Le marxisme a toujours lutté pour l’émancipation des femmes. C’est pourquoi le 8 mars (Journée internationale des femmes) est un jour important pour nous, car il symbolise la lutte des femmes de la classe ouvrière du monde entier contre la discrimination, l’oppression et le capitalisme. Dans cet article, nous revenons d’abord sur l’histoire marxiste de la lutte pour les droits des femmes depuis la première Internationale jusqu’aux acquis obtenus grâce à la première révolution réussie, c’est-à-dire la révolution bolchevique. Ensuite, nous décrirons la condition des femmes sous le capitalisme, tant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. Enfin, nous posons la question de comment éliminer définitivement l’inégalité entre les hommes et les femmes.

« Modifier la condition de la femme à sa racine n’est possible que si toutes les conditions de l’existence sociale, familiale et domestique sont modifiées. » (Trotsky, La femme et la famille, 1923)

Le capitalisme est dans une impasse et cette crise générale du système pèse particulièrement sur les épaules des femmes et de la jeunesse. Déjà au XIXe siècle, Marx avait souligné la tendance du capitalisme à réaliser des superprofits grâce à l’exploitation des femmes et des enfants. En effet, dans le premier volume du Capital, il écrit :

« Quand le capital s’empara de la machine, son cri fut : du travail de femmes, du travail d’enfants ! Ce moyen puissant de diminuer les labeurs de l’homme, se changea aussitôt en moyen d’augmenter le nombre des salariés; il courba tous les membres de la famille, sans distinction d’âge et de sexe, sous le bâton du capital. Le travail forcé pour le capital usurpa la place des jeux de l’enfance et du travail libre pour l’entretien de la famille; et le support économique des mœurs de famille était ce travail domestique. »  (K. Marx, Le Capital, vol. 1. 1867)

Dans les pays avancés du capitalisme, l’évolution des modes de production et les efforts constants des capitalistes pour augmenter leur taux de profit ont conduit à l’emploi croissant des femmes et des jeunes, cette population étant soumise à de pires formes d’exploitations, travaillant pour des bas salaires dans de mauvaises conditions avec peu ou pas de droits.

En Amérique, quelque 40 millions de femmes ont rejoint le marché du travail au cours des 50 dernières années. En 1950, seul un tiers environ des Américaines en âge de travailler avaient un emploi rémunéré, mais, l’année dernière, cette proportion était de près de trois quarts. Selon les statistiques, 99 % des Américaines auront, à un moment ou à un autre de leur vie, un emploi rémunéré. Bien entendu, l’arrivée des femmes sur le marché du travail est, en soi, un développement progressiste. C’est, en effet, une condition préalable à leur émancipation hors des limites étroites du foyer bourgeois, ainsi qu’à leur développement en tant qu’êtres humains et membres à part entière de la société.

Cependant, le système capitaliste ne voit dans les femmes qu’une source pratique de main-d’œuvre bon marché et une « armée de main-d’œuvre de réserve » à laquelle on fait appel en cas de pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs de production, et dont on se débarrasse à nouveau lorsque le besoin disparaît. C’est ce qui s’est passé pendant les deux guerres mondiales, lorsque les femmes ont été recrutées dans les usines pour remplacer les hommes appelés sous les drapeaux, puis renvoyées chez elles à la fin de la guerre. De même, les femmes ont été à nouveau encouragées à entrer sur le marché du travail pendant la période d’essor capitaliste des années 1950 et 1960, et leur rôle était alors analogue à celui des travailleurs immigrés – à savoir réservoir de main-d’œuvre bon marché. A une période plus récente, le nombre de travailleuses a également augmenté pour pallier aux lacunes dans la chaîne de production, mais, malgré tous les discours sur la « féminisation du monde » et le « girl power », et malgré toutes les lois censées garantir l’égalité de traitement, les travailleuses restent la section la plus exploitée du prolétariat.

Parallèlement, nous assistons à un changement dans la conscience de ces travailleuses. Par le passé, les femmes étaient conditionnées par la société de classes à être politiquement indifférentes, inorganisées et, surtout, passives, ce qui fournissait une importante base sociale à la réaction. En effet, la bourgeoisie, utilisant l’influence de l’Eglise et de la presse (magazines féminins, etc…), pouvait toujours s’appuyer sur cette couche de la population pour se maintenir au pouvoir. Mais cette situation est en train de changer avec l’évolution du rôle de la femme dans la société. Les femmes, du moins dans les pays capitalistes avancés, ne se contentent plus d’être maintenues dans l’ignorance et de se soumettre passivement au rôle traditionnel de « Kirche, Küche et Kinder » (Église, cuisine et enfants). Il s’agit là d’un phénomène très progressif, lourd de conséquences pour l’avenir. De la même manière que la bourgeoisie a largement perdu ses anciennes réserves sociales de réaction de masse dans la paysannerie aux États-Unis, au Japon et en Europe occidentale, les femmes ne constituent plus une réserve d’arriération et de réaction comme par le passé. La crise du capitalisme, avec ses attaques constantes contre les femmes et la famille, radicalisera davantage des couches de plus en plus larges de femmes et les poussera dans une direction révolutionnaire. Il est important que les marxistes comprennent le grand potentiel révolutionnaire des femmes et prennent les mesures nécessaires pour l’exploiter.

En effet, les femmes sont potentiellement beaucoup plus révolutionnaires que les hommes justement parce qu’elles sont plus nouvelles dans la lutte et ne sont donc pas contaminées par des années de routine qui caractérisent l’existence syndicale « normale ». Quiconque a assisté à une grève de femmes peut témoigner de leur formidable détermination, de leur courage et de leur élan. Il est du devoir des marxistes de soutenir toute mesure visant à encourager les femmes à rejoindre et à participer aux syndicats, avec droits et responsabilités égaux.

La Première Internationale

La Première Internationale a, dès le début, pris très au sérieux la lutte pour des réformes, comme en témoigne ce questionnaire concernant les conditions de travail, rédigé par Marx en août 1866 et envoyé par le Conseil Général à toutes les sections de l’Internationale :

« 1. Industrie, nom de l’industrie.

2. Âge et sexe des employés.

3. Nombre de salariés.

4. Salaires et traitements ; a) apprentis ; b) salaires à la journée ou à la pièce ; barème payé par les intermédiaires. Moyenne hebdomadaire, moyenne annuelle.

5. a) Heures de travail dans les usines. (b) Les heures de travail chez les petits patrons et dans les maisons, si l’entreprise est exploitée selon ces différents modes. (c) Travail de nuit et travail de jour.

6. Heures de repas et de traitement.

7. Genre d’atelier et de travail, surpopulation, ventilation défectueuse, manque de lumière naturelle, utilisation de lampe à gaz, propreté, etc.

8. Nature de l’occupation.

9. Effet de l’emploi sur la condition physique.

10. Condition morale. Niveau d’éducation.

11. État du commerce : commerce saisonnier, ou plus ou moins uniformément réparti sur l’année, ou très fluctuant, exposé à la concurrence étrangère, destiné principalement au foyer de la concurrence étrangère, etc. »

De plus, Marx écrit dans le troisième chapitre, intitulé Limitation de la journée de travail­ :

« La limitation de la journée de travail est une condition préliminaire sans laquelle toute tentative ultérieure d’amélioration et d’émancipation ne peut qu’avorter. 

« Elle est nécessaire pour rétablir la santé et l’énergie physique de la classe ouvrière, c’est-à-dire du grand corps de chaque nation, ainsi que pour lui assurer une possibilité de développement intellectuel, de sociabilisation et d’actions sociales et politiques. » (Procès-verbal du Conseil général de la Première Internationale 1864-1866)

Les auteurs du document proposaient la journée de travail légalement limitée à huit heures. De plus, le travail de nuit ne devait être autorisé qu’exceptionnellement, dans les métiers ou corps de métiers spécifiés par la loi, avec une tendance vers la disparition de toute activité nocturne. Surtout, le document poursuit :

« Ce paragraphe ne concerne que les personnes adultes, hommes ou femmes, ces dernières devant toutefois être rigoureusement exclues de tout travail de nuit, quel qu’il soit, et de toute sorte de travail portant atteinte à la délicatesse du sexe, ou exposant leur corps à des organismes toxiques ou délétères. Par personnes adultes, nous entendons toutes les personnes ayant atteint ou dépassé l’âge de 18 ans. » (Ibid.)

Le fait que la propre fille de Marx, Eleanor, a joué un rôle actif parmi les ouvrières de l’East End de Londres reste encore trop peu connu, mais c’est pourtant elle qui, dans un article paru dans la presse sur l’activité professionnelle dans les bureaux de dactylographes (Sweating in Type-Writing Offices) préconisait la création d’un syndicat à la fois pour les dactylographes en bureau, mais également à domicile. Comme elle l’écrivait, « Toute personne espérant vivre de son travail doit travailler sous pression et bien plus que huit heures par jour. » (Yvonne Kapp, Eleanor Marx, The Crowded Years, 1884-98) 

Comme ces lignes résonnent encore cent ans plus tard !

Un tournant important fut la grève des fabricantes d’allumettes londoniennes en 1888, lorsque cette section de la classe ouvrière particulièrement exploitée se révolta contre ses oppresseurs.

Dans l’usine de Bow, dans le quartier pauvre de l’East End, la main-d’œuvre était entièrement composée de femmes, allant de fillettes de 13 ans jusqu’à des mères de familles nombreuses. Les conditions barbares qui y régnaient étaient similaires à celles que connaissent aujourd’hui les travailleurs du tiers-monde. L’utilisation du phosphore blanc pour la fabrication des allumettes provoquait une maladie terrible qui rongeait l’os de la mâchoire, étant donné que les travailleuses étaient obligées de manger dans l’atmosphère pollué de l’usine. Les mauvais salaires étaient aggravés par le système inique des amendes, souvent infligées pour les erreurs les plus insignifiantes, provoquées par la fatigue, tandis que les actionnaires obtenaient un dividende allant jusqu’à 22%.

En juillet 1888, 672 femmes ont ainsi surmonté leur peur et fait grève. Grâce à l’appui des syndicats et à une campagne publique qui a permis de récolter la somme considérable de 400 £, elles ont, en quinze jours, obtenu d’importantes concessions. Fortes de ce succès, elles ont ensuite mis sur pied le syndicat des « Matchmakers », le plus grand syndicat d’Angleterre pour femmes et jeunes filles. Cela représenta un pas de géant dans l’explosion du « nouveau syndicalisme » en Grande-Bretagne, parce que, pour la première fois, un prolétariat non-qualifié s’organisait. Cet exemple est particulièrement porteur d’enseignements et d’espoir pour la période actuelle, car, comme il y a 100 ans, un grand nombre d’employés non-qualifiés et semi-qualifiés ne sont pas organisés et une bonne partie d’entre eux sont des femmes.

