[dropcap]D[/dropcap]e manière aussi superficielle que précoce, le Front National est étiqueté comme étant « fasciste ». Pourtant, dans la situation actuelle, pour la bourgeoisie française, le recours au fascisme ne serait pas nécessaire et même dangereux.

En France, lors des élections présidentielles 2017, la vision du moindre mal cherche à rassembler les forces « démocratiques » contre la candidature de Marine Le Pen. Déjà dans les années 30, les marxistes s’opposaient à des telles argumentations et voyaient les partis bourgeois et le parti nazi comme des différentes pièces du même système. Afin de comprendre le caractère d’un parti, il faut analyser les intérêts qu’il défend et donc sa position dans la lutte de classe. Puis, afin de comprendre le caractère d’un Etat, il faut analyser les rapports entre les classes opposées.

Ainsi, cet article cherche d’abord à aborder la question du fascisme d’une manière théorique. Dans un second temps, nous appliquons les leçons tirées au cas du FN.

Qu’est-ce que le fascisme ?

D’une manière scolaire, on peut distinguer le mouvement fasciste de la prise du pouvoir fasciste, alors que les deux se conditionnent mutuellement.

Le premier élément central du mouvement fasciste est la présence d’une crise accentuée du capitalisme. Dans cette crise de surproduction, la fonction du fascisme est le rétablissement soudain et violent des conditions de profit en faveur du grand capital.

Concernant le rôle de la bourgeoisie : le mouvement fasciste peut se développer de manière autonome. Pourtant, la prise de pouvoir nécessite le soutien du grand capital. « Tant que les nazis agissaient en tant que parti et non en tant que pouvoir d’Etat, la grande bourgeoisie, même celle qui soutenait financièrement Hitler, ne les considérait pas comme son parti ».[1]

Ensuite, crise accentuée veut aussi dire lutte de classe accentuée. Ce faisant, la petite bourgeoisie joue un rôle central. En étant ni intégrée dans le processus de production ni socialement organisée, il s’agit d’une classe isolée et individualiste. Elle n’a pas d’intérêts ou politique propre. La petite bourgeoisie n’est donc pas incluse dans la politique du mouvement ouvrier. En même temps, son existence est particulièrement attaquée par la crise capitaliste. C’est ainsi qu’on doit s’expliquer ces amalgames bizarres dans l’idéologie incohérente du fascisme entre le nationalisme extrême et la rhétorique anti-capitaliste. Justement, elle nage entre deux eaux, soit les deux grands camps.

Le mouvement fasciste est donc mené par ceux qui sont, dans les mots de Trotski, « devenus fous » à cause de la crise, notamment guidé par une partie de la petite bourgeoisie et porté par les Lumpen, soit les couches du prolétariat les plus précarisées par le chômage et le déclin social. Pour eux, le mouvement ouvrier cause et approfondit la crise par ses grèves et mobilisations. Ainsi, par ces frappes violentes continues, le mouvement fasciste attaque physiquement le mouvement ouvrier dans l’optique de le détruire. Après une période de lutte de classe extrême, la grande masse des travailleurs non organisés est démoralisée, principalement par les erreurs de leur direction politique. Cette démoralisation et retraite constituent des conditions nécessaires pour l’ascension des fascistes au pouvoir. Donc, on peut dire que la prise de pouvoir du fascisme est l’expression de la faiblesse du mouvement ouvrier.

Donc, le FN est-il fasciste ?

Aujourd’hui, le débat sur le fascisme est d’une grande actualité : la montée des partis populistes de droite amène des commentateurs bourgeois comme de gauche à tirer la sonnette d’alarme. Les réactions à la candidature aux présidentielles de Marine le Pen et de son parti le Front National en sont un exemple type. En nous basant sur les explications précédentes, nous y opposons une analyse qui comprend le FN et le fascisme comme des éléments partiels d’un système entier. Ce faisant, les intérêts de classe qu’un tel mouvement représente joueront un rôle crucial.

En premier lieu, il est important de constater que le recours au fascisme n’est actuellement pas une mesure nécessaire pour la bourgeoisie française. Celle-ci s’appuie indirectement sur les organisations de masse traditionnelles qui, elles, adoptent (le PS au gouvernement) ou « négocient » (les directions syndicales) l’austérité et les contre-réformes en faveur de la classe dominante. Dans ce sens, les capitalistes se disent : « A quoi bon jouer la dangereuse carte du FN, lorsque les dirigeants du PS se montrent aussi déterminés à défendre nos intérêts – et les dirigeants syndicaux à ne pas faire de vague ? »

Donc, pourquoi la carte du FN est-elle dangereuse pour la bourgeoisie française ? Puisque le FN est, à cause de ses liens historiques avec le fascisme, perçu à juste titre par une majorité de jeunes, mais aussi par des grands partis de la classe ouvrière, comme un ennemi intolérable. La bourgeoisie est toujours sous le coup du choc après les manifestations de masse suite au succès électoral de Jean-Marie Le Pen en 2002.

