10% du PIB), est en récession. On observe déjà des signes d’un ralentissement rapide de la croissance de l’économie dans son ensemble. Certains signes indiquent que le ralentissement économique affecte l’ensemble de l’économie. Une récession dans l’économie la plus forte du monde annoncera inévitablement un ralentissement mondial.

Panique du protectionnisme

Le développement conjoncturel en Europe est primordial pour l’économie suisse. 60% des exportations vont à cette zone économique. La montée du protectionnisme, le danger de guerres économiques et monétaires est un sujet de préoccupation pour la bourgeoisie suisse. Pendant les phases de croissance – avant la crise et pendant la reprise actuelle, la petite économie en réseau a réussi à s’en sortir. Lorsque le libre-échange et les règles de l’OMC avaient du sens pour les grandes puissances économiques, la Suisse était un profiteur dont le souhait supplémentaire était accepté dans les relations avec l’UE. Cependant, avec la brise désagréable actuelle et le protectionnisme qui s’amplifie, personne ne se soucie volontairement de la Suisse. La Suisse est trop petite pour pouvoir faire passer son propre agenda et est écorchée par les grands blocs commerciaux. La bourgeoisie suisse doit cependant sécuriser ses relations commerciales. C’est pourquoi les nouveaux accords de libre-échange sont leur première priorité, comme avec le Mercosur et certains pays asiatiques. Un accord avec les États-Unis fait également partie de leur liste de souhaits, mais reste, pour l’instant, une utopie. 

Pour l’industrie exportatrice, la relation avec l’UE est une question de vie ou de mort. Il n’y a en fait aucun moyen de contourner ce problème – et il est urgent. Si la crise économique frappe avant avoir trouvé une solution, l’Allemagne, en particulier, ne craindra pas de profiter de chaque occasion (par exemple, les barrières techniques au commerce dans le secteur des produits médicaux) pour favoriser ses propres entreprises au détriment de la Suisse. Cela peut coûter cher à la bourgeoisie suisse. C’est la raison pour laquelle l’accord-cadre figurait à nouveau en bonne place à l’ordre du jour peu de temps après les élections.

Cela clarifie aussi quelle sera la première grande lutte des organisations ouvrières de la nouvelle législature.L’UE continue d’insister sur la réduction des mesures d’accompagnement. Ces derniers, introduits en 2004 dans le cadre de la libre circulation des personnes, visent à protéger les travailleurs contre le dumping salarial des entreprises étrangères et la pression salariale de l’UE. De larges parties de la bourgeoisie suisse ont également tout intérêt à les sacrifier pour des marchés de vente sûrs et, dans le même temps, à rendre le marché du travail national plus flexible. Même s’ils constituent en fin de compte un instrument inadéquat de protection salariale, dont le respect n’est guère contrôlé par l’État bourgeois, ils doivent néanmoins être défendus à tout prix. Cela doit se faire sur la base des travailleurs mobilisés sur leur lieu de travail, qui seuls peuvent contrôler le respect des conditions de travail. Cette mobilisation peut également servir de base à la lutte pour des améliorations plus générales.

L’industrie automobile allemande est la première à connaître une crise

L’économie de l’UE souffre de plusieurs maladies à la fois. La croissance conjointe en 2019 sera inférieure à 1 %. Le facteur le plus important est la faiblesse des exportations, en particulier vers l’Asie: cela confirme doncle rôle important de la Chine. Les plus grandes économies européennes sont toutes aux prises avec des problèmes. La croissance de la France est en baisse constante. L’Italie oscille autour de la récession depuis un certain temps déjà. La Grande-Bretagne est dans le pétrin. Avec l’Allemagne, ces pays représentent 60 % de la production économique de l’UE, et les économies de tous ces pays ralentissent. Ce ralentissement se transmettra à la Suisse par la baisse de la demande de produits d’exportation.

L’Allemagne est le principal partenaire commercial des capitaux suisses. C’est là que vont directement 22 % de ses exportations. Les deux bourgeoisies ont tenté de s’exporter de la crise. Pour compenser la baisse de la demande dans l’UE, ils ont dû se tourner vers les marchés d’outre-mer, notamment l’Asie et les États-Unis. Associée à des politiques d’austérité rigoureuses, cette mesure a été couronnée de succès pendant un certain temps. Mais maintenant, la fin est proche.La stratégie de crise allemande est très similaire à celle de la Suisse. Puisque l’économie allemande est beaucoup plus grande, les processus sont plus clairs. La Suisse est confrontée aux mêmes processus avec peu de retard. 

Au cours de la reprise des années 1990 et 2000, l’Allemagne a été le moteur de l’unification du marché de l’UE en un marché unique. Etant l’économie la plus forte et la plus productive, ses produits ont trouvé un important marché de vente. Lorsque la crise est arrivée en Europe, elle a orienté ses exportations vers l’outre-mer, en particulier vers la Chine et les États-Unis. Il en va de même pour la Suisse. L’année dernière, nous avons déclaré : Le capitalisme suisse. (…) a réussi à relativement bien tirer parti de l’évolution inégale de l’économie mondiale en déplaçant l’attention de l’UE, qui était en crise, vers les marchés américains et asiatiques. Mais cela a ses limites, et en cas de nouvelle crise mondiale, il n’y a pas de plan B pour l’industrie suisse d’exportation. » C’est ce qui ressort le plus clairement de l’effondrement de l’industrie allemande d’exportation. L’économie allemande a, dans son ensemble, échappé de justesse à la récession en 2019, mais le danger est loin d’être écarté. 

La crise de l’industrie automobile allemande est un exemple de la manière dont la crise peut être attribuée à la situation de surproduction mondiale, mais est exacerbée par les « incertitudes » actuelles. Ce secteur industriel est au cœur de l’économie allemande, représentant un cinquième du PIB allemand (fournisseurs compris). Le Bundestag allemand estime qu’environ 5% des emplois dépendent du secteur automobile. Afin de maintenir sa rentabilité après 2008, l’industrie s’est d’abord appuyée sur le marché chinois pour compenser le déclin du marché de l’UE (les ventes en Chine ont été multipliées par sept depuis 2005, alors que dans la région UE/AELE, elles ont diminué de 0,8% sur la même période). Et elle s’appuyait sur la vente de modèles « SUV » très coûteux.

BMW a vendu plus d’un quart de ses voitures neuves en Chine. Toutefois, ce marché s’est effondré à la suite du ralentissement général. Les ventes diminuent depuis 15 mois. Au cours des trois premiers trimestres de 2019, 12 % de voitures neuves en moins ont été vendues. Les exportations de voitures vers la Chine ont diminué de 15 %. Il y a aussi les tarifs protectionnistes punitifs, qui touchent directement l’industrie automobile. BMW produit les « SUV » pour les marchés européen et chinois aux États-Unis. La société a déjà dû débourser 300 millions de dollars en droits d’importation. Les tarifs punitifs frappent directement les profits et intensifient la crise. Cinq grandes entreprises automobiles sur douze s’attendent à une baisse du chiffre d’affaires.

Le ralentissement continu de la croissance économique de la Chine entraîne une récession économique en Europe. L’industrie automobile est en crise en Allemagne. Mais il ne concerne pas seulement ce secteur. Premièrement, les fournisseurs, tels que la grande entreprise chimique BASF, souffrent également. Deuxièmement, les prises de commandes de l’industrie allemande des machines ont également diminué de plus d’un cinquième au cours du premier semestre 2019 de manière synchrone. En outre, des signes de plus en plus nombreux indiquent que le ralentissement se propage de l’industrie manufacturière vers le secteur des services. 

L’Allemagne a été l’élève modèle de l’économie européenne. Maintenant, tous les signes indiquent la tempête. Les constructeurs automobiles allemands ont déjà annoncé la réduction de 100 000 emplois et ont recours à des programmes de réduction drastiques. En fin de compte, les salariés doivent payer pour la crise. Les chiffres trompeusement bas du chômage vont augmenter. Sur cette base, la stabilité sociale et politique se détériorera rapidement. Après des décennies de relative stabilité sociale et économique, des changements majeurs et des mobilisations sont également à l’ordre du jour en Allemagne.

Alors que, dans le passé, nous avons toujours parlé d’une récession à venir, aujourd’hui, nous pouvons voir, dans certains secteurs, les premiers signaux et les premiers effondrements. Nous ne pouvons pas prédire à quelle vitesse la crise se développera et se propagera. Selon le FMI, les trois quarts du marché mondial étaient encore en hausse en 2017. Aujourd’hui, 90 % de l’économie mondiale devrait entrer en récession . Dans cette situation, tout événement soudain peut entraîner l’effondrement de l’économie mondiale.

Premièrement, les dynamiques économiques décrites forment la base des processus sociaux et politiques que nous observons dans le monde entier. Les capitalistes du monde entier sont obligés d’attaquer la classe ouvrière pour défendre leurs profits. Avec ces attaques, cependant, ils sapent la stabilité politique de leurs propres régimes, parce qu’à un moment donné, il y a de la résistance à cette politique. 

Deuxièmement, cette situation est à la base des changements dans la conscience de la classe ouvrière en Suisse. Si l’industrie automobile tousse, l’économie allemande a de la fièvre. Si celle-ci a de la fièvre, l’économie suisse aura bientôt la grippe ! 

La récession en Suisse

La dynamique de l’économie mondiale se reflète dans l’économie suisse. L’économie locale s’est également redressée rapidement après le revers de 2008, ce qui, à première vue, ressemblait à une forte reprise. Si on y regarde de plus près, on constate d’une part que des changements profonds sont en cours et d’autre part qu’il existe divers facteurs qui assurent la stabilité mais qui ne dureront pas éternellement.