Les bolcheviks et les femmes

Les bolcheviks ont toujours pris très au sérieux la question du travail révolutionnaire parmi les ouvrières. Lénine, en particulier, attachait une énorme importance à cette question, surtout dans la période de la poussée révolutionnaire de 1912-14, et pendant la Première Guerre mondiale. C’est à cette époque que la Journée internationale des femmes (8 mars) a été mise en place, en tant que manifestation ouvrière de masse. Ce n’est pas un hasard si la révolution de février (mars, selon le nouveau calendrier) est née de troubles autour de la Journée internationale des femmes, lorsque celles-ci ont manifesté contre la guerre et le coût élevé de la vie.

Les sociaux-démocrates avaient déjà commencé à propager leurs idées de manière significative parmi les travailleuses lors de cette poussée de 1912-14. Les bolcheviks ont organisé la première réunion de la Journée internationale des femme, en Russie, en 1913. La même année, la Pravda a commencé à publier régulièrement une page consacrée aux questions concernant les femmes. Les bolcheviks ont lancé un journal féminin, Rabotnitsa (Femme travailleuse), en 1914, dont le premier numéro est paru à l’occasion de la Journée internationale des femme, lors de manifestations organisées par le parti. Ce journal fut supprimé en juillet, tout comme le reste de la presse ouvrière. Il était soutenu financièrement par les ouvrières d’usine et distribué par elles sur leur lieu de travail. Il rendait compte des conditions et des luttes des ouvrières en Russie et à l’étranger, et encourageait les femmes à se joindre à leurs collègues masculins dans la lutte. Il les exhortait à rejeter les mouvements féministes initié par les femmes bourgeoises après la révolution de 1905.

Le travail révolutionnaire social-démocrate en Russie pendant la Première Guerre mondiale se heurta à d’énormes difficultés. En effet, le parti ainsi que les syndicats étaient illégaux. Mais, dès 1915, le mouvement se remettait des coups portés lors des premiers mois de la guerre, et commençait notamment à trouver un fort écho parmi les femmes, devenues entre-temps une part importante de la main-d’œuvre industrielle. En effet, alors que, au début de la guerre, les femmes ne représentaient qu’environ un tiers des travailleurs, dont une part importante dans l’industrie textile, cette proportion ne fera qu’augmenter durant la guerre, les hommes étant mobilisés au front. Parallèlement, la situation de ces ouvrières s’est aggravée, car elles sont devenues la seule source de revenu de leur famille dans un contexte où les denrées de première nécessité se raréfiaient et devenaient plus chères. Loin d’accepter passivement la situation, elles ont alors pris part à de nombreuses grèves et manifestations contre les difficultés économiques engendrées en Russie par la guerre.

Alors que le parti bolchevique restait majoritairement composé d’hommes (au sixième congrès des bolcheviks en août 1917, les femmes représentaient environ 6 % des délégués), le recrutement de travailleuses en nombre significatif a commencé avec l’insurrection de 1912-14. L’extrait suivant est tiré d’un tract intitulé Aux femmes travailleuses de Kiev, distribué par les bolcheviks à Kiev, en Ukraine, le 8 mars 1915. Ce tract nous donne une idée de la manière dont les bolcheviks ont posé la question dans leur agitation publique. Leur appel liait l’oppression des femmes à la souffrance des travailleurs masculins et à un programme de libération de tous les travailleurs :

« Aussi pitoyable que soit le sort de l’ouvrier, la condition de la femme ouvrière est bien pire. Elle travaille à l’usine ou à l’atelier pour son patron capitaliste et à la maison, elle travaille pour sa famille.

« Des milliers de femmes vendent leur force de travail au capital, des milliers travaillent péniblement comme ouvrières, des milliers et des centaines de milliers souffrent sous le joug de l’oppression familiale et sociale. Et pour l’immense majorité des travailleuses, il semble qu’il doive en être ainsi. Mais est-il vraiment vrai que la femme travailleuse ne peut espérer un avenir meilleur, et que le destin l’a condamnée à une vie entière de travail et uniquement de travail, sans repos nuit et jour ?

« Camarades, travailleuses ! Les camarades hommes souffrent avec nous. Leur destin et le nôtre ne font qu’un. Mais ils ont depuis longtemps trouvé la seule voie qui mène à une vie meilleure – la voie de la lutte du travail organisé contre le capital, la voie de la lutte contre toute oppression, tout mal et toute violence. Femmes travailleuses, il n’y a pas d’autre voie pour vous non plus. Les intérêts des travailleurs et des travailleuses sont égaux et ne font qu’un. Ce n’est que dans une lutte unie avec les hommes travailleurs, dans des organisations ouvrières communes – dans le parti social-démocrate, les syndicats, les clubs de travailleurs et les coopératives – que nous obtiendrons nos droits et gagnerons une vie meilleure. » (Lutte de Lénine pour une Internationale révolutionnaire, 1907-16)

Les femmes après octobre

Dans la Russie tsariste, les femmes étaient légalement esclaves de leur mari. Selon la loi tsariste : « La femme est tenue d’obéir à son mari, qui est le chef de famille. En tant que femme au foyer, elle doit rester avec lui dans le respect, l’amour et l’obéissance inconditionnels, lui accorder tout ce qu’il demande et lui montrer toute son affection. »

Le programme du parti communiste de 1919 déclarait donc : « La tâche du parti, à l’heure actuelle, consiste avant tout à travailler dans le domaine des idées et de l’éducation, de manière à détruire complètement toute trace de l’ancienne inégalité ou des préjugés, en particulier parmi les couches arriérées du prolétariat et de la paysannerie.

Ne se limitant pas à l’égalité formelle, le parti s’efforce alors de libérer également les femmes du fardeau matériel des travaux ménagers, en les remplaçant par des maisons communes, des lieux de restauration publics, des blanchisseries centrales, des crèches, etc. »

Toutefois, la capacité de réaliser ce programme dépendait du niveau de vie général et de la culture de la société, comme l’expliquait Trotsky dans son article De l’ancienne famille à la nouvelle, paru dans la Pravda le 13 juillet 1923 :

« Une fois encore, les conditions d’apparition d’un mode de vie et d’une famille d’un type nouveau ne peuvent être séparées de l’œuvre générale de la construction socialiste. Le gouvernement ouvrier doit s’enrichir pour qu’il soit possible d’organiser de façon sérieuse et adéquate l’éducation collective des enfants, pour qu’il soit possible de libérer la famille de la cuisine et du lavage. La collectivisation de l’économie familiale et de l’éducation des enfants est impensable sans un enrichissement de toute notre économie dans son ensemble. Nous avons besoin de l’accumulation socialiste. C’est à cette seule condition que nous pourrons libérer la famille des fonctions et des occupations qui l’accablent et la détruisent. La lessive doit être faite dans une bonne laverie collective. Les repas doivent être pris dans un bon restaurant collectif. Les vêtements doivent être taillés dans un atelier de couture. Les enfants doivent être éduqués par de bons pédagogues qui trouveront leur véritable emploi. Alors les liens du mari et de la femme ne seront plus entravés par ce qui leur est extérieur, superflu, surajouté et occasionnel. L’un et l’autre ne s’empoisonneront plus mutuellement l’existence. On verra enfin apparaître une véritable égalité de droit. Les liens seront uniquement définis par une attirance mutuelle. Et c’est précisément pour cette raison qu’ils seront plus solides, différents certes pour chacun, mais contraignants pour personne. »

La révolution bolchevique a jeté les bases de l’émancipation sociale des femmes, et bien que la contre-révolution politique stalinienne ait représenté un recul partiel, il est indéniable que les femmes de l’Union soviétique ont fait des progrès colossaux dans la lutte pour l’égalité. En effet, les femmes n’étaient plus obligées de vivre avec leur mari ou de l’accompagner si un changement de travail impliquait un changement de résidence. De plus, elles ont obtenu le droit d’être cheffes de famille et recevaient un salaire égal à celui des hommes. Une attention particulière fut accordée au rôle de la femme dans la procréation et des lois spéciales sur la maternité ont été introduites, interdisant les longues heures de travail et le travail de nuit, ainsi qu’établissant un congé payé à l’accouchement, des allocations familiales et des centres de soins pour enfants. L’avortement est légalisé en 1920, le divorce est simplifié et l’enregistrement civil du mariage est introduit. Le concept d’enfant illégitime est également aboli. Selon les mots de Lénine : « Au sens littéral, nous n’avons pas laissé une seule brique debout des lois ignobles qui plaçaient les femmes dans un état d’infériorité par rapport aux hommes ».

Des progrès matériels ont été réalisés pour faciliter la pleine participation des femmes dans toutes les sphères de la vie sociale, économique et politique – fourniture de repas scolaires gratuits, de lait pour les enfants, d’allocations spéciales pour la nourriture et les vêtements pour les enfants dans le besoin, de centres de consultation pour les femmes enceintes, de maternités, de crèches et d’autres installations.

Dans la révolution trahie, Trotsky écrit :

« La révolution d’Octobre a tenu honnêtement parole en ce qui concerne la femme. Le nouveau pouvoir ne s’est pas contenté de donner à la femme les mêmes droits juridiques et politiques qu’à l’homme, il a fait — et c’est un plus fondamental — tout ce qu’il pouvait, en tout cas infiniment plus que tout autre régime, pour lui ouvrir réellement l’accès à tous les domaines économiques et culturels. Cependant, pas plus que le « tout-puissant » Parlement britannique, la plus puissante révolution ne peut faire de la femme un être identique à l’homme ou, pour mieux dire, partager également entre elle et son compagnon les charges de la grossesse, de l’enfantement, de l’allaitement et de l’éducation des enfants. La révolution a tenté héroïquement de détruire l’ancien « foyer familial » croupissant, institution archaïque, routinière, étouffante, dans laquelle la femme des classes laborieuses est vouée aux travaux forcés, de l’enfance jusqu’à la mort. À la famille, considérée comme une petite entreprise fermée, devait se substituer, dans l’esprit des révolutionnaires, un système achevé de services sociaux : maternités, crèches, jardins d’enfants, restaurants, blanchisseries, dispensaires, hôpitaux, sanatoriums, organisations sportives, cinémas, théâtres, etc. L’absorption complète des fonctions économiques de la famille par la société socialiste, liant toute une génération par la solidarité et l’assistance mutuelle, devait apporter à la femme, et dès lors au couple, une véritable émancipation du joug séculaire. » (Trotsky, La révolution trahie, 1936)

L’internationale communiste

L’Internationale Communiste (IC), suivant les traditions du Parti bolchevique, attachait une grande importance au travail parmi les femmes et donnait l’instruction aux partis communistes « d’étendre leur influence sur les couches les plus larges de la population féminine en organisant des appareils spéciaux à l’intérieur du parti et en établissant des méthodes spéciales d’approche des femmes, dans le but de les libérer de l’influence de la vision bourgeoise du monde ou de l’influence des partis compromettants, et de les éduquer pour qu’elles soient des combattantes résolues pour le communisme, et par conséquent pour le plein développement des femmes ».

Par la création d’« appareils spéciaux » pour le travail parmi les femmes, l’IC ne pensait nullement à des organisations féminines séparées du reste. Une telle idée aurait été aussi abominable que celle d’organisations révolutionnaires séparées pour les nationalités opprimées, les juifs, les noirs, etc… – ce que Lénine et Trotsky ont toujours combattu. En fait, les thèses affirment clairement que « le troisième congrès de l’Internationale communiste est fermement opposé à toute forme d’associations féminines séparées dans les partis et les syndicats ou d’organisations féminines spéciales. » (Thèses, Résolutions et Manifestes des quatre premiers congrès de la Troisième Internationale, 1919-1923).