Visiblement, Marine Le Pen, qui veut impérativement sa place au gouvernement, a observé ces développements. Certes, le parti continue à héberger des vestiges fascistes du passé, puisque ces éléments s’avèrent être très fidèles à la patronne. Pourtant, leur nombre diminue rapidement. Entretemps, à son appareil de parti, qui est majoritairement constitué de technocrates, adhèrent de plus en plus d’anciens cadres de UMP/LR. Et cette tactique porte des fruits : plus l’on se rapproche de l’élection présidentielle, plus les rencontres avec les capitalistes internationaux de UBS, Barclay’s et du Medef deviennent régulières. Autrement dit : Marine Le Pen ne vise pas la destruction de l’Etat bourgeois, mais, au contraire, cherche plutôt à s’y intégrer au service du grand capital.

Pourtant, malgré ces analyses, il est inadmissible de négliger le fascisme dans ses expressions actuelles. Les fascistes sont une menace contre notre mouvement, contre la jeunesse et contre tou-te-s les travailleurs et travailleuses. En France, la ville de Lyon est depuis plusieurs années le théâtre d’attaques fascistes : certains quartiers sont devenus un danger réel pour les militant-e-s de gauche, les immigré-e-s ou les homosexuel-le-s.

Le fascisme et l’Etat bourgeois

De tels incidents nous aident à éclaircir le rôle et le caractère de l’Etat bourgeois. L’Etat, en tant qu’instrument de domination d’une classe sur une autre, a la tâche de maintenir l’ordre au sens du système sociétal existant. En général, nous pouvons donc dire que l’Etat n’intervient qu’à l’encontre des voyous fascistes lorsque leurs actions menacent l’ordre bourgeois ou provoquent des réponses trop massives du mouvement ouvrier. Ainsi, et cela est une leçon cruciale, nous ne pouvons pas faire confiance en l’appareil étatique dans notre combat contre le fascisme.

Un incident récent à Lyon en est l’exemple parfait : lors d’une manifestation contre la Loi Travail en avril 2016, des syndicalistes voulaient, par leur simple force en tant que grande masse, faire éloigner un petit groupe fasciste. La police est intervenue rapidement en s’interposant entre les fascistes et la manifestation. Finalement, protégés par la police, les fascistes pouvaient continuer à faire des saluts nazis.

Certes, dans certains cas, des lois peuvent s’avérer être utiles. Néanmoins, elles sont exécutées par la police et la justice, soit les deux organes de répression principaux. Tandis que l’Etat devrait officiellement être un « tampon » entre les différents intérêts au sein d’une société, il perd ce déguisement lorsque la lutte de classe s’intensifie. On peut donc dire que l’Etat est l’expression de l’inconciliabilité des contradictions de classe.

En période de crise, l’ordre de la classe dominante et en particulier la démocratie bourgeoise sont remis en question par les masses qui lui sont soumises. Autrement dit : les conditions objectives ne permettent plus à la bourgeoisie de garantir une démocratie bourgeoise fonctionnelle. Ces conditions demandent donc une centralisation poussée du pouvoir exécutif. S’il est nécessaire, cela peut même signifier que la bourgeoisie doive abandonner le pouvoir politique immédiat en faveur d’un régime autoritaire afin de continuer à exercer sa domination politique et économique. Autrement dit : d’un côté, le fascisme autoritaire signifie la négation de la démocratie bourgeoise. De l’autre côté, le fascisme est également la réalisation (la forme la plus extrême) de la domination bourgeoise.

Comment combattre le FN ?

Il est d’une importance majeure que tout le mouvement ouvrier comprenne qu’une attaque fasciste (contre des immigré-e-s par exemple) constitue toujours une attaque contre la classe ouvrière dans son ensemble. Donc, le fascisme est l’instrument le plus violent de la bourgeoisie dans ses attaques aux conditions de vie de la classe ouvrière. On peut ainsi dire que le fascisme est la quintessence de la société bourgeoise. En conséquence, un véritable anti-fascisme signifie toujours le combat politique et économique pour l’élimination des origines sociales du fascisme. Nous devons comprendre que le fascisme ne disparaîtra qu’avec la chute du système capitaliste.

En période de crise profonde, nous pouvons observer des processus de radicalisation et de polarisation. En France, les grandes mobilisations autour de la campagne de Jean-Luc Mélenchon sont l’expression de masse à la gauche. Dans ces conditions, les capitalistes – dont les institutions et partis perdent de la légitimité – sont obligé-e-s de prendre des mesures plus sévères et d’octroyer plus de responsabilité dans le travail gouvernemental à des partis populistes de droite. La tentative de classifier arbitrairement et précocement ces développements comme étant « fascistes » n’est pas seulement une erreur analytique, mais conduit également à des mauvaises décisions stratégiques.

Notre tâche immédiate n’est pas le combat physique du FN ou d’autres ultraréactionnaires, mais la lutte contre la politique bourgeoise, des baisses salariales continues et des licenciements de masse. D’abord, nous devons démontrer les véritables causes de la crise et des problèmes sociaux. Ensuite, sur la base de ces analyses, il faut construire un parti qui est capable de conquérir l’électorat du FN désillusionné. Pour ce faire, nous devons nous opposer de manière fondamentale à toute contre-réforme et lutter pour des améliorations radicales des conditions de vie de la jeunesse et de la classe ouvrière. C’est la seule manière de vaincre le FN et le fascisme.

Dersu Heri
JS Genève

 

[1] Qu’est-ce que le national-socialisme ? Léon Trotski, 1933