Deux secteurs ont joué un rôle clé au cours de la dernière période. Premièrement, l’industrie d’exportation, dont le secteur pharmaceutique, horloger et l’industrie de machines se taillent la part du lion. Historiquement, elle représente une part importante de la production économique (19% du PIB, 13% de l’emploi). Et elle a pu profiter de la reprise sur d’autres marchés, notamment aux Etats-Unis et en Chine. Le deuxième secteur est celui de la construction (5% du PIB, 6% de l’emploi). La politique de bas taux d’intérêt de la Banque nationale a entraîné un important boom de la construction en Suisse, qui a soutenu l’ensemble de l’économie, la situation de l’emploi et donc aussi la consommation intérieure. 

Aujourd’hui, cependant, l’ensemble de l’économie est confronté à un nouveau ralentissement. Cela vaut également pour ces deux secteurs. Le ralentissement dans les deux secteurs en question est central, d’une part parce qu’un salarié sur six y travaille directement et, d’autre part, parce que toute une série d’autres secteurs en dépendent (fournisseurs, transports, services, etc.). La crise se propagera par cet axe. En prenant l’exemple des industries MEM (4,5% du PIB), nous montrons que la crise est déjà arrivée.

Premiers signes de crise dans l’industrie MEM

Comme aux Etats-Unis et en Allemagne, les premiers signes d’une crise apparaissent également en Suisse dans le secteur de l’exportation. Même s’il faut garder à l’esprit que 2018 a été une année record pour l’industrie MEM, les chiffres montrent clairement que la croissance dans ce secteur ralentit rapidement. Les entrées de commandes ont diminué de 12 % au premier semestre 2019 et jusqu’à 19 % au deuxième trimestre (par rapport à l’année précédente). Malgré la bonne performance de l’année écoulée, le chiffre d’affaires et l’utilisation des capacités sont déjà en baisse. En outre, les exportations totales de biens ont déjà diminué de 2,3% au deuxième trimestre. Pour la première fois depuis 2015, nous constatons une augmentation du chômage partiel. A cela s’ajoute un indicateur de situation des affaires en baisse depuis onze mois. Les capitalistes industriels eux-mêmes s’attendent clairement à un ralentissement.

Le taux de change élevé du franc suisse est l’un des facteurs qui affaiblissent la compétitivité de l’industrie d’exportation suisse. Dans le passé, SwissMEM aurait exigé avec force que la BNS maintienne le cours de l’action à un niveau artificiellement bas. Mais aujourd’hui, la BNS n’a plus de marge de manœuvre, comme le reconnaît SwissMEM. Cela montre clairement que la Banque nationale suisse est complètement dépassée par ce nouveau marasme. La BNS intervient encore chaque mois par millions pour dévaluer le franc. Le bilan en est déjà désastreux et toute baisse du taux directeur (déjà négative) par la BNS constituera des risques supplémentaires. En outre, la politique monétaire de la BNS dépend des décisions des banques centrales américaine et européenne. Elle ne peut pas s’écarter de la politique d’expansion à elle seule, même si elle le souhaite. 

Les chiffres d’utilisation des capacités des entreprises MEM montrent pourquoi cette baisse est due à une surproduction. Alors que le taux d’utilisation des capacités était encore de 91,6 % à la mi-2018, il est tombé à 83,7 % en juillet 2019, ce qui est inférieur à la moyenne à long terme de 86 %. Toutes les usines MEM auraient pu augmenter leur production d’un sixième sans agrandir leurs installations. Ils font le contraire, cependant, parce que les marchés sont pleins et qu’ils ne seraient pas en mesure de vendre ces produits. « Enfin, le ralentissement de la dynamique des prix à la production montre que la pression concurrentielle s’est intensifiée dans l’industrie MEM et que les marges sont sous pression. « Ils sont déjà obligés de baisser les prix. En raison de la surproduction, la demande (en provenance d’Allemagne et d’Asie) diminue et la concurrence s’intensifie. Cela fait baisser les prix. La pression sur la marge augmente. Seules les entreprises les plus rentables survivent.

Cette surproduction a longtemps été un problème subliminal. Depuis des années – et à des taux d’intérêt historiquement bas pour les prêts – les entreprises n’ont pas investi dans l’expansion des investissements. Au cours de l’année « Turbo » 2018, « toutes les catégories de biens (…) ont également connu une stagnation ou une diminution des investissements (…) ». Les capitalistes produisaient avec du vieux matériel, parce qu’ils savaient que le plaisir serait bientôt fini. Dans le même temps, ils ont licencié 10 % de l’effectif depuis 2008 (30 000 emplois). 

Le revirement significatif de la recherche et du développement montre que la crise organique du capitalisme entre dans une nouvelle phase. Ce domaine est très important en Suisse car le reste des entreprises (c’est-à-dire la production) ont souvent déjà été externalisées à l’étranger. « Après avoir augmenté de 12,8% par rapport à l’année précédente, les investissements en R&D en 2017 ont chuté de 1,9% en 2018, soit la plus forte baisse dans cette catégorie depuis le début de la série de mesures en 1995 », explique le KOF, « ce dernier cycle d’investissement a pris fin au tournant 2018/2019 ». 

La construction

Le secteur de la construction a été un important catalyseur au cours de la dernière décennie, agissant à la fois comme un tampon et un stimulant pour la croissance économique. La faiblesse des taux d’intérêt a entraîné une énorme augmentation des prêts hypothécaires et donc un boom de la construction qui a maintenu l’économie à flot en période difficile. Comme presque 10 % des salariés travaillent dans ce secteur, c’est aussi un pilier de la stabilité sociale. Mais la surproduction est également perceptible ici. Selon le KOF, « les surcapacités dans la construction résidentielle et la hausse des taux d’inoccupation (…) ralentissent l’activité de construction » et l’utilisation des capacités des entreprises est également en baisse. En raison de la surcapacité, « au cours des trois dernières années, (…) les prix et les marges » ont baissé.

Toutefois, le taux d’inoccupation des appartements est actuellement à un niveau élevé. Il n’est inférieur que de 0,2 point part rapport au sommet historique de 1,9 % atteint lors de la crise immobilière des années 1990. D’autres mesures (IAZI) calculent déjà avec plus de 4%. Pour le marché immobilier suisse, il s’agit d’un taux d’inoccupation élevé et donc d’une indication supplémentaire de la bulle immobilière. Les taux d’inoccupation sont beaucoup plus élevés à la campagne qu’en ville et en agglomération et, surtout, il y a plus d’immeubles vacants que d’immeubles locatifs. Mais bien sûr, les propriétaires ne baissent pas les loyers pour autant et les familles de travailleurs dans les villes ne le sentent pas.

L’industrie de la construction a stabilisé l’économie. Mais elle reposait sur une énorme expansion du crédit et de la dette. Si la vessie éclate, l’effet stabilisateur s’inverse. En raison de l’importance sociale et macroéconomique du secteur de la construction, une récession a un impact significatif sur la classe ouvrière suisse.

Pour l’instant, cependant, la stagnation prévaut à un niveau élevé. En raison de la faiblesse persistante des taux d’intérêt, il n’y aura pas non plus d’effondrement rapide. Néanmoins, les signes laissent présager un ralentissement. Au premier semestre 2019, les nouveaux permis de construire pour les propriétés résidentielles ont diminué de 11 % et les demandes de permis de construire de 6 %. Dans la construction commerciale et industrielle, les permis de bâtir ont déjà diminué de 5 % en 2018 et de 15 % au 1er semestre 2019. Les entreprises ne construisent pas de nouveaux bâtiments parce que, premièrement, il y a surproduction et, deuxièmement, parce qu’elles s’attendent elles-mêmes à un ralentissement. Cela entraînera inexorablement une baisse des volumes de construction. Si l’on construit moins, la concurrence augmente et la pression sur les marges augmente. En raison des coûts d’investissement élevés, il faudra tôt ou tard les répercuter sur la main-d’œuvre. Ceci explique le durcissement de la position des propriétaires d’immeubles dans la renégociation de la convention collective du bâtiment. Les travailleurs de la construction se sont battus pour obtenir des salaires relativement bons et, surtout, une retraite anticipée. Comme cela coûte très cher aux entrepreneurs en construction, toute extension de la convention collective de travail devient plus difficile.

L’importance de l’économie e pour la lutte de classe

Ce constat permet de conclure que les deux secteurs à fort taux d’emploi MEM et Construction ont dépassé le sommet de la phase d’expansion économique. Pour rappel : cela touche directement un salarié sur sept en Suisse qui est actif dans ces deux secteurs. Et il y a des dizaines d’autres secteurs qui dépendent de ces deux secteurs : Des fournisseurs aux services opérationnels, en passant par l’expédition, le transport et le stockage, et une partie du commerce. La crise touche déjà une grande partie des salariés via ces courroies de transmission et a donc un impact sur la demande intérieure. Il n’est pas encore possible de dire à quelle vitesse la récession se produira. Nous n’en sommes encore qu’au tout début. Mais la direction est claire.

L’analyse selon laquelle le capitalisme est entré en crise dans le monde entier et en Suisse nous sert avant tout à évaluer le développement de la lutte de classe et les changements dans la conscience de la classe ouvrière. La surproduction latente dans toutes les grandes industries, illustrée ci-dessus en Suisse par les industries MEM, entraîne une pression sur le taux de profit. Les marchés de vente sont saturés, il devient de plus en plus difficiles de vendre les marchandises et alors de réaliser la plus-value sous forme de profit.. En conséquence, les nouveaux investissements sont aussi chroniquement bas, voire inexistants.