Ce qu’ils avaient à l’esprit, c’était la nécessité de groupes spéciaux de camarades spécialisés et compétents dans ce genre de travail, pour les tâches techniques d’émission de propagande, de tracts, etc. et généralement pour organiser ce travail. Il a également été précisé que ces groupes ne devaient pas travailler séparément mais sous le contrôle des organes normaux élus du Parti. Les principaux objectifs de ce travail ont été précisés comme suit :

« 1. Eduquer les femmes aux idées communistes et les attirer dans les rangs du Parti ;

2. Lutter contre les préjugés entretenus envers les femmes par la masse du prolétariat masculin, et faire prendre conscience aux travailleurs et aux travailleuses qu’ils ont des intérêts communs ;

3. Renforcer la volonté des femmes travailleuses en les entraînant dans toutes les formes et tous les types de conflits civils, en encourageant les femmes des pays bourgeois à participer à la lutte contre l’exploitation capitaliste, à l’action de masse contre la cherté de la vie, contre la pénurie de logements, contre le chômage et autour d’autres problèmes sociaux, et les femmes des républiques soviétiques à participer à la formation de la personnalité communiste et du mode de vie communiste ;

4. Mettre à l’ordre du jour du Parti et inclure dans les propositions législatives des questions concernant directement l’émancipation des femmes, confirmant leur libération, défendant leurs intérêts en tant que porteuses d’enfants ;

5. Mener une lutte bien planifiée contre le pouvoir de la tradition, des coutumes bourgeoises et des idées religieuses, ouvrant la voie à des relations plus saines et plus harmonieuses entre les genres, garantissant la vitalité physique et morale des travailleurs et travailleuses. » (Ibid.)

L’IC, sous Lénine et Trotsky, n’aurait jamais accepté une attitude négligente envers ce domaine vital du travail politique. Le troisième congrès de l’IC a donc déclaré que 

« Sans la participation active d’une large masse du prolétariat féminin et des femmes semi-prolétaires, le prolétariat ne peut ni prendre le pouvoir ni réaliser le communisme. 

« Cependant, cette commission attire encore une fois l’attention de toutes les femmes sur le fait que la libération de celles-ci, la reconnaissance de leurs droits en tant qu’êtres humains égaux, ainsi que leur réelle émancipation ne pourront être concrètement obtenus sans le soutien du parti communiste. » (Ibid.)

Ainsi dès le début, l’IC, sous Lénine et Trotsky, expliquait le rôle central de la question des femmes, mais premièrement l’abordait exclusivement d’un point de vue de classe et dans une perspective révolutionnaire et secondement expliquait que la véritable émancipation des femmes ne pouvait être atteinte que sous le socialisme. De plus, L’IC soulignait également la nécessité d’intégrer le travail des femmes dans le travail général du Parti, et non de le considérer comme quelque chose de distinct :

« Dans le but de renforcer les liens entre les travailleuses et les travailleurs, il est préférable de ne pas organiser de cours ou d’écoles spéciales pour femmes, mais les écoles générales du parti doivent, toutes sans exception, inclure un cours concernant les méthodes de travail parmi les femmes. » (Ibid.)

Lors du quatrième congrès – le dernier congrès véritablement léniniste de l’IC – un bref bilan a été établi. Celui-ci soulignait la grande importance de ce travail d’approche des femmes travailleuses, en citant particulièrement la situation problématique dans les pays coloniaux de l’Est, mais montrait aussi clairement que le travail n’avait pas été repris avec suffisamment d’énergie par certaines sections :

« L’importance et le rôle joué par les organisations spéciales pour le travail communiste parmi les femmes sont également prouvées par l’activité du Secrétariat des femmes à l’Est, qui ont réalisé un travail important et réussi dans des conditions nouvelles et inhabituelles. Malheureusement, le Quatrième Congrès mondial de l’Internationale Communiste doit admettre que certaines sections n’ont pas rempli, ou seulement partiellement, leur responsabilité d’apporter un soutien constant au travail communiste parmi les femmes. Jusqu’à ce jour, certaines sections n’ont toujours pas pris de mesures pour organiser les femmes communistes au sein du Parti, ou n’ont pas mis en place les organisations du Parti indispensables au travail parmi les masses féminines et à l’établissement de liens avec elles.

« Le Quatrième Congrès insiste d’urgence pour que les partis concernés réparent toutes ces omissions le plus rapidement possible. Il demande à chaque section de l’Internationale communiste de faire tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir le travail communiste parmi les femmes, étant donné la grande importance de ce travail. Le front uni prolétarien ne peut être réalisé sans la participation active et informée des femmes. Dans certaines conditions, s’il existe des liens corrects et étroits entre les partis communistes et les femmes travailleuses, ces dernières peuvent devenir les pionnières du front uni prolétarien et des mouvements révolutionnaires de masse. » (Ibid.)

Le rôle du stalinisme 

Le grand socialiste utopique français Fourier a dit avec sagesse que la position des femmes était l’expression la plus claire de la véritable nature d’un régime social. Alors que la révolution bolchevique a libéré les femmes, la contre-révolution stalinienne a entraîné un renversement radical de la politique concernant les femmes et la famille. Bon nombre des acquis de la révolution ont ainsi été abolis. L’avortement est redevenu illégal et le divorce fut rendu de plus en plus difficile et coûteux. Les prostituées sont arrêtées, alors que la politique bolchevique initiale consistait à n’arrêter que les propriétaires de bordels, à dénoncer les hommes qui achetaient des prostituées et à offrir une formation professionnelle volontaire aux prostituées. Les horaires des garderies ont été réduits pour coïncider avec ceux de la journée de travail. Et les jeunes filles se voient enseigner des matières spéciales dans les écoles afin de les préparer à leur rôle de mères et de femmes au foyer.

En 1938, Trotsky a caractérisé la situation dans les termes suivants : « La position de la femme est l’indicateur le plus parlant pour évaluer un régime social et une politique d’État. La Révolution d’Octobre a inscrit sur sa bannière l’émancipation de la femme et a créé la législation la plus progressiste de l’histoire sur le mariage et la famille. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’une « vie heureuse » était immédiatement réservée à la femme soviétique. Une véritable émancipation des femmes est inconcevable sans un essor général de l’économie et de la culture, sans la destruction de la cellule familiale économique petite-bourgeoise, et sans l’introduction de la restauration et l’éducation des enfants socialisée. Entre-temps, guidée par son instinct conservateur, la bureaucratie s’est alarmée de la « désintégration » de la famille. Elle a commencé à chanter les louanges du repas familial et du travail domestique, c’est-à-dire l’esclavage domestique de la femme. Pour couronner le tout, la bureaucratie a rétabli la criminalisation des avortements, ramenant officiellement les femmes au statut de bêtes de somme. En contradiction totale avec l’ABC du communisme, la caste dirigeante a ainsi restauré le noyau le plus réactionnaire et le plus anachronique du système de classes, à savoir la famille petite-bourgeoise.. » (Trotsky, Oeuvres (1937-38))

Après la mort de Staline en 1953, certaines réformes, comme le droit à l’avortement, ont été rétablies, mais la position des femmes soviétiques n’est jamais redevenue ce qu’elle était sous Lénine et Trotsky. Malgré tout, celles-ci bénéficiaient encore de nombreux avantages comparativement aux femmes occidentales. Par exemple, la croissance économique de l’après-guerre, rendue possible par l’économie planifiée nationalisée, a permis une amélioration générale constante : retraite à 55 ans, absence de discrimination en matière de salaire et de conditions d’emploi, droit pour les femmes enceintes de passer à un travail plus léger avec un congé de maternité entièrement payé pendant 56 jours avant et 56 jours après la naissance d’un enfant.

De même, en 1970, une nouvelle législation a aboli le travail de nuit et le travail souterrain pour les femmes. Le nombre de femmes dans l’enseignement supérieur, en pourcentage du total, est passé de 28 % en 1927, à 43 % en 1960, puis à 49 % en 1970. Les seuls autres pays du monde où les femmes représentaient plus de 40 % du total de l’enseignement supérieur étaient la Finlande, la France et les États-Unis.

La prise en charge préscolaire des enfants s’est améliorée : en 1960, il y avait 500 000 places, alors qu’en 1971, ce chiffre atteint plus de cinq millions. Les progrès considérables de l’économie planifiée, avec les améliorations qui en découlent en matière de soins de santé, se sont reflétés dans le doublement de l’espérance de vie des femmes, passant à 74 ans, et dans la réduction de 90 % de la mortalité infantile. En 1975, le pourcentage de femmes travaillant dans l’enseignement est de 73 %. En 1959, un tiers des femmes occupaient des postes où 70 % de la main-d’œuvre était féminine, mais en 1970, ce chiffre passe à 55 %. À cette époque, 98 % des infirmières étaient des femmes, tout comme 75 % des enseignants, 95 % des bibliothécaires et 75 % des médecins. En 1950, il y avait 600 femmes docteures en sciences, mais en 1984, ce chiffre grimpe à 5 600 !

La contre-révolution capitaliste

Le passage au capitalisme a rapidement inversé les acquis du passé, repoussant les femmes à une position d’esclavage abject sous le nom hypocrite de la famille. La plus grande partie du fardeau de la crise repose sur les épaules des femmes. Elles sont les premières à être licenciées, car elles représentent un plus grand coût en termes de prestations sociales, comme les allocations familiales et de maternité. Alors que les femmes représentaient 51 % de la main-d’œuvre russe il y a quelques années et que 90 % d’entre elles travaillaient, la croissance du chômage fait que, maintenant, plus de 70 % des chômeurs russes sont désormais des femmes atteignant même 90% dans certaines régions. 

L’effondrement des services sociaux et l’augmentation du chômage signifient que tous les avantages de l’économie planifiée pour les femmes sont systématiquement supprimés. La croissance du chômage condamne beaucoup plus de personnes à la pauvreté en Russie qu’en Occident, du fait que de nombreux avantages sociaux sont fournis directement par le lieu de travail : « Le chômage est toujours profondément stigmatisé en Russie. Ce n’est qu’en 1991 qu’il a cessé d’être un crime. Les personnes sans emploi sont exposées à la pauvreté extrême. Les allocations chômage sont liées au salaire minimum de 14 620 roubles par mois, soit un tiers du niveau de subsistance officiel et environ un septième du salaire moyen. Les chômeurs se trouvent souvent dans une situation encore pire que ces chiffres ne le laissent entendre, car la plupart des services sociaux de base – tels que la santé, les écoles et les transports – sont fournis par les entreprises plutôt que par le gouvernement local, et ne sont donc accessibles qu’aux personnes qui travaillent », rapporte The Economist (11/12/93).

