Les salarié-e-s de la multinationale XPO Logistics de Satigny (GE) ont mené pendant deux semaines et demie une grève contre leur licenciement collectif en juillet dernier. Entretien avec un militant sur cette mobilisation victorieuse.

Image: Olivier Vogelsang

Cette grève est le premier exemple de lutte pour le jeune secteur de la logistique, qui connait des conditions de travail très difficiles. Lorsque l’annonce du licenciement collectif des salarié-e-s de XPO en Suisse tombe en pleine pandémie, alors que le groupe a touché le chômage partiel censé précisément empêcher les licenciements, c’en est trop pour les employé-e-s : ils arrêteront de travailler aussi longtemps qu’une indemnité de départ ne leur sera accordée. 

Lutte annonciatrice 

Le cas de XPO est une esquisse du large tableau de crise qui se dessine devant nous. Si une récession économique se profilait au niveau suisse comme mondial, la pandémie a définitivement porté un coup à l’économie dont nous ne mesurons pas encore la portée. Nous avons déjà observé des licenciements dans beaucoup de secteurs (aviation, grande distribution, restauration), qui vont probablement se généraliser et s’intensifier dans les prochaines années. En bref, la réponse à la crise prendra forme dans de violentes attaques contre les conditions de travail.   

La classe dominante ne pourra cependant mener ces attaques sans, à un moment ou l’autre, devoir se confronter à la colère accumulée des travailleurs-euses. Cette grève d’une rare durée pour la Suisse marque le début d’une période de réveil de la classe ouvrière et de luttes de travail nettement accentuées.  

Le conflit de XPO montre d’une part l’implacable logique capitaliste en temps de crise qui nécessite d’atténuer les pertes en s’attaquant aux salariés, et d’autre part, l’inefficacité de la loi et de l’administration suisse pour protéger la majorité de la population salariée, favorisant au contraire le patronat. La leçon principale de ces deux semaines de grève chez XPO est que seule l’organisation et la mobilisation des travailleurs-euses peut les sauver. En tant que marxistes, notre tâche est de généraliser ces expériences de lutte pour montrer le potentiel de l’action des salarié-e-s lorsqu’ils et elles sont organisé-e-s et se battent consciemment. 

Entretien avec Vincent*, militant syndiqué chez XPO

 *prénom d’emprunt 

Comment avez-vous reçu les refus de négocier de la direction d’XPO Logistics après l’annonce du licenciement collectif ? 

Premièrement, notre volonté d’établir des discussions avec la direction de la société remonte à août 2019 ; à l’époque nous demandions simplement des garanties sur la pérennité de nos emplois car nous savions que le contrat de partenariat liant XPO à Pouly (son unique client pour toute la Suisse romande) devait se terminer le 31 juillet 2020. Nous savions donc qu’il y avait un grand risque d’être licenciés cet été, et nous avons engagé la discussion avec notre employeur. Les réponses de la société à nos questions n’ont pas été satisfaisantes, ce qui nous a amené deux fois devant la CRCT (la Chambre des relations collectives du travail), ce qui n’a rien donné.

Comme prévu, Pouly a informé formellement en mars la société XPO que leur collaboration s’arrêterait en juillet, ce qui signifiait pour XPO de fermer le site de Satigny. Le groupe a refusé de mettre en place un plan social pour les 31 salariés licenciés, en soutenant n’avoir aucune obligation légale, car en Suisse un plan social est obligatoire à partir de 30 postes supprimés. Sur ce dernier point il y a eu des fortes divergences car XPO bien qu’étant une multinationale, se considère comme une PME, qui ne sont pas concernées par cette obligation. Nous avons alors décidé de nous battre. Lors d’une assemblée, le personnel syndiqué (22 employé-e-s sur 31) et moi-même avons voté à l’unanimité la grève reconductible. 

Comment avez-vous réussi à créer de l’unité au sein de l’équipe pendant la lutte ? 

Pour créer de l’unité il m’a fallu d’abord, étape par étape, former une assemblée du personnel syndiqué, puis les sensibiliser et les focaliser sur un point précis de nos inquiétudes ; l’avenir de nos postes aussi bien chez XPO que dans le Groupe Pouly. Au fil des réunions, nous avons pris conscience des futures conséquences d’un licenciement collectif.

Quelle a été la méthode du syndicat pour convaincre l’équipe de lutter ? 

Du point de vue du syndicat, il a fallu démarcher les camarades pour s’inscrire au syndicat, organiser de nombreuses réunions, même s’il y avait parfois peu de présent-e-s, et être patient. Il y avait d’abord beaucoup d’incompréhension des gens sur la lutte syndicale, d’une part à cause de l’influence négative des cadres de l’entreprise exercée sur les travailleurs-euses et d’autre part, par la peur de s’impliquer pour défendre ses droits. Il s’agissait pour mes collègues et moi-même de comprendre que nous devions lutter avec l’accompagnement du syndicat car le rapport de force entre la direction de XPO et le personnel était minime, les salariés de Satigny étant très peu nombreux par rapport à l’ensemble employé par le groupe.

Quelles sont les leçons à tirer de votre expérience pour les salarié-e-s d’autres entreprises qui font face à des licenciements collectifs ? 

Notre lutte a été précurseuse, on a ouvert la voie pour d’autres mouvements dans le secteur, qui est en pleine expansion mais qui est très difficile à réguler car il s’agit souvent d’entreprises internationales qui n’ont pas d’égards pour le côté humain du travail. Alors que derrière les emplois il y a des familles, des travailleurs-euses proches de la retraite et des personnes âgées qui dépendent d’eux et à qui on doit respecter les droits. Il faut continuer à se rassembler, se mobiliser et lutter pour ses droits, tout simplement. 

Commentaire de Umberto Bandiera, responsable du dossier pour le syndicat UNIA :

Le conflit contre la multinationale étasunienne XPO Logistics à Genève est emblématique de deux éléments importants qui caractérisent la conjoncture actuelle dans le pays : 1) le besoin de modifier les dispositions légales en matière de licenciement collectif (art. 335i CO) ; 2) la nécessité d’une réponse syndicale forte dans les secteurs les plus exposés pendant cette longue pandémie. La branche de la logistique par exemple a fait l’objet de plusieurs dénonciations publiques de la part d’Unia ces derniers temps. Le recours à la grève est un élément fondateur pour le mouvement syndical, en Suisse comme ailleurs, et son actualité est encore plus évidente face à un patronat et à des multinationales qui pensent de pouvoir agir en toute liberté. Le mouvement syndical doit être en tout cas prêt à se battre, le cas XPO est le bon exemple pour montrer que la lutte et la solidarité sont toujours présents parmi les travailleurs.