Dans une telle situation, il n’y a qu’une seule solution pour les capitalistes : la restauration de leur compétitivité sur les marchés par une exploitation accrue des salariés. C’est une stratégie classique des capitalistes pour augmenter la plus-value absolue. De cette façon, ils peuvent s’approprier une proportion encore plus grande de la force de travail non rémunéré des salariés ce qui leur permet de baisser les prix de leurs marchandises et d’augmenter leur chance de réaliser la plus-value sous forme de profit. D’autre part, les capitalistes, surtout au niveau politique, insistent sur une réduction des impôts sur les bénéfices et le capital, des cotisations de sécurité sociale et des coûts salariaux accessoires, qu’ils considèrent avant tout comme des déductions ennuyeuses de leurs bénéfices nets. Les baisses d’impôts créent à leur tour des trous dans les caisses de la Confédération et des cantons, qui, grâce à des mesures d’austerité, se répercutent à nouveau sur les travailleurs salariés.

Que ce soit dans l’entreprise par la pression sur les salaires et l’augmentation du temps de travail ou par l’Etat par des mesures d’austérité : Les capitalistes tentent de réduire la pression sur leurs profits en répercutant la crise sur les salariés. La crise du capitalisme signifie donc avant tout une lutte intensifiée pour la plus-value, ce qui est la même chose que la lutte de classe intensifiée. L’intensité de cette lutte de classe est pour le moment encore moins forte en Suisse que dans la plupart des pays. Mais les nombreuses attaques de ces dernières années ont marqué la conscience des salariés. Sous la surface, les contradictions sont devenues plus aiguës, qu’il faudra tôt ou tard résoudre. 

Il est donc clair que la pression sur les salariés va augmenter. En 2015, après avoir abandonné le taux de change minimum avec l’euro, nous avons assisté à la dernière grande vague d’attaques dans le secteur de l’industrie. Et tout de suite après, dans le secteur public. Celles-ci se sont poursuivies jusqu’à ce jour. Selon le KOF (Centre de recherches conjoncturelles), les coûts unitaires de main-d’œuvre dans l’ensemble de l’économie ont été réduits au cours des deux dernières années. Les salariés produisent plus pour moins cher. La plupart du temps, ils travaillent plus intensément. Ils sont donc exploités plus durement. Cette tendance s’intensifiera au cours de la prochaine période.

En fait, la majorité des salariés en Suisse sont exposés à une stagnation de leur niveau de vie depuis au moins les années 1990. Depuis 1988, les salaires réels moyens n’ont augmenté que deux fois de plus de 1,5 %. Cette évolution s’est accompagnée d’une augmentation continue des primes d’assurance maladie (avec réduction simultanée des remises). Cela a conduit à la situation actuelle où une famille moyenne avec enfants dépense un cinquième de son salaire en primes d’assurance maladie. Pour de nombreux salariés, le loyer constitue le poste de dépense le plus important. Les 20 % dont les salaires sont les plus bas consacrent plus d’un tiers de leur revenu au logement, tandis que les 20 % suivants dépensent encore un quart de leur revenu. A cela s’ajoute l’état souvent mauvais des appartements surévalués : 14,7% doivent vivre dans un appartement humide. L’augmentation des salaires réels annoncée ces dernières années est trompeuse quant à l’évolution réelle de larges pans de la population. Cela s’explique par le fait que les augmentations de salaire ont été réparties de manière très inégale. Le revenu mensuel disponible (salaires moins impôts, taxes et loyers) a augmenté d’un maigre 130 francs (pour les célibataires) pour les personnes à revenu moyen entre 2000 et 2016, et de 480 francs pour les personnes mariées avec deux enfants. Pour les 10% ayant les salaires les plus bas, la situation est encore pire, avec des augmentations de salaire mensuelles de 40 CHF (célibataires) et 70 CHF (mariés avec 2 enfants). En raison des faibles taux de croissance, on peut supposer que cette évolution est restée au moins la même au cours des trois dernières années et pour l’année prochaine. Cela signifie que les augmentations de salaires réels profiteront principalement aux groupes de revenus les plus élevés (les 10 % les plus élevés).

Les années de crise – Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’attaques flagrantes ?

Néanmoins, contrairement à la plupart des autres pays, la classe ouvrière en Suisse n’a jamais dû être attaquée de front pendant les années de crise. Il y a plusieurs raisons à cela : une législation du travail mince et libérale et un poids de l’appareil étatique relativement faible. un rôle pionnier avec l’introduction du frein à l’endettement et, par conséquent, une faible dette publique. Pour la bourgeoisie suisse, la pression en faveur de mesures d’austérité n’a jamais été aussi forte qu’en France, par exemple. En outre, il existe un système de protection sociale dans lequel la majorité des services sociaux sont financés par des déductions salariales individuelles et distinctes. Chaque système de sécurité sociale a son propre fonds, comme l’assurance chômage. Les déficits sont faciles à gérer ou rapidement évidents, de sorte qu’ils sont coupés immédiatement. Parce que tant de choses ont été « réformées » par petits pas, c’est-à-dire par des coupes, il n’y a jamais eu de contre-réformes d’une telle ampleur qu’elles auraient attaqué de front la classe ouvrière.

Mais cela ne signifie pas que la bourgeoisie est restée inactive. Certaines contre-réformes ont déjà été mises en œuvre avant 2008. Par exemple, la réforme de l’assurance chômage, qui a tellement réduit les prestations sociales qu’elle a même généré un excédent de 1,2 milliard de francs en 2018, alors que le taux de chômage (de l’OIT) a atteint le chiffre record de 234’000 en même temps.

En raison du fédéralisme, les mesures d’austérité ont été divisées en cantons et en milliers de petites mesures d’austérité. Ils sont souvent retournés sur le dos des plus faibles. Par exemple, les associations de personnes handicapées se plaignent que des épargnes sont faites unilatéralement à leurs dépens. Les bourgeois ont essayé de cette manière – et leurs hommes de main de gauche au sein des gouvernements les ont aidés à le faire – de transférer les coûts de la crise sur les épaules des salariés, si possible sans résistance.

Cela a deux conséquences, que nous devons examiner de plus près : La première est la détérioration des conditions de vie d’une grande majorité des salariés et l’augmentation de la pauvreté. Deuxièmement, l’augmentation de la pression pour travailler dans de nombreux secteurs, en particulier le secteur public, les soins infirmiers et l’éducation, mais aussi le secteur privé.

La situation de la classe ouvrière aujourd’hui

A partir de 2014, les conséquences de la politique de crise deviendront claires. Auparavant, le taux de pauvreté avait légèrement diminué. Par la suite, il augmente de façon marquée et s’établit aujourd’hui à 8,2 %. Par rapport à la même année, le revenu disponible des 10 % les plus pauvres a également diminué. Telles sont les conséquences directes des mesures d’austérité à différents niveaux.

Un quart des Suisses n’ont aucun patrimoine. 55% de la population ne dispose pas de plus qu’une épargne de CHF 50’000, ce qui ne représente ensemble que 1,5% du total de patrimoine en Suisse. Ceci dans le « pays le plus riche du monde » avec la richesse moyenne par habitant la plus élevée de CHF 195’000. Mais cela ne veut rien dire, parce que le pourcentage le plus riche possède 43% de la fortune totale. Les 300 plus riches disposent de CHF 702 milliards. C’est plus que le PIB de la Suisse ! La situation est différente pour le cinquième de la population dont le revenu est le plus faible. Là-bas, le total des dépenses mensuelles dépasse le total des recettes. Ils doivent vider leur compte d’épargne (9 %) ou s’endetter (3,1 %) pour leurs dépenses courantes.

Dans le même temps, nous assistons à une augmentation des emplois instables et mal rémunérés. Un salarié sur treize a un contrat à durée déterminée (plus de 24 % pour les moins de 24 ans) et un sur vingt travaille sur appel. Depuis 2017, le travail du samedi et de la nuit a également connu une augmentation marquée.

La situation est encore plus grave pour les ouvrières. Une femme sur huit est « sous-employée » (veut une charge de travail plus élevée, mais n’en trouve aucune). Et une ouvrière sur dix a au moins deux emplois. Un parent célibataire sur six est touché par la pauvreté (dont les trois quarts sont des femmes).

Au cours des six dernières années, le stress au travail et la peur de perdre son emploi ont également augmenté considérablement. En 2012, 17,5 % des salariés ont souffert  » la plupart du temps ou toujours du stress « , pour atteindre 21,2 % en 2017. La crainte pour l’emploi est passée de 12,7 % à 15,9 %. « En cinq ans, les troubles du sommeil ont augmenté de cinq points de pourcentage pour atteindre 30,2 % en 2017. Cette augmentation touche principalement les personnes sans éducation post-obligatoire (2012 : 35,7% ; 2017 : 45,0%) ». Ces phénomènes sont la conséquence de l’intensification du travail dans de nombreux domaines.

Attaques contre les conditions de travail

Les conséquences de la politique de coupes drastiques sur le dos des employés sont particulièrement impressionnantes dans le secteur des soins. Aujourd’hui, plus des trois quarts d’entre eux sont constamment stressés au travail (70%) et souffrent régulièrement de problèmes physiques (72%). 86 % sont souvent fatigués et épuisés. Presque tous (92%) disent que la qualité du travail souffre de la pression pour économiser de l’argent et du manque de personnel. Les coupures importantes et la pression sur les économies pèsent sur les soignants. Ils tentent encore d’échapper aux problèmes du secteur principalement de manière individuelle : Record 47% des infirmières veulent changer d’emploi.

Dans le secteur des soins, la logique capitaliste du profit et les besoins humains se heurtent de plus en plus. Le besoin croissant de soins (en raison de l’augmentation de l’espérance de vie, de la croissance démographique, etc.) et la motivation des soignants à aider les autres tout en faisant un bon travail sont de plus en plus incompatibles. Ce travail est donc basé sur la proximité physique, la confiance et la compassion. Même si les salaires sont bas, ce n’est pas le problème le plus central pour beaucoup. Chaque réduction des effectifs (réduction du personnel, diminution des prestations, accélération du rythme de travail, etc.) met sous pression la capacité à effectuer correctement le travail ; le meilleur exemple en est l’honoraire forfaitaire. Les attaques contre le niveau de vie des salariés, combinées à l’impossibilité croissante d’effectuer son propre travail dans une qualité satisfaisante, jettent les bases d’une volonté croissante de lutter dans ce secteur. 