Sous le régime précédent, les femmes recevaient 70 % du salaire des hommes. Ce chiffre est aujourd’hui de 40 %. Il était déjà difficile de subvenir aux besoins d’une famille avec un seul salaire dans l’ancienne URSS. Aujourd’hui, avec l’augmentation dramatique de la pauvreté, c’est pratiquement impossible. Les femmes sont donc les principales victimes de ce régime réactionnaire. La prostitution a, elle aussi, énormément augmenté, les femmes essayant de survivre en vendant leur corps à ceux qui ont de l’argent pour les acheter – principalement les méprisables « nouveaux riches » et les étrangers. Même là, elles sont la cible de la mafia qui exige au moins 20 % de leur chiffre d’affaires. Dans les revues occidentales, les femmes russes sont présentées aux côtés des femmes des pays du tiers monde comme des épouses potentielles pour les étrangers. L’humiliant esclavage des femmes, réduites à l’état de marchandises, résume l’humiliation d’un pays contraint de se soumettre au joug de l’exploitation sous sa forme la plus honteuse et évidente.

Le 10 février 1993, le ministre du travail d’alors J. Melikyan a annoncé la solution gouvernementale au chômage. Dans un langage qui ferait honneur à n’importe quel politicien bourgeois de droite en Occident, il a déclaré qu’il ne voyait pas la nécessité de programmes spéciaux pour aider les femmes à retourner au travail. « Pourquoi devrions-nous essayer de trouver des emplois pour les femmes alors que des hommes sont sans emploi et touchent des allocations chômage ? » a-t-il demandé. « Laissez les hommes travailler et les femmes s’occuper du foyer et de leurs enfants. » 

Un tel langage, qui aurait été impensable par le passé, est maintenant visiblement considéré comme quelque chose de normal et d’acceptable. Ici, plus clairement que partout ailleurs, nous voyons le vrai visage de la contre-révolution capitaliste – grossière, brutale et ignorante – un retour monstrueux aux jours de l’esclavage tsariste où chaque esclave était autorisé à dominer sa femme et ses enfants en contrepartie de sa propre condition dégradante.

Cette situation ne s’applique pas seulement à la Russie. Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, neuf femmes sur dix avaient un emploi à temps plein. Le travail des femmes était un droit. Pour permettre de combiner travail et famille, l’État offrait des services exhaustifs de garde d’enfants et une année de congé pour chaque nouveau-né. Tous ces avantages de l’économie nationalisée et planifiée ont été détruits. Les dispositions généreuses qui existaient auparavant en matière de garde d’enfants ont été supprimées. Après l’unification de l’Allemagne, un tiers de tous les emplois féminins ont été supprimés par le chômage de masse dans le secteur public, le textile et l’agriculture. 

The Economist (18/7/98) indique que : « Au cours des dernières années, le taux de chômage des femmes de l’Allemagne de l’Est a constamment oscillé autour de 20%, soit environ cinq points de pourcentage de plus que le taux masculins, et deux fois le taux général de l’Allemagne de l’Ouest. Les femmes de l’Allemagne de l’Est, privées de leur possibilité de revenu (ainsi que de leur système d’aide à la garde des enfants), ont immédiatement commencé à économiser sur les bébés. Le taux de natalité de l’Est a été divisé par deux, passant de 1,56 enfant par femme en 1989 à sa moitié et reste inférieur à un enfant par femme. Mais les femmes de l’Allemagne de l’Est ne renoncent pas à travailler. Elles touchent l’allocation et continuent à postuler. »

Le « tiers-monde »

Dans les pays capitalistes avancés, la situation des femmes a nettement progressé au cours du dernier demi-siècle. Au moins dans un sens formel, elles ont les mêmes droits juridiques que les hommes, elles ont le même accès à l’éducation et, dans une certaine mesure, leur accès au travail s’est amélioré. Cependant, dans les ex-colonies qui contiennent les deux tiers de la population humaine, cela est loin d’être vrai. L’esclavage des femmes est pire aujourd’hui qu’à tout autre moment de l’histoire. Chaque année, 500 000 femmes meurent de complications liées à la grossesse, et peut-être 200 000 autres d’avortements. Les ex pays coloniaux ne consacrent que 4 % de leur PIB à la santé, soit une moyenne de 41 dollars par tête, contre 1900 dollars dans les pays capitalistes avancés. On estime que 100 millions d’enfants âgés de 6 à 11 ans ne sont pas scolarisés. Deux tiers d’entre eux sont des filles. Les principales causes de l’extrême pauvreté du tiers-monde proviennent du double pillage des ressources par le biais du commerce, ainsi que de la dette de deux mille milliards de dollars que le tiers-monde a contractée auprès des grandes banques occidentales.

La domination absolue de l’impérialisme et des méga multinationales fait que la dernière goutte de plus-value est impitoyablement arrachée aux hommes, aux femmes et aux enfants sans distinction. En fait, le travail des enfants existe toujours, dans les pays capitalistes avancés, mais surtout en Asie, en Afrique et en Amérique latine, où il est la norme. Les parents vivant au bord de la famine n’ont d’autre choix que de vendre leurs enfants en quasi-esclavage, y compris le plus vil de tous, la prostitution. La plus-value extraite par les représentants de la civilisation humaine, chrétienne et occidentale porte le sang, la sueur et les larmes de millions de femmes et d’enfants exploités, tout comme à l’époque de Marx. Les bourgeois font semblant d’être horrifiés par cette souffrance, mais empochent quand même leur argent.

Les grands monopoles comme Disney et Nike tirent leurs profits du travail des esclaves dans des pays comme Haïti. La pénétration du grand capital a déchiré sans pitié les vieilles relations patriarcales qui existaient par le passé, comme Marx et Engels l’ont expliqué dans les pages du Manifeste communiste. Cela a donné un caractère particulièrement féroce à l’exploitation capitaliste dans le tiers monde. La protection qu’offraient autrefois aux femmes et aux enfants la famille élargie et les règles de la société tribale et clanique a été détruite et rien ne l’a remplacé. Ainsi, dans le sous-continent indien, les femmes subissent encore les anciens tourments, auxquels s’ajoute l’exploitation barbare du système capitaliste. La bourgeoisie indienne, un demi-siècle après la prétendue indépendance, n’a pas même réussi à abolir le système des castes. La pratique barbare du « suttee », qui consiste à forcer les femmes à se jeter sur le bûcher funéraire de leur mari décédé, existe toujours, des centaines de cas sont recensés chaque année. Et les veuves qui échappent à ce sort sont traitées comme des parias de la société qui n’ont pas le droit de vivre. Elles sont battues, affamées et humiliées par leurs proches, afin de les pousser au suicide.

Partout en Asie, la naissance d’une fille est considérée comme un malheur dans les communautés agraires. L’infanticide féminin est courant. En Chine, les orphelinats d’État sont pleins d’enfants, principalement des filles, qui sont affamées et négligées. La raison en est que les paysans asiatiques pauvres ont besoin de grandes familles pour subvenir à leurs besoins pendant leur vieillesse dans des sociétés où il n’existe pas de système de pension de retraite ou de sécurité sociale. Les garçons sont plus forts et peuvent faire plus de travaux, alors que les filles ont besoin d’une dot pour être mariées. En Inde, si la dot n’est pas jugée suffisante, la mariée peut être tuée par la famille du marié. Tel est l’état de l’Inde au début du 21e siècle. 

Au Pakistan, où la charia islamique est la loi, la situation n’est pas meilleure. Les femmes n’ont pratiquement aucun droit et peuvent être traitées comme leurs parents et leurs maris le souhaitent. Mais le Pakistan est un paradis libéral si on le compare à l’Afghanistan des Talibans. Avant la révolution de 1979, la principale activité économique en Afghanistan était la vente de femmes comme épouses. Les staliniens afghans ont adopté des lois donnant des droits aux femmes. Aujourd’hui, tout cela a été détruit. Les femmes sont privées de tout droit et confinées à la maison. Comme elles n’ont pas le droit de travailler, elles sont obligées de mourir de faim. Cette loi barbare est strictement appliquée, même si le pays connaît une grave pénurie de main-d’œuvre en raison du grand nombre d’hommes morts dans la guerre. Peu importe que beaucoup de ces femmes aient des compétences d’enseignantes ou d’infirmières indispensables. Elles ne doivent pas travailler. Voilà le vrai visage barbare de la réaction islamique. Mais les vrais responsables sont les impérialistes de Washington et leurs laquais au Pakistan qui ont armé et financé ces monstres dans leur lutte contre le « communisme ».

En Afghanistan, la lutte pour les droits des femmes est étroitement liée à la lutte révolutionnaire pour la transformation socialiste de la société et le renversement de cet horrible régime de réaction religieuse. Les femmes d’Afghanistan constituent une puissante force pour la révolution. Ce fait est confirmé par l’expérience de l’Iran, où après 20 ans de réaction islamique, les masses sont fatiguées du règne des mollahs. Le fardeau du fondamentalisme est particulièrement lourd pour les femmes, qui commencent à montrer leur défiance, comme nous l’avons vu lorsque l’Iran a battu les États-Unis dans un match de football, et que les femmes sont sorties dans la rue pour chanter et danser avec les hommes sans le « chadoor », les mollahs étaient alors impuissants à les en empêcher. Ici aussi, les femmes joueront un rôle clé dans la révolution à venir en Iran.

Lénine a dit un jour que « le capitalisme est une horreur sans fin ». Cette horreur touche avant tout les femmes, et plus cruellement encore dans le tiers monde. L’échec du FLN « socialiste » à mener à terme la révolution en Algérie a conduit à l’impasse sanglante actuelle. Les horribles massacres d’hommes, de femmes et d’enfants, où des villages entiers sont littéralement coupés en morceaux à coups de couteaux et de haches, se déroulent avec la complicité silencieuse de l’Occident. Il est clair que ces atrocités ne sont pas le monopole des terroristes islamiques, mais sont aussi, et probablement surtout, l’œuvre du régime militaire et de ses escadrons de la mort. Outre toutes les autres horreurs, les femmes ont été délibérément désignées comme cible pour être enlevées et violées. Un grand nombre de ces femmes se sont ensuite suicidées. L’utilisation du viol comme arme de réaction a encore été observée en Indonésie, où le régime de Suharto a organisé les pogroms contre les Chinois, tout comme le régime tsariste l’avait fait contre les Juifs. Ces horreurs nous montrent ce dont la classe dirigeante est capable. Des événements similaires attendent les pays avancés à l’avenir si les travailleurs ne prennent pas le pouvoir au cours de la prochaine période.

Le poids de l’oppression repose toujours sur les femmes des couches les plus pauvres de la société. Cependant, en particulier dans le tiers monde, il existe de nombreux cas de traitements brutaux et inhumains également à l’encontre de femmes d’autres classes. Les marxistes doivent lutter contre toutes les injustices de la société, en se basant sur la classe ouvrière qui seule peut la sortir de cette impasse. Toute injustice contre les femmes doit être dénoncée.

Sans heurter les sensibilités religieuses, en utilisant un langage habile, nous devons aussi exposer le rôle de la religion. La lutte pour la révolution en Asie et au Moyen-Orient exige une lutte contre toutes les formes d’obscurantisme et de fondamentalisme religieux qui, indépendamment de sa démagogie « anti-impérialiste », joue toujours le rôle le plus réactionnaire dans la société. L’émancipation des femmes restera toujours une utopie si elle ne s’accompagne pas d’une lutte contre toutes les religions, qui soutiennent et perpétuent inévitablement l’asservissement des femmes.

Les femmes et le chômage

La crise du capitalisme s’exprime par un taux de chômage élevé, même en période de croissance. Cette situation affecte les femmes et les jeunes beaucoup plus sévèrement que les autres couches de la société. Ainsi les taux de chômage sont beaucoup plus élevés chez les femmes que la moyenne, et ces chiffres sous-estiment la situation réelle puisqu’ils excluent un grand nombre de femmes qui ont abandonné tout espoir de trouver un emploi et ne se donnent plus la peine de s’inscrire à l’agence de placement. La tendance générale à la précarisation du travail (sous le couvert de la flexibilisation) à ses effets les plus néfastes sur les femmes. La plupart, même sans cela, étaient déjà condamnées à des salaires et des conditions de travail déplorables. 

Aujourd’hui, leur condition est allée de mal en pire. La multiplication incontrôlée du travail à temps partiel et du travail temporaire, supposé être plus adapté aux femmes, est une excuse idéale pour infliger de telles conditions à cette couche vulnérable de la société, comme l’admet The Economist : « En Amérique, où l’économie est en plein essor et où le marché du travail est tendu, les femmes sont une véritable chance pour de nombreux employeurs. Elles coûtent généralement moins cher à employer que les hommes, sont plus disposées à être flexibles et moins enclines à faire des histoires si les conditions de travail sont mauvaises. Elles sont beaucoup moins nombreuses à être affiliées à des syndicats. La seule surprise vient du fait que le taux de chômage des femmes américaines n’est pas inférieur à celui des hommes. » (The Economist, 18/7/98.)

Et il ajoute : « Beaucoup d’entre eux sont ce que les économistes du marché du travail appellent des « emplois atypiques », le type d’emploi qui convient souvent mieux aux industries de services : à temps partiel, temporaire, impliquant des horaires irrégulières, inhabituelles ou effectuées sous contrat. Certains de ces emplois sont instables, et beaucoup sont mal payés. Les femmes, soucieuses de trouver un moyen de combiner emploi et famille, se sont révélées beaucoup plus souples et adaptables à cette nouvelle façon de travailler que les hommes. » (The Economist, 18/7/98.)

Partout, les emplois à temps partiel sont en augmentation. Pour de nombreuses femmes, c’est le seul emploi qu’elles peuvent envisager car il est possible de concilier travail et famille. Cela convient parfaitement aux employeurs, qui peuvent traiter leurs employés comme ils l’entendent, les mettre sous pression pour qu’ils soient plus performants et les payer au rabais. De nouvelles variations sur ce thème ne cessent de voir le jour. La plus récente est le travailleur « atypique » : en fait, toute personne dont le travail n’est pas censé durer. Ces personnes travaillent dans un large éventail de secteurs, en tant que travailleurs temporaires, contractuels ou sur appel. Aux États-Unis, de récentes estimations du ministère du travail évaluent leur nombre à environ 5,5 millions, dont plus de la moitié sont des femmes et près de la moitié des travailleurs à temps partiel. Ils sont moins bien payés que leurs collègues et ne bénéficient généralement pas d’une assurance maladie ou d’autres avantages sociaux de la part de leurs employeurs.

La version allemande est appelée « emploi marginal », et de nombreux économistes estiment qu’elle se développe à pas de géant. Il repose sur une concession légale qui dispense les personnes gagnant moins de 620 DM (340 $) par mois de cotiser au système de sécurité sociale allemand complet (et très coûteux), mais les exclut également des droits à la retraite et des allocations de chômage. Selon une estimation, le nombre total de personnes employées uniquement dans ces « petits » emplois s’élève à plus de 4 millions, dont la moitié environ sont des femmes.

« En raison de leurs responsabilités familiales, les femmes consacrent en moyenne beaucoup moins d’heures que les hommes à leur travail rémunéré », explique timidement The Economist, « de sorte que leur salaire hebdomadaire ou annuel est encore plus bas que celui des hommes. Dans l’ensemble de l’Union européenne, environ un tiers des femmes actives travaillent en dessous de la semaine normale de 35 à 40 heures (bien que cette moyenne cache de grandes différences) ; chez les hommes, la proportion de travailleurs à temps partiel n’est que d’environ 5 %, et la plupart d’entre eux sont soit des étudiants, soit des travailleurs âgés en passe de prendre leur retraite. En Amérique, la proportion de femmes travaillant à temps partiel est plus faible qu’en Europe, mais la proportion d’hommes est plus importante. Les chiffres japonais ressemblent à ceux de l’Europe, mais de nombreuses femmes à temps partiel y travaillent presque à temps plein ; elles sont simplement moins bien payées que les travailleuses officielles à temps plein. Le terme « temps partiel » est encore souvent synonyme de « deuxième classe ». (The Economist, 18/7/98.)

Le surmenage et la famille

Une enquête récente sur les femmes au travail, publiée par The Economist, dresse un bilan horrible du type de surmenage qui afflige les Américaines d’aujourd’hui – non seulement les ouvrières dans l’industrie mais aussi les employées dans le secteur du service – et qui exerce les effets les plus néfastes sur la vie familiale et les relations personnelles :

« Lorsque les deux parents travaillent (ce qui est la norme, sauf pour les cadres supérieurs), une journée typique commence avant l’aube pour préparer les enfants et les déposer à la crèche de l’entreprise (largement subventionnée). Les parents passent ensuite une longue journée au travail avant de récupérer les enfants après dix heures de garderie, de faire quelques courses sur le chemin du retour, de nourrir tout le monde, de mettre le linge dans la machine à laver, de nettoyer le désordre, de lire une histoire aux enfants et d’aller eux-mêmes se coucher, complètement épuisés. Et ce sont les jours où tout va bien.

« Mme Hochschild a constaté que ces employés prenaient rarement un congé parental, travaillaient selon un horaire flexible ou se servaient de l’une des autres politiques favorables à la famille proposées. Au lieu de cela, ils passent de plus en plus de temps au travail, faisant souvent beaucoup d’heures supplémentaires. Parfois, ils ont vraiment besoin de ces heures supplémentaires. Mais le plus souvent, confrontés à un choix entre le stress au travail et le stress à la maison, les hommes et les femmes choisissent le travail, où au moins ils apprécient le contact avec leurs collègues, sont pris au sérieux et sont payés pour leurs efforts, alors qu’à la maison ils se sentent isolés, considérés comme acquis et écrasés par des demandes incessantes. Le travail est devenu la maison, et la maison est devenue un travail dur. 

« Il est certain qu’une majorité de familles américaines ayant des enfants d’âge scolaire mènent aujourd’hui le genre de vie décrit dans le livre », ajoute The Economist (18/7/98).

Evidemment, ces travailleurs ne sont pas satisfaits de leur situation. Plus de la moitié d’entre eux ont cité le « manque de temps » comme leur problème principal. C’est l’une des contradictions les plus frappantes du capitalisme moderne. Alors que les progrès de la science et de la technologie ont fourni la base nécessaire pour révolutionner la vie des gens, en offrant un meilleur environnement de travail et une semaine de travail plus courte, des millions de personnes sont condamnées à la misère de l’oisiveté forcée du chômage, tandis que des millions d’autres, assez « chanceux » pour avoir un emploi, sont condamnés à une vie de travail pénible, de longues heures et de pression constante au travail. Ils sont condamnés à sacrifier leur santé, leur bien-être physique, leur vie familiale et leur relation avec les enfants.

Les progrès de la technologie sont utilisés pour accroître l’asservissement du travailleur au patron, faisant des travailleurs à domicile, même à temps partiel, des esclaves du bureau avec des journées de travail illimitées. Des inventions telles que les téléphones portables, les bipeurs, et les ordinateurs portables permettent un niveau de contrôle sans précédent sur le travailleur, même en l’absence de supervision directe. La distinction entre le lieu de travail et la maison, entre les heures de travail et le temps libre n’a plus de sens. La tyrannie du Capital, sa maîtrise absolue sur les travailleurs et leurs familles, devient absolue. La question que nous devrions donc nous poser en ce début de XXIe siècle n’est pas « Existe-t-il une vie après la mort ? » mais plutôt « Existe-t-il une vie avant la mort ? ».

La double journée

Pour pouvoir travailler, les femmes avec des enfants doivent trouver un moyen de faire en sorte qu’ils soient pris en charge. Dans une société saine, le principe de l’éducation universelle gratuite devrait être étendu aux enfants dès leur plus jeune âge, en plus des conditions les plus généreuses de congé parental rémunéré pendant les premières années. Au lieu de cela, les mères de la classe ouvrière sont obligées de laisser leurs enfants dans des « crèches » insatisfaisantes avec des personnes inexpérimentées et non qualifiées. De telles situations ont donné lieu à des tragédies. Les médias en profitent pour jeter l’opprobre contre ces femmes malchanceuses. Mais ils se gardent bien de pointer du doigt la société qui crée les conditions de telles monstruosités.

Selon une étude récente de l’Institut national de la santé infantile et du développement humain, environ 80 % des bébés américains sont régulièrement gardés par une personne autre que leur mère au cours des 12 premiers mois de leur vie ; la plupart d’entre eux commencent à être gardés avant l’âge de quatre mois ; et ils sont généralement gardés environ 30 heures par semaine. Mais il ajoute que :

« La plupart de ces structures sont loin de répondre aux normes que chacun d’entre nous considérerait comme idéales. A peine suffisant, est le terme correct pour décrire l’arrangement typique de garde d’enfants dans ce pays ; environ 15 à 20 % sont en fait lamentables et même dangereux. » (The Economist, 18/7/98)

Ces conditions rudimentaires sont trop coûteuses pour de nombreuses femmes qui sont obligées d’abandonner toute tentative de trouver un emploi. Malgré tous les discours à propos des femmes émancipées, les femmes carriéristes, etc., beaucoup restent coincées entre les quatre murs de la maison. Dans l’ensemble de l’Europe, environ un tiers des personnes en âge de travailler se décrivent comme des « femmes au foyer », selon le European Community Household Panel, bien que cela inclut probablement certaines personnes ayant un emploi à temps partiel. Plus elles ont d’enfants, plus elles sont susceptibles d’être confinées à la maison. « Dans presque tous les pays de l’UE, les femmes qui travaillent semblent être en meilleure santé et plus satisfaites de leur vie que celles qui ne travaillent pas. Mais elles sont au moins dispensées de la « double journée » : une journée de travail à la maison après une journée de travail pour leur employeur. » (The Economist, 18/7/98.)