Cependant, la détérioration des conditions de travail n’affecte pas seulement les soins, mais l’ensemble de la fonction publique à travers le pays. Dans un sondage du SSP auprès de toutes les professions publiques, 74 % des répondants ont déclaré que le stress mental avait augmenté au cours des quatre dernières années. Ici, les trois quarts sont « plutôt ou clairement stressés ». 66 % sont trop fatigués après le travail pour une activité (comme le cinéma ou le sexe, selon le SSP). 84% se réfèrent à l’augmentation des  » charges administratives « , qui s’explique, par exemple, par les conditions plus strictes imposées par les caisses maladie. Ainsi, 63% des agents publics disent avoir trop peu de temps « pour le contenu même du travail ». Les répondants sont donc stressés et épuisés par des activités qui ne correspondent même pas à leur tâche principale, « mais dans des impositions sans rapport, en perturbation permanente, en surcharge administrative.” La situation n’est pas meilleure dans le secteur privé.

Les meilleures conditions de travail dans la fonction publique agissent comme un générateur d’horloge pour le secteur privé. Les entreprises du secteur public et les contrars publics sont généralement considérés comme plus favorables aux travailleurs que le secteur privé. Les salaires sont souvent plus élevés et les conditions de travail meilleures. Les réglementations en matière d’emploi sont souvent déterminées politiquement, ce qui rend les attaques plus difficiles. En cas de violations, les syndicats peuvent attaquer l’irresponsabilité de l’administration et les journaux bourgeois l’incompétence de cette dernière, ce qui limite quelque peu ces violations. Lorsqu’il existe une concurrence directe entre les secteurs public et privé dans une industrie, les capitalistes font souvent pression pour que les avantages des employés du secteur public soient supprimés. Les attaques contre le secteur privé d’une industrie sont plus prometteuses s’il n’y a pas d’entreprises publiques offrant de meilleures conditions de travail. Plus les différences sont grandes, moins les salariés du secteur privé sont disposés à accepter sans se battre la détérioration des conditions de travail.Ce n’est donc pas un hasard si, en 2015, lorsque des attaques majeures ont été menées dans l’industrie, des attaques majeures ont également été lancées contre des employé-e-s publics. Dans les deux cas, les capitalistes déplacent la pression de la crise sur les salariés. En plus d’une exploitation plus intensive (heures de travail plus longues, salaires plus bas, pression du temps plus importante), ils augmentent leur compétitivité par des réductions d’impôts. Cela augmente également leur profit. Cela entraîne nécessairement des mesures d’austérité et une augmentation de la charge de travail dans le secteur public.

Cependant, la fonction publique est loin d’être un simple punching-ball pour la bourgeoisie. Une tradition militante doit être soit nouvellement créée, soit redécouverte dans de nombreux domaines et régions. Néanmoins, dans le secteur des soins infirmiers, le mouvement hospitalier de la fin des années 1980 et du début des années 1990, dans lequel des milliers de personnes sont descendues dans la rue dans tout le pays, ont formé des groupes d’action et ont obtenu des concessions telles qu’une prime pour le travail de nuit, a pu être poursuivi. Il existe également des traditions de lutte et un grand ressentiment parmi les employés des sociétés de transport municipales. La grève exemplaire d’une journée à Genève en 2014 montre que le combat en vaut la peine. Le secteur de l’éducation est confronté à des problèmes similaires depuis des années, la grève des enseignants à Bâle-Campagne en 2018 devenant presque une réalité. 

Situation actuelle : pas de couche grasse

Si l’on compare la situation sociale de la classe ouvrière en Suisse avec celle des pays voisins, il faut dire que les détériorations sont moins marquées. Comme d’importantes dépenses en Suisse doivent encore être couvertes par les salaires nets, il est difficile de comparer directement l’évolution des salaires. Néanmoins, les salaires en Suisse (également ajustés en fonction du pouvoir d’achat) restent nettement plus élevés. Dans certaines branches, toutefois, la détérioration a été similaire à celle de l’Allemagne. La part des contrats de travail à durée déterminée en Suisse est à peu près la même que dans le pays voisin. Les salariés locaux ont la semaine de travail la plus longue d’Europe (avec l’Islande) et sont souvent affectés par des changements à court terme du temps de travail. Toutefois, il y a une grande différence dans la part du secteur des bas salaires. Ce chiffre est deux fois plus élevé en Allemagne qu’en Suisse : 22 % et 12 % respectivement (2015).

Ce qui est certain, c’est que le niveau de vie a stagné avant même la crise.. Après plus de dix ans de crise, une partie importante de la classe ouvrière n’a plus de « couche grasse ». En Suisse, plus d’un million de personnes vivent dans la pauvreté ou juste au-dessus du seuil de pauvreté (Caritas : Manuel sur la pauvreté). Le critère suisse pour savoir si une personne dispose de « ressources financières suffisantes » est de savoir si elle peut effectuer une « dépense imprévue de 2500 francs » (p. ex. une facture dentaire). Dans la population totale, cela n’est pas possible pour 18,6 %. Une étude de la « classe moyenne » suisse montre que même dans la « classe moyenne inférieure », une personne sur quatre et dans la « classe moyenne supérieure », une personne sur dix ne peut pas régler une telle facture. Même certains des salariés bien payés ne sont donc qu’à une facture d’un dentiste du douloureux coup du sort.

Il est des situations dans les quelles il devient déjà ou presque impossible de couper davantage. Cela s’applique aux conditions de vie générales de nombreuses familles de travailleurs. En ce qui concerne les conditions de travail, il y a des secteurs où tant de choses ont déjà été coupées que l’on ne tardera pas à creuser dans le vide. Lors de la prochaine crise, les capitalistes seront contraints d’intensifier les attaques dans les entreprises et à travers les mesures d’austérité étatiques. Ces attaques vont frapper une situation où elles causeront plus de douleur qu’au cours de la dernière période. Mais la classe dirigeante ne peut pas en tenir compte.

La situation de crise et la concurrence l’ obligeront à réduire les impôts et donc la protection sociale. Cette dynamique est imparable tant que la logique du capitalisme est acceptée. Si nous voulons rompre avec les mesures d’austérité, ce qui est devenu une question d’autoprotection physique et psychologique dans des secteurs comme les soins, nous devons construire une résistance politique et syndicale.. La crise a considérablement réduit les possibilités d’amélioration. Aujourd’hui, la question à nu est : qui paie pour la crise ? Les syndicalistes honnêtes ne peuvent pas faire croire aux salariés qu’en demandant gentiment, on peut apporter des améliorations. Cela ne correspond pas à la réalité et entraîne rapidement une perte de confiance. Le temps des belles négociations entre « partenaires sociaux » est terminé. Seules les mobilisations de masse et les grèves permettent aujourd’hui d’enlever le poids de la crise du dos des salariés. 

Les mobilisations de masse en faveur de la grève des femmes étaient un avant-goût de ce qui se passera lorsque les salariés porteront leur frustration quotidienne accumulée dans la rue. Elle a montré le potentiel des positions radicales. Ce sont les femmes qui sont les plus exploitées sur le marché du travail. Elles joueront un rôle important dans la lutte contre les mesures d’austérité dans le secteur public. Et ainsi, elles seront également à l’avant-garde lorsqu’il s’agira de briser l’ossification des syndicats et de les transformer en organes de lutte de la classe ouvrière. Seule cette « pression d’en bas » spontanée et encore isolée permettra de faire plier la ligne des syndicats de manière à ce qu’ils entraînent la classe ouvrière sur un large front dans la lutte contre le capital : Seule une lutte sans compromis contre la bourgeoisie, un rejet radical des coupes et une stratégie de mobilisation dans la rue et dans les services pourront convaincre les travailleurs à l’échelle de la masse que cela vaut la peine et qu’il est possible de lutter. Lors de ces mobilisations, le processus de lutte montre que seule la rupture totale avec le système permettra une véritable issue pour les salariés. Les syndicats ont pour tâche d’offrir aux travailleurs leurs structures et leur expérience dans la construction d’un mouvement ouvrier militant. Tout conflit nécessite une lutte au niveau du lieu de travail, car sinon la classe dirigeante demandera toujours à la classe ouvrière de payer pour la solution des problèmes sociaux. Cette lutte a besoin d’un programme de lutte des classes d’une part, mais d’autre part, elle a également besoin de structures. Celles-ci n’émergent pas simplement spontanément, elles doivent être construites avec le syndicat dont les travailleurs attendent à juste titre le soutien.

Nouvel élément : mobilisations de masse en 2019

Les mouvements de masse de la grève des femmes et de la grève du climat sont des éléments nouveaux dans la lutte des classes en Suisse. Les deux mobilisations ont une dimension historique. Ce n’est pas un hasard si cela se produit aujourd’hui. Ces mouvements sont une réaction à la réalité de la crise en Suisse. Ils confirment notre analyse passée selon laquelle la pression sociale s’accumule sous la surface, en particulier chez les jeunes et les femmes. Elle est en train de remonter à la surface. La forme que prend l’expression du mécontentement est, d’une part, quelque peu une coïncidence, d’autre part, elle montre que ces couches observent attentivement les mouvements à l’étranger, les grèves des femmes en Espagne et les mouvements climatiques dans le monde. Rien n’indique que cette période de mobilisations prendra rapidement fin. Mais surtout, ces mouvements ont réveillé la conscience politique de milliers de personnes. Contrairement aux mobilisations contre l’austérité vue depuis le début de la crise, qui étaient souvent affaibli par leur morcèlement régional, ces mouvements prennent une ampleur nationale.Ce nouveau facteur aura une influence significative sur la suite de la lutte des classes en Suisse.