Il y a cent ans, nous lisons dans le programme d’Erfurt de la social-démocratie allemande :

« Le travail des femmes dans l’industrie a encore pour résultat de troubler complètement la vie de famille de l’ouvrier, sans la remplacer par une forme familiale plus élevée. Le mode de production capitaliste ne dissout pas, dans la majorité des cas, le ménage de l’ouvrier ; mais il lui dérobe toutes les joies et n’en laisse subsister que les sombres côtés. Surtout il permet à la femme de dissiper ses forces et il l’exclut de la vie publique. Le travail de la femme ne la décharge pas des travaux du ménage, il augmente son fardeau d’un poids nouveau. Mais on ne peut servir deux maîtres à la fois. Le ménage de l’ouvrier périclite quand la femme est obligée de contribuer aux gains de la famille. La société actuelle remplace le foyer et la famille de l’ouvrier par un succédané misérable, la cuisine populaire et l’école des pauvres qui jettent en pâture aux classes inférieures les déchets de la nourriture matérielle et spirituelle des riches. » (K. Kautsky, La lutte des classes. Le programme d’Erfurt, 1892)

Ce constat reste vrai aujourd’hui. Les femmes souffrent d’un double esclavage : à l’esclavage du travail s’ajoute la « double journée » à la maison. Les femmes japonaises qui travaillent, consacrent environ trois heures et demie par jour aux tâches domestiques, en plus de leur travail rémunéré. Cette situation est similaire dans les autres sociétés occidentales soi-disant civilisées.

Les femmes et les syndicats

La transformation socialiste de la société serait impensable sans la lutte quotidienne pour les avancées sous le capitalisme. Nous ne sommes donc pas du tout indifférents à la lutte pour réformer la société. Cependant, pour les marxistes, le point le plus important est le fait que les travailleurs se forment par la lutte. Notre tâche principale est de les « rallier patiemment », en commençant par les femmes les plus conscientes et les plus actives dans les syndicats et les partis travailleurs. De démontrer la nécessité de la transformation socialiste de la société, non seulement au niveau national mais aussi international. Notre objectif est d’élever leur niveau théorique, de les intéresser aux questions plus larges, à la théorie et aux idées, et de les gagner au marxisme. Nous devons veiller à ne pas tomber dans la même erreur que de nombreux réformistes, la multitude de sectes, et certainement de nombreuses féministes bourgeoises, en pensant que les femmes ne s’intéressent qu’aux questions des femmes. Bien que nombre de ces questions soient importantes, ce serait une grave erreur de sous-estimer l’intérêt des femmes pour les problèmes plus larges et les questions essentielles de notre temps. Au contraire, les meilleures combattantes de classe seront attirées et encouragées par les théories et le programme révolutionnaires du marxisme.

La lutte pour les intérêts des femmes doit commencer sur le lieu de travail. Le premier devoir des marxistes consiste à organiser les travailleuses dans les syndicats et à lutter pour des salaires et des conditions décentes, ainsi que pour une égalité totale avec les travailleurs masculins. Les travailleuses représentent un potentiel révolutionnaire colossal pour le mouvement ouvrier, que la bureaucratie syndicale conservatrice et bornée n’est pas capable de développer. Avec les nouvelles conditions de production et l’énorme expansion de ce qu’on appelle les industries de services, le nombre de femmes travaillant dans des conditions de misère a considérablement augmenté, alors que la grande majorité d’entre elles ne sont pas organisées en syndicats. Les marxistes dans les syndicats devraient prendre l’initiative, partout où c’est possible, de soulever la nécessité d’une campagne pour organiser les couches non organisées, et en particulier les femmes et les jeunes dans ces « métiers ».

La question centrale est la discrimination flagrante envers les femmes sur le lieu de travail. Dans le monde entier, les femmes sont, en moyenne, moins bien payées que les hommes – généralement de 20 à 30 % – pour un travail similaire. En outre, un salaire inférieur signifie généralement des avantages sociaux moindres, voire inexistants, et une pension plus faible au moment de la retraite. Cette situation n’est pas seulement nuisible aux femmes, mais aussi aux travailleurs hommes. L’acceptation de bas salaires pour tout groupe de travailleurs a un effet dépressif sur les salaires et les conditions en général. Accepter cela est réactionnaire, source de division et contre-productif. Cela explique également l’indifférence de nombreuses femmes à l’égard des syndicats qui ne font rien pour elles. L’organisation des personnes non organisées est un devoir fondamental des syndicats, surtout à l’époque actuelle. La lutte pour obtenir « un salaire égal pour un travail égal » revêt une importance particulière. Le principe « à travail égal, salaire égal » peut facilement être détourné et contourné par les capitalistes, car il est souvent difficile ou impossible de comparer les différents types de travail effectués par les hommes et les femmes dans les différentes branches de la production.

Pour reprendre les mots d’une enquête de The Economist :

« Cette fois, comme par hasard, elles ont découvert que le travail les attendait. La restructuration des économies développées a entraîné la création d’un grand nombre de nouveaux emplois dans le secteur des services, qui ne ressemblent guère aux emplois traditionnels, sûrs, à temps plein et à durée indéterminée, occupés principalement par des hommes dans le secteur manufacturier. Nombre de ces nouveaux emplois sont à temps partiel ou comportent des horaires irréguliers, offrant et exigeant un degré de flexibilité qui convient souvent aux femmes. En outre, bon nombre de ces emplois se situent dans des secteurs à bas statut et bas salaire, tels que la vente, la restauration et le nettoyage, qui ne présentent qu’un faible intérêt pour les hommes chargés de subvenir aux besoins de leur famille. » (The Economist, 18/7/98.)

Dans les secteurs où travaillent beaucoup de femmes et peu d’hommes, les niveaux de salaire ont tendance à être bas. C’est particulièrement vrai dans les secteurs de la vente, du nettoyage et de la restauration, un peu moins dans des emplois tels que les soins infirmiers et l’enseignement, où le principal employeur est le secteur public. Avec un si grand nombre de femmes concentrées dans des emplois à bas salaire, il n’est pas surprenant que, malgré une abondante législation sur l’égalité des salaires, un écart important subsiste dans tous les pays entre les revenus des hommes et ceux des femmes. Grâce à la pression exercée par les travailleuses et les syndicats, cet écart se réduit : en Amérique, par exemple, au cours des 20 dernières années, le salaire horaire des femmes est passé de 64 % de celui des hommes à plus de 80 %. Cependant, les écarts existent toujours, et plus on descend dans l’échelle des salaires, plus ils augmentent. Alors que les jeunes travailleurs et travailleuses professionnels sans enfants qui travaillent à plein temps aux États-Unis perçoivent souvent des salaires similaires, les travailleuses mal payées dans les secteurs manufacturiers ne perçoivent qu’une fraction du salaire moyen des hommes travaillant dans ces mêmes industries.

Les femmes sont également discriminées en raison de leur capacité naturelle à avoir des enfants. En effet, dans notre société actuelle, avoir un enfant, ce qui devrait être une occasion de se réjouir, est en fait souvent une misère, surtout pour la mère. Souvent, cela signifie la perte d’un emploi, le basculement dans la pauvreté la plus totale et à une dépendance humiliante aux misérables prestations étatiques. La presse bourgeoise, surtout en Grande-Bretagne et en Amérique, qualifie cyniquement les mères célibataires de parasites « vivant aux frais de l’État », sans expliquer comment ces femmes se voient refuser l’accès au marché du travail et sont marginalisées de la société de la manière la plus brutale et la plus inhumaine qui soit. Or, même si elles réussissent à conserver un emploi, cela signifie toujours une baisse de revenus. 

« Toutefois, dès que les femmes commencent à avoir des enfants, leur salaire relatif diminue, et plus elles ont d’enfants, plus leur salaire recule ». (The Economist, 18/7/98)

Marxisme ou féminisme ?

Les marxistes doivent activement défendre la cause des femmes, lutter contre l’inégalité et toutes les formes d’oppression, de discrimination et d’injustice. Mais nous devons toujours mener cette lutte d’un point de vue de classe. En luttant de manière conséquente pour chaque réforme qui représente une réelle amélioration pour les femmes, nous devons expliquer que la seule manière d’atteindre réellement cette émancipation – des femmes et de toutes les autres couches opprimées de la société – est d’abolir le système capitaliste. Pour ce faire, il faut que les travailleurs et les travailleuses soient unis dans leur lutte contre le capitalisme. Toute tendance consistant à monter les femmes contre les hommes, ou à diviser et séparer celles-ci du reste du mouvement ouvrier au nom de la « libération des femmes » ou de toute autre chose, est totalement réactionnaire et doit être fermement combattue.

Nous luttons pour l’unité du prolétariat, sans distinction de genre, de race, de couleur, de religion ou de nationalité. Par conséquent, notre combat pour la cause des femmes implique nécessairement une lutte acharnée contre toutes les formes de féminisme bourgeois et petit-bourgeois. De telles tendances, là où elles gagnent en influence dans le mouvement ouvrier, font toujours le jeu des éléments les plus réactionnaires, jouent un rôle de division et sèment la confusion parmi les femmes qui s’orientent vers le socialisme. Sur ce sujet, comme tous les autres, nous devons adopter une position de classe ferme. Comme nous l’avons vu, le parti bolchevique et l’Internationale communiste, dans leurs résolutions, ont toujours parlé de « femmes travailleuses » et non de femmes en général. La lutte pour les droits des femmes englobe évidemment toutes les femmes prolétaires, y compris les femmes au foyer, les chômeuses, les étudiantes, etc. Mais les femmes travailleuses, qui représentent aujourd’hui une partie importante et croissante de la classe ouvrière, constituent l’élément clé.

La simple réussite d’une « égalité des droits » formelle, sans transformation des relations sociales, est extrêmement limitée et laisse inchangées les racines fondamentales de l’oppression des femmes dans la société capitaliste. Au cours de la dernière période, la plupart des « améliorations » supposées liées à la « discrimination positive » ont, en réalité, servi de moyen pour la promotion d’une couche de petits bourgeois carriéristes. Au cours de la dernière décennie, la voix du féminisme militant petit-bourgeois, autrefois si vigoureuse dans ses demandes « d’égalité » (le droit d’avoir des femmes prêtres, cadres, etc.), est devenue de moins en moins entendue. Pourquoi ? Car les féministes de la classe moyenne obtiennent en grande partie ce qu’elles demandent.

La bourgeoisie a laissé un peu plus de place aux femmes occupant des postes de directeurs généraux, de juges, de banquiers, de bureaucrates et de prêtres. La promotion des femmes dans les cadres intermédiaires est passée de 4 à 40 % du total au cours des 20 dernières années aux États-Unis. 419 des entreprises du Fortune 500 comptent désormais au moins une femme au conseil d’administration, et un tiers d’entre elles en comptent deux ou plus. Les plus grandes entreprises réussissent bien mieux à promouvoir les femmes que celles qui se situent au bas de l’échelle de Fortune 500. Certaines femmes s’en sortent donc très bien. Ces bourgeois et petits bourgeois carriéristes ont toujours été favorables à l’émancipation des femmes « une par une, à commencer par moi-même ».

C’est pourquoi nous avons toujours été opposés au féminisme bourgeois et petit-bourgeois. Il n’a rien à voir avec la véritable lutte pour l’émancipation des femmes qui n’est possible que par le renversement du capitalisme. Une fois que ces femmes carriéristes ont résolu leur « problème » personnel dans les limites du capitalisme, elles sont heureuses d’oublier les 99 % de femmes qui subissent l’oppression et l’exploitation les plus terribles, tandis que les anciennes « féministes » rejoignent les rangs des exploiteurs. Un phénomène similaire s’est produit avec les Noirs de la classe moyenne qui ont fait fortune dans « l’industrie des relations raciales » ces dernières années. La classe dirigeante peut toujours faire ce type de « concession » à un mouvement qui ne menace en aucune façon son pouvoir.

Nous ne sommes pas en faveur de la « discrimination positive », que ce soit pour les femmes, les Noirs ou toute autre couche sociale. Il s’agit d’une revendication petite-bourgeoise qui sert à détourner l’attention des racines fondamentales de l’inégalité. Par sa nature même, les quotas arbitraires de femmes, de Noirs, etc., servent à promouvoir une minorité de carriéristes et à donner l’impression que « quelque chose est fait » tout en laissant le problème de base intouché. Cette méthode n’apporte pas de véritable réponse au problème de la discrimination, mais constitue une distraction et un exercice de pure forme. En outre, il s’agit généralement d’une méthode utilisée par la bureaucratie pour bloquer la gauche et doter les commissions, conseils et parlements dirigeants de carriéristes et de laquais féminins ou noirs. Le cas le plus évident est celui des États-Unis, où cette méthode a été habilement utilisée par la bourgeoisie pour détourner la question raciale en créant une couche assez importante de carriéristes noirs. Les Noirs de la classe moyenne ont profité de la lutte contre le racisme pour occuper de bons emplois bien payés et décider ensuite qu’il serait préférable pour eux d’être plus « modérés » et « raisonnables ».

Certes, il arrive que des femmes et des jeunes filles honnêtes qui travaillent se disent féministes sans en comprendre forcément les implications. Nous devons évidemment avoir une attitude ouverte et positive à leur égard, de la même manière que nous le ferions pour les personnes appartenant à des nationalités opprimées. Mais tout comme nous sommes opposés au nationalisme, nous sommes opposés au féminisme bourgeois. Le combat contre la discrimination ne change en rien cette position. Nous abordons toujours la question de l’inégalité du point de vue de la lutte des classes et du socialisme et d’aucun autre point de vue. Il faut soutenir les femmes de la classe ouvrière qui expriment leurs préoccupations concernant les problèmes auxquels leur sexe est confronté (salaires inégaux, charge des tâches ménagères, problèmes d’éducation des enfants, harcèlement sexuel et violence à l’égard leur égard) et les soutenir dans leur lutte contre ces problèmes. Ce que nous ne soutenons pas ce sont lorsque des tendances bourgeoises et petites-bourgeoises tentent d’exploiter les problèmes des femmes pour créer un fossé entre les sexes en isolant le problème de l’oppression des femmes du reste des oppressions (raciales, économiques, etc) et surtout de l’oppression générale du capitalisme. Les problèmes normaux des femmes de la classe ouvrière sont une sorte de déclaration selon laquelle elles constatent l’existence de l’inégalité et s’y opposent. Cela peut être le point de départ d’une participation à la lutte pour changer la société dans le sens du socialisme, tandis que le féminisme bourgeois et petit-bourgeois traite la question des femmes de manière isolée et cherche une solution dans les limites du système capitaliste, ce même système étant à la base des oppression, cela conduit inévitablement à des conclusions réactionnaires.

La culture menacée

Les femmes ont des besoins spécifiques qui doivent être pris en compte. Il ne s’agit pas seulement de la question de la discrimination sur le lieu de travail ou des salaires inférieurs. Mais, le rôle spécifique des femmes en tant que parents soulève la nécessité de droits spéciaux pour protéger les femmes enceintes et les mères. Ainsi, l’introduction de l’égalité formelle, bien qu’elle constitue sans aucun doute un progrès, ne résout pas le problème fondamental des femmes :

« La revendication féministe la plus radicale – l’extension du suffrage aux femmes dans le cadre du parlementarisme bourgeois – ne résout pas la question de l’égalité réelle des femmes, surtout celles des classes sans propriété. L’expérience des femmes travailleuses dans tous les pays capitalistes où, au cours des dernières années, la bourgeoisie a introduit l’égalité formelle des sexes, le montre clairement. Le vote ne détruit pas la cause première de l’asservissement des femmes dans la famille et la société. Certains États bourgeois ont substitué le mariage civil au mariage indissoluble. Mais tant que la femme prolétaire reste économiquement dépendante du patron capitaliste et de son mari, et en l’absence de mesures globales de protection de la maternité et de l’enfance, de soins et d’éducation socialisés des enfants, toutes les avancées légales ne peuvent pas mettre sur un pied d’égalité les femmes dans le mariage ni résoudre le problème des relations entre les sexes. » (Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste 1919-1923)

L’ensemble de l’histoire des réformes sociales concernant les femmes au cours du dernier siècle montre que c’est tout à fait correct.

Les problèmes des femmes ne s’arrêtent pas à la porte de l’usine ou du bureau, mais s’étendent à la maison et à l’ensemble de la société. C’est pourquoi nous devons lutter pour l’abolition de toute législation discriminatoire, pour l’égalité complète des femmes et des hommes devant la loi, pour l’étendue de ces droits au divorce et à l’avortement, pour l’accès gratuit à la contraception et aux examens de santé, pour des crèches et des services de garde d’enfants gratuits et de bonne qualité à tous les âges. Nous devons ainsi élaborer un programme de revendications transitoires, en partant des besoins immédiats et les plus pressants des femmes à tous les niveaux, non seulement sur le lieu de travail, mais aussi à la maison, pour la garde des enfants, l’éducation, le logement, les transports publics, les pensions, les loisirs, les droits juridiques, etc. Nous luttons donc pour chaque revendication progressive qui tend à améliorer la condition des femmes, mais il est impératif de présenter ces revendications du point de vue de la classe. Par exemple, nous devons effectivement exiger l’ouverture de crèches de bonne qualité, payées par l’État. Cependant, nous reconnaissons que la lutte quotidienne pour les droits des travailleuses n’est pas une fin en soi, mais un moyen de rendre les femmes conscientes de leur position en tant que membres d’une classe exploitée, et de la nécessité de lutter pour un autre type de société où leurs droits en tant qu’êtres humains seront respectés.

Le déclin du système actuel menace toute notre civilisation. Outre les problèmes sociaux et économiques causés par la pauvreté, les bas salaires et le chômage, le prolétariat est de plus en plus confronté aux problèmes de la drogue, la criminalité et des abus de toutes sortes et cette situation menace en premier lieu les femmes, les enfants et les jeunes. Les réactionnaires et les prêtres se plaignent de la « déchéance morale » de nos sociétés actuelles mais ils sont incapables de faire le lien avec la crise du système dans lequel nous vivons. Il est du devoir du mouvement ouvrier de lutter pour défendre les aspects de la culture et de la civilisation qui existent et qui sont menacés par le déclin du capitalisme. En effet, le modèle ancien de la famille tend à se décomposer, mais rien n’est mis à sa place. En conséquence, des millions de femmes, dont beaucoup sont jeunes et vulnérables, sont confrontées à une vie de misère abrutissante en tant que parent isolé et dépendant de la générosité de la bureaucratie d’État. Comme si leur souffrance ne suffisait pas, les hypocrites bourgeois mènent une campagne impitoyable pour les insulter, les humilier et les criminaliser, les présentant comme des parasites sociaux, « vivant aux dépens de la société » (ce qui est exactement ce que fait la bourgeoisie).

En Grande-Bretagne, l’une des premières mesures du gouvernement Blair a été de s’attaquer aux prestations accordées aux mères célibataires. Il y a quelques années, une femme politique australienne, Mme Pauline Hanson, chef du parti One Nation, a demandé la diminution des prestations sociales versées aux mères célibataires si celles-ci avaient un deuxième enfant. « Je veux m’en prendre vraiment aux femmes célibataires qui ne peuvent pas s’empêcher d’avoir enfant sur enfant, de pères différents et aux frais du contribuable », a-t-elle déclaré. En Australie, 360 000 parents célibataires reçoivent un total de 2,9 milliards de dollars par an sur un budget total de 42 milliards de dollars alloué à la sécurité sociale. L’âge moyen de ces femmes est de 33 ans. Elles reçoivent en moyenne une manne de 170 dollars australiens (107 USD) par semaine pour nourrir, loger et habiller leur famille, ce qui permet à l’État d’économiser une somme bien plus importante qui serait nécessaire pour élever ces enfants dans des orphelinats. Des exemples similaires d’attaque envers cette couche particulièrement vulnérable de la société sous couvert de s’attaquer à la soi-disant culture de la dépendance existent dans tous les pays. C’est un excellent exemple de l’hypocrisie de la « moralisation chrétienne » au service du capitalisme et de ses impitoyables politiques d’austérité. Cela en dit également long sur l’attitude de la société bourgeoise à l’égard des femmes et des enfants.

La situation des femmes divorcées est également une question de classe. Les effets du divorce et de la « monoparentalité » sont très différents selon la classe sociale à laquelle la femme appartient . Par exemple, un juge américain a accordé à l’ex-femme du millionnaire Robert I. Goldman, chef de Congress Financial Corp., 50 % de sa succession qui s’élève à 100 millions de dollars. « Bienvenue dans le nouveau divorce des chefs d’entreprise », écrit BusinessWeek (5/8/98). « De puissantes forces culturelles, juridiques et économiques se combinent pour rendre la dissolution d’un mariage aux États-Unis plus coûteuse que jamais, en particulier pour les hommes d’affaires de haut rang, bien rémunérés (!). Et cela, à son tour, rend tout le processus de divorce, jamais agréable au départ, encore plus affreux. En effet, les maris cachent leur argent dans des trusts secrets aux Caraïbes, les femmes accusent leur ex de les maltraiter et les avocats reçoivent des honoraires à sept chiffres. »

Les sociologues bourgeois présentent le parent isolé « moderne » comme un exemple parfait de progrès social et d’émancipation. Au cours des vingt dernières années, le Bureau du recensement américain indique que le nombre de femmes vivant seules a doublé pour atteindre 15 millions. Un livre récent intitulé The Improvised Woman, Reinventing Women in a Single Life, présente une image idéale de ces femmes insouciantes : « Les femmes célibataires achètent des véhicules, portent ou adoptent des enfants, et accèdent à des postes d’influence », affirme-t-il. Mais les statistiques générales dissimulent l’abîme qui sépare la grande majorité des mères célibataires, souvent noires, qui, dans le pays le plus riche au monde, vivent dans des ghettos urbains dans des conditions correspondant à celles du tiers monde, soumises à un cauchemar de pauvreté, de drogue, de crime et de violence.

La crise du capitalisme se manifeste par la tentative universelle de réduire les dépenses publiques. Les attaques contre l’emploi, le niveau de vie, la santé et l’éducation affectent la classe ouvrière dans son ensemble, mais sont particulièrement néfastes sur les femmes, qui sont au bout de la chaîne d’exploitation, dans des emplois pires, avec moins de protection et de sécurité. 

De plus, les femmes sont soumises à une double oppression. Elles sont opprimées en tant que membres de la classe ouvrière, mais aussi en tant que femmes. La seule solution aux problèmes des femmes est de lutter pour le renversement du capitalisme et son remplacement par le socialisme, un système qui peut effectivement garantir et aux femmes et aux hommes la liberté de se développer personnellement et intellectuellement.