Grève des femmes

La grève des femmes – en particulier les grandes manifestations de l’après-midi du 14 juin – était un mouvement de masse semi-spontané de femmes ouvrières. L’accent a été mis sur la lutte contre l’oppression quotidienne des femmes, contre le sexisme, le harcèlement et la discrimination. Mais le 14 juin était aussi l’expression de la réalité quotidienne de la classe ouvrière féminine. Les revendications ont amené leurs problèmes les plus urgents à la table des négociations. Par exemple, le double fardeau. En matière de garde d’enfants, la Suisse se situe en queue de peloton. Les femmes sont toujours les principales responsables des tâches ménagères, or 70  % d’entre elles exercent également un travail rémunéré. En même temps, il n’y a de crèches que pour 11 % des enfants.

Un autre sujet souvent abordé a été les conditions spécifiques d’exploitation dans les secteurs des femmes. Il y a eu aussi la seule véritable grève dans une entreprise de nettoyage à Lucerne. Avec Unia, ils se sont battus pour obtenir un temps de déplacement rémunéré et le respect de la législation du travail. Le congé de paternité et divers autres problèmes liés à la discrimination et au harcèlement étaient également très présents. Tous les secteurs féminins de la fonction publique ont fortement été mobilisés : d’abord et avant tout les soins, l’éducation, les affaires sociales, etc.

Les professions de soins et sociales – surtout les employés des crèches de Zurich et de Genève – ont été les seules à se mobiliser en tant que groupe professionnel, c’est-à-dire directement comme ouvrières organisées. C’est une évolution très positive si l’on considère que le degré de syndicalisation est très faible dans les professions typiquement féminines : 6% dans l’éducation et la formation, 3% dans les soins de santé et 6% dans le nettoyage Sous la forme d’une seule journée symbolique de lutte, les syndicats ont raté l’occasion d’appuyer sur l’accélérateur dans le travail de syndicalisation dans les secteurs typiquement féminins.

Les syndicats étaient à l’origine de tout cela. La bureaucratie, cependant, utilise toutes les excuses pour ne pas avoir à travailler comme syndicat dans les usines et les services pour construire la grève. Cela aurait également donné un nouvel élan à leur ancrage et à l’organisation de toute la classe ! Compte tenu notamment des mesures d’austérité en cours, il s’agit presque d’un acte de sabotage.

Sous l’ excuse que les ouvriers doivent choisir eux-mêmes leur forme de manifestation, la direction syndicale a refusé de faire jouer aux syndicatsl leur rôle d’unité organisationnelle de base de la classe ouvrière. Finalement, ils ont tout simplement abandonné les nombreuses infirmières et travailleuses sociales motivées. Ils ont refusé d’organiser une grève. A l’hôpital universitaire de Zurich, le SSP n’a pas pu expliquer aux employés, même sur demande, comment protester avec le personnel pendant la journée de grève. Le fait que dans l’après-midi, plus de 1 000 employés de cet hôpital ont marché ensemble à la manifestation témoigne du potentiel qui aurait été là.

Dans les crèches de Zurich, où la « grève » a bénéficié d’un énorme soutien, les instructions confuses des comités de grève des femmes ont fait en sorte qu’aucun arrêt de travail solide ne soit organisé. Pour que les femmes puissent « faire la grève », les travailleurs masculins ont reçu l’ordre de travailler et ont donc été utilisés efficacement comme briseurs de grève – car le travail n’était pas à l’arrêt de cette façon. Ainsi, la force essentielle de la grève, le blocus, n’a pas été démontrée. Et cela a également creusé un fossé entre les salariés masculins et féminins. C’est un obstacle à la lutte, car ils partagent la plupart des revendications et, surtout, leur mise en œuvre n’est possible que par la lutte unie. Nous voyons ici l’effet nocif de la politique identitaire. Ces idées divisent la classe ouvrière en fonction de l’identité et du sexe au lieu de montrer les intérêts communs de la classe. Ce fossé entre hommes et femmes non seulement brise le pouvoir d’une grève, mais entrave également le développement de la conscience de classe à travers l’expérience de la lutte unie.Les excuses des syndicats, telles que « s inon, ce sont les mères des enfants qui auraient finalement souffert « , ont un arrière-goût très amer quand on sait qu’il existe une riche tradition dans les professions d’infirmière et de soignante sur la façon dont les parents et les proches peuvent et doivent être impliqués dans les grèves !

Il est tragique que la forme d’organisation en comités horizontaux avec décision consensuelle n’ait pas pu, à plus long terme, grouper la pression des 500  000 manifestants. Parce que la direction des comités et des syndicats avaient proclamé le 14 juin comme une journée de grève isolée et ne l’avaient pas planifiée dans une stratégie à plus long terme, ils ont complètement échoué à organiser les femmes au-delà de la journée d’action.. L’absence actuelle de perspectives est directement attribuable aux idées et aux méthodes des organisateurs de la grève. De toute évidence, ils n’ont pas réfléchi au-delà du 14 juin. Il n’y a pas de déclaration sur le Parlement et sa « réaction » condescendante à la journée de grève pour introduire des quotas non contraignants dans les conseils d’administration des entreprises. Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes annoncé trois semaines plus tard montre également à quel point l’énergie s’est évaporée après la grève des femmes : : b ien que la lutte contre le relèvement de l’âge de la retraite ait été une revendication centrale de la journée de grève, les organisateurs n’étaient pas capables de monter une opposition. Le sabotage passif des directions syndicales dans les grèves des femmes est en fin de compte le résultat de la bureaucratisation et de l’intégration des appareils syndicaux dans l’État bourgeois. Afin de contrer la pression bourgeoise, le mouvement doit s’organiser démocratiquement et assurer la responsabilité de la direction. Au sein du mouvement, la conclusion politique doit être tirée et propagée que les nouvelles réalisations ou l’abolition des injustices flagrantes ne peuvent être combattues au sein du capitalisme et de l’État bourgeois, mais seulement contre eux. La diffusion de ces connaissances nécessaires nécessite la présence d’une organisation marxiste révolutionnaire forte.

L’énorme succès de la mobilisation montre une fois de plus que les salariés sont prêts à se battre lorsqu’ils y sont appelés. Il y a plein de raisons. Ce qui manque, c’est une direction qui canalise la pression et montre comment se battre pour les revendications de manière à les réaliser. Alors, comment élaborer ensemble des demandes au sein d’une entreprise ou du service public et les faire respecter ! Le 14 juin a prouvé qu’il fallait plus qu’une journée symbolique d’action. A savoir une grève. L’organisation est du ressort des syndicats. Cependant, l’ossification bureaucratique et, en résultant, l’orientation vers le partenariat social les empêche d’exploiter les mobilisations pour des luttes concrètes. Dans cette situation, des luttes spontanées en dehors des syndicats peuvent se développer. Nous devons soutenir ces luttes, mais en même temps nous devons nous battre pour la démocratisation des syndicats avec un programme de lutte de classe comme seule voie d’avenir pour la classe ouvrière. C’est pourquoi nous soutenons également tous les efforts des militants honnêtes des syndicats qui tentent de construire une tradition de grève militante..

Grève du climat

« La plupart de ces jeunes ont atteint ou atteindront l’âge adulte dans un monde secoué par la crise financière de 2008. La récession, la stagnation ou la chute du niveau de vie et les programmes d’austérité d’en haut ont façonné leurs expériences. » Un journaliste du Guardian explique la forte proportion de jeunes dans les soulèvements mondiaux de 2019. Il en va de même pour les jeunes Suisses, b ien qu’ils soient plus éduqués que les générations plus âgées, ils sont plus susceptibles d’être sans emploi ou d’avoir un emploi temporaire et de dépendre de l’aide sociale.

Le mouvement autour de la grève du climat a éclipsé toute mobilisation des jeunes au cours des 40 dernières années. En février, 60 000 élèves se sont mises en grève, en septembre, plus de 100 000 personnes ont manifesté à Berne. Dans le monde entier, la grève du climat est en concurrence avec les révoltes de la jeunesse en 1968. Le soutien à la grève du climat chez les jeunes est énorme. 70% des jeunes et 71% des adultes soutiennent les grèves. Au sein du mouvement et au fil des mois, un processus de prise de conscience que nous examinons de plus près ici se manifeste.

Une enquête du « Blick » menée en mars a montré que les jeunes grévistes comprennent les problèmes : 64% exigent des politiciens des « mesures radicales contre les pollueurs de l’environnement ». Plus de 80% demandent « un soutien gouvernemental pour la recherche, le développement de technologies respectueuses du climat », seulement 20% demandent des interdictions. Environ 66 % tiennent l’économie pour responsable, 62 % la politique.

Le mouvement comprend une grande partie de la jeunesse. Elle est dirigée par les élèves et les étudiants. Sur cette base, toutes sortes d’opinions politiques et de préjugés circulent dans le mouvement. C’est particulièrement l’illusion que la politique et l’Etat bourgeois peuvent résoudre les problèmes s’ils ne font que se réveiller qui est répandue. C’est pourquoi la proclamation de l' »urgence climatique » a été la revendication centrale au début. Bien que cela ait été réalisé dans 14 communes et cantons, rien n’a changé.

La direction informelle défend dans les structures nationales l’idée réactionnaire que le mouvement ne doit être ni gauche ni droite. Et ce, malgré le fait qu’une partie provient de la JSS et des jeunes Verts. Le consensus dans la prise de décision bloque la discussion des différents programmes politiques. Au sein du mouvement, le consensus est soutenu, car l’exigence d’une unité sans principes et d’avoir tout le monde à bord est répandue. La plupart des activistes n’ont pas encore réalisé que la société est divisée en antagonismes de classe insurmontables, à savoir les capitalistes et les salariés. La question climatique est une question de classe. Derrière « gauche » et « droite » se cachent en fin de compte des intérêts de classe opposés. Mais il y a certains signes qui montrent que ce point de vue s’affirme également dans certaines parties de la grève du climat.

Ceux qui prétendent que la grève du climat pourrait être « politiquement neutre » laissent à découvert deux flancs du mouvement, que la bourgeoisie exploite sans merci. Elle tente constamment de détourner la lutte du niveau général et social vers le comportement individuel des consommateurs ou la question des interdictions de vol et des taxes sur le CO2. Ainsi, les bourgeois trouvent une porte d’entrée dans le mouvement. Le principe du consensus au sein du mouvement ne permet pas de prendre des décisions claires sur ces questions. Il en résulte une juxtaposition de positions contradictoires. C’est pourquoi la propagande bourgeoise trouve un certain écho. Cependant, le processus de différenciation est déjà en cours. La bourgeoisie ne peut empêcher le mouvement de tirer des conclusions de plus en plus anticapitalistes.

D’autre part, la bourgeoisie tente d’intégrer le mouvement dans ses institutions traditionnelles et de le paralyser. Si l’on refuse d’adopter une position politique claire en tant que mouvement, il est facile pour la bourgeoisie d’utiliser la direction non officielle pour sa politique. Le mouvement exige « que la Suisse proclame l’urgence climatique nationale[…]. Elle doit donc répondre à cette crise ». Sans prétendre ce que cela signifie, qui devrait réagir et ce que cette réaction implique. Cette position passive comporte le risque que les grévistes abandonnent le contrôle du mouvement. L’intégration des mouvements dans les processus paralysants de la démocratie suisse est une stratégie éprouvée du régime bourgeois.

Comme rien de concret n’a changé, même après une année de mobilisation constante, cette position politiquement neutre devient de plus en plus difficile à maintenir. La majorité des militants du mouvement se décrivent également comme étant de gauche. Une partie du mouvement reconnaît que les grèves des élèves ne suffisent pas. A la question de savoir comment on parvient vraiment à quelque chose, deux réponses se développent – synchrones avec les processus au niveau international.

D’un côté, nous trouvons Extinction Rebellion (XR). Par des actions spectaculaires et la désobéissance civile, ils veulent faire entendre leur préoccupation. Ils sont moins populaires en Suisse qu’à l’étranger. Leur orientation politique diffère peu de celle de la direction informelle du mouvement de grève pour le climat. La neutralité politique est encore plus importante pour eux et leur objectif est également d’exercer une pression sur la politique (bourgeoise) institutionnelle. Ils empêchent également les débats politiques internes. Par leurs action de choc ils creusent un écart entre le mouvement climatique et la classe ouvrière.

Mais il y a un autre courant. L’idée d’une grève des ouvriers pour le climat, c’est-à-dire d’une grève générale, se répand au sein du mouvement. Cette grève est prévue en toute confiance pour le 15 mai 2020. Le fait que cette proposition ait été acceptée lors des réunions nationales et internationales confirme un développement plus large dans la compréhension des grévistes. Les objectifs, les moyens de lutte et les alliés de cette journée de lutte font l’objet d’intenses discussions au sein du mouvement. Dans ces discussions, la JSS devrait défendre les positions socialistes d’une manière organisée et unie – contrairement à l’apparence actuelle de simples membres individuels. Son rôle général en tant que jeune parti socialiste sera discuté ci-dessous.

Le rôle de la classe ouvrière

Que le mouvement s’est fixé officiellement comme objectif de mobiliser la classe ouvrière est clairement un bond qualitatif. La préparation d’une grève nécessite un débat sur la classe ouvrière et son rôle. La position cruciale de la classe ouvrière dans l’ordre dominant se trouve ainsi au centre du débat.

Dès le début, nous avons participé au mouvement de grève pour le climat en tant que marxistes. Tout comme les camarades de nos journaux frères dans le monde entier. Au sein des mouvements, lors des manifestations et des assemblées et alors par les canaux démocratiques, nous défendons les positions qui, à notre avis, font progresser le mouvement. Dès le début, nous avons défendu la position selon laquelle la cause de la crise climatique se trouve dans le système capitaliste et son fonctionnement ; elle ne peut alors être évitée que par un renversement socialiste du système. Nous avons toujours défendu le besoin d’unité avec la classe ouvrière. 

En raison de leur position dans l’économie, dans la production et dans l’échange de biens, les salariés détiennent un pouvoir sociale énorme. Ils sont la seule force sociale qui peut réellement dépasser les contradictions générées par le système capitaliste, y inclus alors la crise du climat. Nous défendons une grève générale du climat parce que la grève elle-même et sa préparation contribue à activer cette force sociale. Elle augment le niveau d’organisation de la classe ouvrière dans son ensemble. Au-delà, une grève leur fait sentir leur propre pouvoir. L’expérience de pouvoir paralyser l’économie est le premier pas vers la prise de conscience que la classe ouvrière a aussi le pouvoir de changer la société toute-entière selon ses intérêts. Chaque expérience de lutte en tant que classe mène la progression de la classe en soi une classe pour s oi, une classe qui est consciente de son rôle historique. C’est dans une telle perspective qu’une grève générale du climat ne rèste pas une action symbolique, mais devient le point de départ non seulement pour une lutte frontale contre la crise du climat, mais contre le système qui la génère.

Pour la grève du climat, cela signifie que le mouvement pour le climat doit gagner les travailleurs à la lutte commune. En tant que marxistes, nous devons remettre de l’ordre parmi les questions soulevées et les nombreux constats correctes qui émergent dans le mouvement et d’y tirer les conclusions décisives. C’est pourquoi nous avons également rédigé une proposition de programme sur la base de laquelle la discussion avec la classe ouvrière et sur son rôle peut être menée. Car cette discussion se trouve maintenant au centre du mouvement de la grève du climat.

La direction du mouvement et les activistes les plus à droite défendent une grève du climat à la grève des femmes. C’est-à-dire une journée d’action symbolique à laquelle tous les secteurs de la société (y compris les capitalistes) devraient participer. L’aile gauche du mouvement s’adresse directement aux salariés et aux syndicats. L’orientation conséquente vers les salariés rend nécessaire de montrer comment la question climatique est organiquement liée à la question sociale. Une coopération avec les entrepreneurs s’oppose à ce point de vue de classe. Pour que la grève générale climatique ait le plus grand impact possible, la question climatique doit être unie aux revendications sociales de la classe ouvrière et être dirigée contre les capitalistes par de véritables grèves dans les usines. Pour ce faire, il est nécessaire d’organiser la préparation de la journée de grève directement dans les écoles et les usines. De cette façon, un maximum de salariés pourraient être impliqués dans l’élaboration des revendications de grève. Cependant, l’expérience de la grève des femmes et de la grève du climat jusqu’à présent montre que la tentative de contourner simplement les syndicats est vouée à l’échec. Le fait qu’il s’agisse d’une grève ou non dépend des syndicats, s’ils mobilisent ou pas. La lutte au sein des syndicats pour leur démocratisation et un changement de cap est une nécessité urgente.

Jusqu’à présent, il n’y a aucun signe de fatigue dans le mouvement. Avec le succès électoral des Verts et avec la journée grève en mai 2020, les discussions sur l’État, sur la confiance qu’on fait au parlement et sur l’organisation des salariés occuperont encore plus l’agenda des discussions dans le mouvement grève du climat. Une polarisation selon des lignes politiques, ce qui en fin de compte sont des distinctions de classe, qui devient déjà apparente aujourd’hui, ne va que s’intensifier.

Élections : victoire écrasante ou non ?

Interpréter les résultats des élections n’est pas une tâche facile. Les élections sont des captures instantanées où les intérêts de la classe ouvrière ne peuvent être exprimés qu’à travers des mécanismes bourgeois qui leur sont étrangers. Quatre éléments caractérisent les résultats. Tout d’abord, les changements profonds (selon les conditions suisses). Cela reflète une nouvelle période de volatilité. Les gains historiques des Verts, ainsi que les pertes du PS, sont inédits. Deuxièmement, les résultats sont des expressions évidentes des mouvements de masse de l’année dernière. Ca se montre à travers le score des Verts, mais aussi à travers la plus forte proportion de femmes élues. Les manifestations de rue ont fait bouger les choses. Troisièmement, la participation électorale a diminué, en particulier chez les salariés à faible revenu. En particulier, l’UDC et le PS, les deux favoris parmi les électeurs à faible revenu, ont rencontré le désintérêt des salariés en 2019. 

La défaite du PS qui s’est manifestée par son pire résultat en 100 ans, est un avertissement. Le passage massif d’électeurs de gauche aux Verts témoigne de la grogne de sa base électorale. La politique des faux compromis ne peut ni conserver l’électorat actuel, ni convaincre de nouveaux électeurs. Après une année de mobilisations sur les questions centrales du PS, et avec les problèmes sociaux comme principaux enjeux électoraux, le parti n’a pas réussi à gagner de nouveaux électeurs ou de jeunes ! Ceux qui ne tirent aucune conclusion des élections et du déclin de la social-démocratie dans les pays voisins en paieront un prix fort.

Les Verts ont gagné plus de 140’000 voix, doublant presque leur score. Parmi eux figurent un cinquième des nouveaux électeurs et un vingtième des électeurs du PS. Parmi les jeunes, c’est le deuxième parti le plus fort avec 17% (après l’UDC avec 22%). Les Verts ont donc été élus au parlement grâce à la vague de mobilisations, précisément parce qu’ils n’avaient pas encore été mis à l’épreuve comme une force pas encore usée. Comme dans d’autres pays, les électeurs testent les nouvelles forces politiques.