Bien que nous soyons conscients du fait que seule une société socialiste pourra enfin éliminer les traces d’esclavage qui marquent les hommes et les femmes, nous devons également lutter autant que possible contre les attitudes arriérées et réactionnaires, notamment dans le mouvement ouvrier, qui nuisent à l’unité des travailleurs et des travailleuses et entravent la cause de l’émancipation de la classe ouvrière. Nous devons lutter pour une morale authentiquement prolétarienne qui traite tous les travailleurs, hommes ou femmes, noirs ou blancs, comme des égaux, comme des frères et sœurs, unis dans la cause de la lutte contre le capital.

Les femmes en lutte

Dans cette optique, nous devons atteindre les femmes de la classe ouvrière là où elles se trouvent. Il ne s’agit pas seulement du lieu de travail, dont beaucoup de femmes sont écartées. De nombreuses femmes peuvent être intégrées dans la lutte contre le capitalisme sur d’autres questions – le logement précaire, le coût élevé de la vie, les loyers élevés, etc. C’est ce qu’a montré la campagne de la Poll Tax en Grande-Bretagne. De plus, lorsqu’une grève éclate dans un secteur professionnel majoritairement masculin, il est vital que les épouses des grévistes soient activement impliquées dans le mouvement. En effet, celles-ci peuvent fournir des réserves de force colossales, mais malheureusement souvent ignorées. Ainsi, lors de la grève des mineurs britanniques en 1984-85, les épouses des grévistes, organisées en « comités de soutien », liés aux syndicats et aux comités de grève, ont joué un rôle inestimable dans la grève. Une fois que les femmes sont actives dans la lutte, toute leur vision des choses se transforme rapidement. Même les femmes qui étaient auparavant politiquement peu avancées, conservatrices ou religieuses peuvent très rapidement développer une conscience révolutionnaire, surtout lorsqu’une tendance marxiste est présente pour les aider à trouver des explications.

Dans de telles circonstances, nous devrions toujours être prêts à impliquer les femmes dans le mouvement de manière proactive. Évidemment, cela doit se faire en contact direct avec le syndicat et le comité de grève, et non pas en opposition au mouvement officiel, comme les sectes et les anarchistes essaient toujours de le faire. De tels comités ad hoc ne peuvent avoir une signification indépendante, et auront tendance à disparaître lorsque le mouvement prendra fin. Si l’on tente de les maintenir artificiellement en vie, ils tendront à se bureaucratiser et à être monopolisés par des éléments non représentatifs, petits bourgeois, sectaires, etc. Le but de la participation à ces comités n’est pas de les retourner contre les syndicats, mais de faire en sorte que les femmes commencent à s’activer dans les organisations syndicales pour les transformer. De plus en plus, à mesure que la nature de la production se transforme et que les anciennes industries lourdes cèdent la place à des modes de production plus modernes basés sur les technologies de l’information, les femmes deviennent une partie décisive de la main-d’œuvre et de plus en plus la majorité.

Cependant, en fin de compte, l’émancipation des femmes ne sera atteinte que par l’émancipation de la classe ouvrière dans son ensemble :

« En imposant aux Partis Communistes d’Occident et d’Orient la tâche immédiate de renforcer le travail du Parti parmi le prolétariat féminin, le 3° Congrès de l’Internationale Communiste montre en même temps aux ouvriers du monde entier que leur affranchissement de l’injustice séculaire, de l’esclavage et de l’inégalité, n’est réalisable que par la victoire du communisme.  Ce que le communisme donnera à la femme, en aucun cas, le mouvement féminin bourgeois ne saurait le lui donner. Aussi longtemps qu’existera la domination du capital et de la propriété privée, l’affranchissement de la femme n’est pas possible. » (Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste 1919-1923)

Le communisme et la famille

Dès les premiers débuts du marxisme, la question de l’émancipation des femmes y a occupé une place centrale. Dans les Principes du communisme, que Engels a écrit avant le Manifeste communiste, nous lisons :

« Question 21 : Quelles répercussions aura le régime communiste sur la famille ?

Il transformera les rapports entre les sexes en rapports purement privés, ne concernant que les personnes qui y participent, et où la société n’a pas à intervenir. Cette transformation sera possible grâce à la suppression de la propriété privée et à l’éducation des enfants par la société—ce qui détruira ainsi les deux bases du mariage actuel qui sont liées à la propriété privée, à savoir la dépendance de la femme vis-à-vis de l’homme et celle des enfants vis-à-vis des parents. Ceci donne aussi réponse à toutes les criailleries des moralistes bourgeois sur la communauté des femmes que veulent, paraît-il, introduire les communistes. La communauté des femmes est un phénomène qui appartient uniquement à la société bourgeoise et qui est réalisé actuellement en grand sous la forme de la prostitution. Mais la prostitution repose sur la propriété privée et disparaît avec elle. Par conséquent, l’organisation communiste, loin d’introduire la communauté des femmes, la supprimera, au contraire. » (Marx et Engels, Principes du communisme, 1847)

Comme expliquera plus tard Engels, l’origine de l’asservissement des femmes se trouve dans la propriété privée, et ne sera finalement surmontée qu’avec l’abolition radicale de la propriété privée des moyens de production et de la division du travail. Dans L’origine de la famille, Engels écrit :

« Nous avons vu plus haut comment, à un degré assez primitif du développement de la production, la force de travail humaine devient capable de fournir un produit bien plus considérable que ce qui est nécessaire à la subsistance des producteurs, et comment ce degré de développement est, pour l’essentiel, le même que celui où apparaissent la division du travail et l’échange entre individus. Il ne fallut pas plus longtemps pour découvrir cette grande « vérité »: que l’homme aussi peut être une marchandise, que la force humaine est matière échangeable et exploitable, si l’on transforme l’homme en esclave. A peine les hommes avaient-ils commencé à pratiquer l’échange que déjà, eux-mêmes, furent échangés. » (F. Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884)

Les relations entre hommes et femmes sous le capitalisme sont déformées et inhumaines parce que le système de production de marchandises universel réduit les personnes au niveau des objets. Non seulement les relations entre les genres, mais toutes les relations sociales tendent à devenir déshumanisées et aliénées sous ce que Marx et Engels ont décrit comme la « relation monétaire ». Il s’agit d’une société contre-nature, dominée par des relations contre-nature. Faut-il s’étonner que les gens cessent de se comporter et de penser comme des êtres humains et soient même capables d’agir comme des monstres dans certains cas ? Les parents commencent à considérer leurs enfants comme leur propriété privée. Les maris considèrent leurs femmes de la même manière. Sous la pression impitoyable de la vie dans l’« économie de marché », où l’argent est Dieu, les relations sont tordues et déformées au point de devenir méconnaissables. Comme l’explique Engels :

« Et, de nos jours encore, le produit domine les producteurs; de nos jours encore, la production totale de la société est réglée non d’après un plan élaboré en commun, mais par des lois aveugles qui s’imposent avec la violence d’un cataclysme naturel, en dernier ressort dans les orages des crises commerciales périodiques. » (Ibid.)

Si l’on veut aborder sérieusement la question de l’asservissement des femmes, il ne suffit pas d’en traiter les expressions les plus évidentes. Bien sûr, comme nous l’avons dit, il est nécessaire de lutter contre toutes les formes de discrimination et d’inégalité. Mais tant que l’on n’aura pas éradiqué la cause profonde de l’oppression des femmes, on ne pourra pas surmonter l’essence du problème. Les femmes ne seront libres que lorsque les hommes seront libres. C’est-à-dire lorsque l’humanité commencera à vivre une existence véritablement humaine. Engels explique :

« Mais ce qui disparaîtra très certainement de la monogamie, ce sont tous les caractères qui lui ont imprimé les conditions de propriété auxquelles elle doit sa naissance; et ces caractères sont, d’une part, la prépondérance de l’homme, et, en second lieu, l’indissolubilité du mariage. La prépondérance de l’homme dans le mariage est une simple conséquence de sa prépondérance économique et disparaîtra d’elle-même avec celle-ci. L’indissolubilité du mariage est en partie la conséquence de la situation économique dans laquelle s’institua la monogamie, et en partie une tradition de l’époque où les connexions entre cette situation économique et la monogamie n’étaient pas encore nettement comprises et subissaient une déformation religieuse. Cette indissolubilité est d’ores et déjà entamée de mille parts. Si le mariage fondé sur l’amour est seul moral, seul l’est aussi le mariage où l’amour persiste. Mais la durée de l’accès d’amour sexuel individuel est fort variable selon les individus, surtout chez les hommes, et l’épuisement total de l’inclination, ou son éviction par un nouvel amour passionnel, font du divorce un bienfait pour les deux parties comme pour la société. » (Ibid.)

Le programme de l’Internationale communiste pour la transition vers le socialisme comprenait les lignes suivantes :

« Les sections faciliteront le développement de tout le réseau d’établissements publics comme orphelinats. blanchisseries, ateliers de réparations, institutions d’existence sur les nouvelles bases communistes, allégeront pour les femmes le fardeau de l’époque de transition, amèneront leur indépendance matérielle et feront de l’esclave domestique et familial la libre collaboratrice du créateur des nouvelles formes de vie. » (Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste 1919-1923)

Mais dans les conditions de sous-développement et de pauvreté qui prévalaient dans la Russie d’après 1917, ces idées ne pouvaient pas être mises en pratique de manière adéquate. Comme l’explique Trotsky : 

« On ne peut pas « abolir » la famille, il faut la remplacer. La libération effective des femmes est irréalisable sur la base du « désir généralisé. » (Trotsky, La femme et la famille, 1923)

La famille ne peut pas plus que l’Etat être abolie. La disparition progressive de l’une et de l’autre dans la transition vers une société sans classes dépend de la transformation des conditions matérielles d’existence des masses, et donc, à terme, de la transformation de la façon dont les gens pensent et se rapportent les uns aux autres. Finalement, avec la réalisation de la surabondance et d’un haut niveau de culture, les vieilles habitudes et la psychologie d’esclave seront transformées et avec elles les relations entre hommes et femmes. Mais la condition préalable à cela est une transformation des conditions de vie elles-mêmes. La réduction de la journée de travail à son expression minimale est la condition indispensable de l’émancipation sociale. Mais au-delà, les progrès de la technologie devraient rendre possible la quasi-abolition des travaux ménagers : la base de l’esclavage domestique des femmes.

La cause profonde de toute oppression, par genre, par couleur de peau, religion ou sexualité, se trouve en définitive dans l’asservissement et l’aliénation enracinés dans la production de marchandises. Ce n’est que lorsque celle-ci sera abolie et que les conditions de vie de l’ensemble de la société seront transformées que la famille et l’État – ces deux vestiges de la barbarie – cesseront définitivement d’exister. Lorsque la vieille psychologie primitive, inhumaine, née de la misère, sera enfin reléguée dans le passé, les conditions matérielles auront été établies pour un nouvel ordre social dans lequel les derniers vestiges de la contrainte et de la coercition extérieures auront disparu et où les hommes et les femmes pourront enfin entrer en relation les uns avec les autres comme des êtres humains libres.