Leur rôle objectif, cependant, est de détourner le focus du mouvement de la rue vers les canaux sûrs du jeu parlementaire bourgeois. Et ils se sentent évidemment à l’aise dans ce rôle. Comme le PS, ils se limitaient à des taxes d’incitation, comme la loi sur le CO2, avec laquelle ils défendent l’illusion que la crise climatique peut être résolue par les moyens du capitalisme lui-même. Bien qu’ils aient été élus par un mouvement de masse, ils se sont appuyés exclusivement sur des moyens parlementaires et des compromis pour atteindre leurs objectifs. Le président du parti, Rytz, espère naïvement « que le PLR et le PDC poursuivront leur orientation sur le climat et que l’économie ira dans la même direction que nous. » Ils choisissent donc la voie que le PS vient de payer par un résultat catastrophique. Leur erreur principale est de confondre la balance des forces au parlement avec celui dans la société. Comme indiqué, 55 % des électeurs n’ont pas voté. La majorité des salariés n’ont donc pas encore pris position. 

Le résultat électoral des Verts lui- prouve même que de nouveaux secteurs de la société peuvent être activés avec cette question et les mobilisations. Le PS devrait se baser sur cela. Ils doivent proposer au mouvement un programme anticapitaliste cohérent et lutter dans la rue, dans les entreprises et au parlement. Le PS maintient la tradition d’un parti ouvrier, mais avec une direction libérale. Cette direction est périodiquement exposée aux pressions de la base et des syndicats. Les Verts n’ont jamais eu cet ancrage dans la classe ouvrière ou dans le mouvement ouvrier organisé. La base du parti des Verts n’a ni l’ancrage historique du PS parmi les travailleurs ni le lien avec les syndicats. Les politiciens verts sont entièrement exposés à la pression idéologique de la bourgeoisie. Des compromis avec les bourgeois sont leur seul espoir, comme le montre l’appel de Rytz au PLR et au PDC. Nous ne pouvons pas avoir confiance en les Verts. Les attentes envers le parti s’affronteront à son comportement au parlement. Un siège vert au Bundesrat accélérerait l’intégration des Verts dans l’administration du capitalisme en crise. 

L’UDC a perdu 120’000 voix et a subi une défaite amère mais supportable. Il reste le parti le plus fort. Le fait que 10% de ses électeurs n’aient pas participer aux élections s’explique par la crise interne du parti, que nous avons analysée en détail ailleurs. Pour affaiblir l’UDC, nous avons besoin d’un parti de gauche qui défends un programme cohérent et regagne ainsi les salariés votant l’UDC. Le fait qu’un plus grand nombre d’électeurs de l’UDC soient passés au PS et aux Verts qu’au PDC et au PLR montre que cela serait possible. Mais tant que cela n’est pas fait, l’UDC peut toujours se rétablir malgré l’augmentation des contradictions internes.

Qu’a fait l’ancien parlement et que fera le nouveau parlement ?

Les priorités que les électeurs demandent du parlement sont claires. Un sondage post-électoral a révélé comme principales tâches : pour 31% les coûts de la santé, pour 20% le changement climatique, pour 19% l’accord-cadre avec l’UE, pour 14% les prestations de retraite et que derrière cette-dernière, pour 13% des répondants des questions de la migration ou des étrangers sont centrales. Résoudre ces problèmes selon l’intérêt de la grande majorité ne figure cependant pas sur la liste des priorités des bourgeois.

Le groupe PLR affirme avoir été parmi les vainqueurs dans 94% des votes au parlement et lors de référendums. D’une part, cela montre la stabilité de l’exercice du pouvoir bourgeois par les institutions démocratiques bourgeoises. En fin de compte, les intérêts des capitalistes l’emportent toujours. D’autre part, certaines de ces victoires ont nécessité plusieurs tentatives.

Cette fierté contraste avec la discussion sur la « législature perdue ». Economiesuisse a dû se remonter jusqu’à l’introduction du Lehrplan 21 afin de pouvoir présenter une victoire. « Surmonter les blocage » est le titre de son bilan législatif. « Le bilan, surtout marqué par la stagnation et des reculs, se révèle décevant. » En résumé, les ajustements nécessaires pour le capital suisse, tels que la réduction de l’enregistrement obligatoire de la durée du travail ou l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes, n’ont pas été réalisés. Les tentatives d’assurer les relations économiques avec l’UE se sont terminées par un blocage historique du Conseil fédéral sur la question de l’accord-cadre. La bourgeoisie, avec le soutien du PS, avait besoin de toute la période législative pour sauver la réforme rejetée de l’imposition des entreprises. Cela a montré clairement les limites du référendum comme droit démocratique. Il était clair pour tous claire-pensant que la RFFA était un marchandage antidémocratique qui visait à miner le référendum. Savoir comment faire passer les référendums contre les grandes contre-réformes a occupé intensément les représentants de la bourgeoisie. Nous avons toujours insisté que la crise du régime en Suisse se montrera entre-autre à travers cela.

Une partie du blocage est due aux conflits au sein de la bourgeoisie. Malgré leur majorité, les partis bourgeois n’ont pas trouvé de ligne commune. De nombreuses propositions ont été acceptées grâce à l’alliance tous contre l’UDC. L’opposition de l’UDC est cependant un avantage pour les bourgeois car une partie de la responsabilité de la politique bourgeoise revient alors toujours à la gauche. Par des menaces référendaires, les syndicats ont en partie pu repousser des attaques à après les élections (horaires de travail et accords-cadres). 

Les objectifs pour la bourgeoisie dans la nouvelle législature sont clairs : libéralisation du marché de l’électricité et des services postaux, privatisation, assouplissement de l’enregistrement obligatoire de la durée du travail (heures supplémentaires de facto gratuites en tranches de minutes), contre-réforme AVS et augmentation de l’âge de la retraite, accords de libre-échange avec certains pays et accès garanti aux marchés européens. La crise va accélérer sa mise en œuvre. C’est ce qui va fixer l’agenda de la prochaine législature !

Après avoir examiné la situation des salariés, les mouvements de masse de l’année dernière et les objectifs politiques de la bourgeoisie, nous devons maintenant nous tourner vers les outils dont dispose aujourd’hui la classe ouvrière pour se défendre. 

Le rôle des organisations traditionnelles dans les luttes à venir

Dans sa lutte contre les attaques massives contre ses conditions de vie, la classe ouvrière n’a à sa disposition que les organisations qui ont historiquement évolué. Lorsque la classe ouvrière recommence à se mobiliser pour la première fois après de longues périodes de passivité, elle se tournera d’abord vers ses organisations traditionnelles. Dans ce processus, il est faux de simplement disqualifier les partis et les syndicats réformistes de traîtres et de leur tourner le dos. Ils ne disparaissent pas et ils conservent ainsi leurs centaines de milliers de membres et leur ancrage historique (et surtout sans compétition) dans la classe. 

Mais cette règle n’est pas la seule. Les politiques par lesquelles ces organisations réagissent à la crise et aux attaques déterminent également si ces organisations regagnent ou non la confiance des salariés. Aujourd’hui, les salariés rencontrent une pratique politique totalement incapable de défendre, et encore moins d’améliorer, leurs conditions de vie. Si la classe choisit les organisations réformistes contemporaine, c’est-à-dire le PS et les grands syndicats, pour sa lutte contre la crise et le capitalisme, dépend directement de la réaction de ces organisations aux attaques à venir. Ce qui est décisif, c’est de savoir s’ils rompent, sous la pression du niveau croissant de la lutte de classe, avec la pratique suicidaire des compromis de classe et la remplacent par la lutte radicale contre la politique de crise. 

Le réformisme sans réformes 

Les organisations de masse traditionnel s des mouvements ouvriers sont réformistes, ce qui signifie qu’elles essaient d’améliorer la situation des salariés par des négociations avec les patrons et les partis bourgeois. De cette pratique résulte que leur histoire est marquée par une tradition de compromis avec la bourgeoisie. Dans le capitalisme, de tels compromis sont maintenus tant que les capitalistes peuvent accorder ces concessions aux travailleurs. 

En tant que marxistes, nous soutenons toute réforme qui améliore les conditions de vie de la classe ouvrière. Mais une stratégie uniquement basée sur la réforme a toujours été erronée. Elle estompe les frontières de classes en présentant les capitalistes comme des partenaires E lle rend les salariés passifs et, enfin, elle dissimule le pouvoir des salariés, contrairement aux outils de la grève ou de l’organisation collective.

Au cours des trente glorieuses, les syndicats ont atteint des améliorations sensibles pour les salariés, non pas grâce à leur réformisme, mais malgré celui-ci. Dans une période de croissance économique extraordinaire et de profits gigantesques, les capitalistes pouvaient se permettre la paix du travail. Cette situation exceptionnelle s’est achevée au plus tard dans les années 1980. Depuis, nous nous trouvons dans une période de stagnation et, depuis 2008, de crise ouverte. 

Dans ce contexte, il n’y a pas de place pour des compromis. La surproduction et la concurrence accrue évoquée plus haut obligent les capitalistes à diriger les attaques dans les entreprises et obligent l’État à adopter une ligne inflexible de réductions d’impôts, d’austérité et de casses sociales. Nous devons comprendre que la marge pour des réformes a disparu en raison de la crise. La base du réformisme en tant que stratégie s’est désintégrée. La crise du capitalisme conduit à la crise du réformisme. 

Dans cette situation, tous les partis sociaux-démocrates et réformistes sont confrontés à une problématique d’orientation majeure. Soit ils virent à droite et achèvent leur existence de manière peu spectaculaire dans une chute rapide d’importance, comme le Pasok en Grèce ou le PS de France. Ou ils adoptent un programme socialiste et et se présentent comme des défenseurs fermes de la classe ouvrière, de l’État providence et des couches les plus durement exploitées des salariés. Mais pour cela, il faut qu’une aile gauche s’organise, ce qui rompt finalement avec la logique de compromis et de collaboration de classe du partenariat social. Néanmoins, ce sont nécessairement les premiers pas sur la voie de la construction d’un parti ferme de la classe ouvrière.

Pourquoi le programme révolutionnaire est nécessaire et doit être défendu de manière offensive.

Si le PS ne veut pas disparaître dans un abîme d’ ‘insignifiance, il doit interpréter le résultat électoral comme un signal d’alarme. Après les élections, un débat large sur la réorientation fondamentale de la politique, des pratiques et des objectifs du parti doit avoir lieu. Les prochaines attaques se préparent d’ores et déjà. Si le PS et les syndicats ne font pas leurs preuves dans la lutte contre ces attaques, ils sont susceptibles de perdre rapidement la dernière confiance dont ils jouissent encore.

En réalité, et bien qu’elle n’en soit pas forcément consciente, une grande partie du mouvement pour le climat a dépassé la social-démocratie dans sa radicalisation à gauche. Leurs revendications sont plus radicales, leur compréhension des problèmes plus profonde et plus globale. Si vous demandez à une jeune gréviste du climat de 16 ans, elle est consciente du fait qu’il faut plus que des discussions au Parlement pour changer les choses. Ce que cela signifie exactement et ce que cette situation exige réellement n’est pas encore clair pour cette partie de la jeunesse. De plus, il n’existe aucun parti qui discute avec elle de ces questions et qui leur offre un programme cohérent qui puisse y répondre. 

Dans cette situation, il revient aux organisations de masse d’organiser la résistance active contre les attaques des capitalistes, contre la crise climatique et pour la fin de l’oppression des femmes. Sans résistance unie, les gens sont isolés et doivent faire face à leurs problèmes individuellement. La possibilité de surmonter ces problèmes leur semble une utopie absurde. Ce n’est que lorsque les salariés commencent à se mobiliser et à se défendre, qu’ils reconnaissent leurs intérêts communs et leur force collective. 

Le PS et les syndicats auraient de facto la possibilité d’organiser et de faire avancer ces luttes grâce à leur ancrage social, leur taille et leur appareil. Mais les nombreux militants motivés de la grève du climat ou les employées militantes de crèches de la grève des femmes ne peuvent être gagnées pour la lutte commune que si nous sommes en mesure de leur montrer comment les améliorations peuvent véritablement être acquises. L’excuse selon laquelle « nous ne voulons pas prendre le contrôle des mouvements », que l’on peut entendre par exemple à la JS et au PS, reflète que leur politique actuelle n’a en fait rien à offrir à ces mouvements. Ils ne savent pas comment organiser la lutte de manière à atteindre les objectifs fixés. Leurs méthodes, le réformisme et la recherche de compromis au parlement, ne vont pas faire avancer le mouvement d’un seul pas. 

Ce qui manque aux mouvements est une perspective sur la façon d’attaquer la racine des problèmes Si nous voulons montrer comment gagner, nous devons commencer par une évaluation honnête de la situation. Le temps des négociations en coulisses est révolu. Aujourd’hui, seules des mesures telles que des luttes radicales et des grèves mènent au succès. C’est sur cette base que nous convainquons les salariés de se battre réellement, de faire grève et de mettre leur emploi et le bien-être de leur famille en danger dans ces luttes. 

Ce qui est certain, c’est que les luttes contre l’exploitation dans les hôpitaux et dans les usines, contre la destruction de l’environnement et contre l’oppression des femmes ne peuvent réussir que dans une lutte commune. Pour se rapprocher de ces objectifs il faut dépasser le capitalisme. Non pas comme une réponse définitive, mais comme une base nécessaire pour prendre des mesures décisives dans leur direction. Cette analyse est cependant peu répandue aujourd’hui. 

Notre programme doit donc à la fois expliquer clairement les causes des problèmes du capitalisme et montrer comment les surmonter. Il doit montrer comment s’organiser de telle sorte à mener une lutte collective dans laquelle les salariés contrôlent démocratiquement et par eux-mêmes le processus à travers lequel ils se battent pour arriver à leur propre émancipation. Seul un programme marxiste comporte la cohérence nécessaire pour montrer clairement ces liens. Sans un programme qui place constamment la rupture avec le système au premier plan et qui oriente toutes les luttes vers cet objectif, le mouvement est incapable d’atteindre des succès durables. Car, en situation de crise, la bourgeoisie est obligée de reprendre le plus rapidement possible chacune des concessions qu’elle a données. 

La JS reste la seule organisation nationale de gauche de la jeunesse susceptible d’unir les luttes actuelles des jeunes sur la base d’un programme socialiste dont elle a urgemment besoin. Le fait que la direction de la JS refuse d’intervenir activement et de manière organisée dans le mouvement n’a pas changé le rôle objectif de la JS dans la lutte des classes de la S uisse, du moins pour le moment. Certains membres de la JS ont en effet joué un rôle crucial dans l’ensemble de la Suisse pour l’expansion et la coordination de la grève du climat. Cependant, ils se sont présentés en tant que membres individuels et ont donc laissé le mouvement livré à lui-même et, surtout, en l’absence de programme socialiste. Ainsi, ils empêchent le mouvement d’atteindre ses propres objectifs. C’est pourquoi la tendance marxiste continuera à défendre les positions révolutionnaires au sein de la JS. 

De plus en plus de salariés reconnaissent à travers leurs luttes la nécessité d’un tel programme. Et ces processus augmenteront également la pression de la base sur la direction du PS. Jusqu’à présent, cependant, les dirigeants ignorent totalement la nouvelle situation et la nécessité d’une réorientation radicale vers la gauche. Mais la gifle électorale a remis à l’ordre du jour la nécessité d’un combat d’orientation au sein du PS. Jusqu’à présent, les dirigeants ont tenté de faire la sourde oreille. Mais les contradictions qui règnent au sein du PS, partagé entre une droite ouvertement bourgeoise et une gauche qui compte des éléments syndicalistes, demeurent. Dans cette confrontation se dressent les contours des tendances d’opposition au sein du PS : soit il devient un parti bourgeois, soit il regagne la confiance des salariés avec un programme socialiste de lutte.

En tant que force unique de la gauche au sein du PS, il incomberait à la JS de construire une aile gauche organisée et ouverte au sein du parti. Il est d’autant plus urgent de le faire que l’ancrage du PS auprès des salariés s’est fortement érodé au cours des trente dernières années et n’est à présent plus très solide. L’aile droite du parti, qui veut entièrement se défaire de son ancrage au sein de la classe ouvrière, s’organise déjà. Seule une lutte décidée contre ces agents de la bourgeoisie qui promeut un programme socialiste peut empêcher le PS de perdre son dernier bastion ouvrier lors d’une nouvelle irruption de la crise. 

Ce qu’il faut aujourd’hui

Nous vivons dans une période où l’appel au « system change » est devenu l’exigence d’un mouvement de masse. Il n’a jamais été aussi évident qu’aujourd’hui que le dépassement du capitalisme est devenu une condition nécessaire à la résolution des problèmes les plus urgents auxquels l’humanité est confrontée, et ce à l’échelle mondiale. En même temps, les partis traditionnels de la gauche n’ont jamais eu aussi peur d’énoncer cette simple vérité. Pourtant, il n’est pas seulement nécessaire de reconnaître ce constat parce qu’il est honnête ou urgent de le faire, ou parce qu’il est vrai. t. Dans la situation actuelle, il trouverait beaucoup de personnes prêtes à l’entendre en Suisse aussi !   

 Dès aujourd’hui, un secteur considérable de la classe ouvrière et de la jeunesse a dépassé les organisations traditionnelles dans sa radicalisation à gauche. Comme on le voit dans la grève du climat, leur recherche de réponses poursuit souvent son développement en s’appuyant en partie sur des positions révolutionnaires. Mais là, leur recherche fait face au néant. En effet, il n’existe aucune organisation de taille qui puisse défendre un programme révolutionnaire. Cette contradiction est la caractéristique la plus importante de la situation actuelle.

La prochaine crise conduira à des attaques plus agressives de la bourgeoisie à l’encontre de la classe ouvrière. Cela augmentera la tension entre les masses salariées et les jeunes dans leur recherche de réponses et l’inertie des organisations traditionnelles de gauche. Les salariés en Suisse n’accepteront pas de subir à jamais et passivement de telles attaques, même si leurs organisations traditionnelles ne créent pas les conditions dans lesquelles la résistance pourrait être organisée. Tous les signes indiquent donc que nous verrons des mouvements encore plus nombreux et plus importants à l’avenir. 

Chaque nouveau mouvement de masse exacerbera les tensions entre les salariés et leurs organisations réformistes traditionnelles. Nous devons nous préparer à cette situation. En effet, cette dernière déclenchera un processus de différenciation politique dans lequel nous devrons intervenir et dans lequel les positions marxistes rencontreront une résonnance. Ce sont les idées marxistes qui peuvent offrir aux mouvements des salariés des réponses sur la manière dont peut être victorieuse. Mais cela ne se fait pas automatiquement : nous devons de ce fait être capables de défendre le programme révolutionnaire de manière offensive. Nous devons être capables de montrer que le succès de toute lutte exige qu’elle soit menée en tant que lutte contre le capitalisme. Nous devons expliquer et souligner que c’est la classe ouvrière elle-même qui a le pouvoir de mener cette lutte à bien et de construire une société selon les besoins de l’humanité. 

Cependant, les forces qui se basent aujourd’hui sur le marxisme sont beaucoup trop faibles et n’ont pas encore l’ancrage nécessaire dans la classe pour accomplir cette tâche. A ujourd’hui, notre devoir le plus urgent est la construction d’une organisation assez forte qui prouve la supériorité des idées marxistes dans les temps troubles qui se profilent. C’est donc à nous qu’il revient de convaincre les jeunes et les travailleurs radicaux les plus avancés dans les mouvements de la nécessité d’une lutte commune pour la révolution.