Dans le cadre de sa rubrique “virus at work”, l’étincelle a pu recueillir le témoignage suivant d’un électricien d’une grande entreprise d’installations électriques. Il souligne le manque de respect des mesures sanitaires et l’obligation de continuer à travailler dans ces conditions malgré les inquiétudes des travailleurs.

Je travaille comme électricien dans une grande entreprise d’installations électriques. Chaque matin, les monteurs et le service de garde se réunissent en groupe dans l’entreprise, qui tourne sans restrictions sanitaires ; la distance de sécurité et les mesures d’hygiène sont complètement ignorées. Seuls signes de la pandémie : sur le tableau d’affichage sont accrochés des bouts de papier indiquant certaines des directives sanitaires et une bouteille de désinfectant se trouve au secrétariat. 

La plupart de nos patrons se moquent de la situation ; ils minimisent le danger et lancent des appels à notre raison et à la fierté d’entreprise. Par contre, sous la surface, ça fermente chez les travailleurs et les apprentis. 

La plupart d’entre nous ne comprend pas pourquoi nous devons continuer à travailler, pourquoi on nous force à faire des visites chez des clients, ou encore pourquoi on doit se rendre sur les chantiers dans des voitures bondées. Au cours d’une journée typique, nous montons des appareils à deux, nous travaillons dans des pièces étroites, nous utilisons toujours les mêmes toilettes portables du chantier et nous nous réunissons pour discuter des plans de construction.

C’est un fait, il nous est impossible de maintenir une distance de sécurité de deux mètres lors d’une journée de travail. 

Tous les matins nous espérons que les chefs décident d’arrêter les travaux. Beaucoup d’employés comptent sur les syndicats, en particulier UNIA. Avant la conférence de presse du Conseil Fédéral, quelqu’un m’a dit : “’UNIA va exercer de la pression, ils vont nous sortir de là, j’en suis sûr”. Cependant, encore une fois, le conseil fédéral, ainsi qu’UNIA, nous ont tous déçu. 

Le travail continue comme d’habitude, sans restrictions. Tout le monde est très mal à l’aise et se sent menacé par le virus. Quelques-uns parlent de grève, mais personne ne sait comment faire. Tout le monde attend auprès des syndicats. Ils devraient prendre les devants dans cette période de crise et, malgré les pétitions et les communiqués de presse, l’impatience augmente de jour en jour.

Lors de mon service de garde, mon chef m’envoie dans des maisons de retraite ou dans des centres pour requérants d’asile. 

Dans les maisons de retraites, ils savent bien quelles mesures de protection doivent êtres prises, m’assure-t-il. Tout de même, il me donne des gants en caoutchouc et un masque anti-poussière 3M, mais plutôt comme une blague : un masque anti-poussière n’apporte pratiquement aucune protection. Au moins, le personnel soignant dans la maison de retraite nous informe des mesures spéciales. Ils nous désinfectent et nous donnent des masques, des couvre-chaussures et des gants.

Le personnel du centre de requérant d’asile par contre ne pratique aucune de ces mesures de protections. Le service de sécurité est comme toujours cynique. Seuls certain.e.s soignant.e.s portent des masques. 

Ironiquement, des petits bouts de papier sont accrochés ça et là et invitent, dans toutes les langues du monde, à respecter la distance de sécurité de deux mètres, bien qu’une fois de plus, les mesures de sécurités sanitaires prônées soient complètement incompatibles avec notre réalité, que ce soit celles d’électricien.ne.s ou du personnel et résidents du centre de requérant-e-s d’asile. 

Le directeur des travaux nous dit que l’installateur sanitaire doit travailler de nuit à cause de nous. Je réponds que personne ne devrait travailler plus à cause de moi, surtout pas dans cette situation de pandémie. C’est déjà assez absurde qu’on continue de travailler malgré l’impossibilité de respecter les mesures sanitaires. Là, le connard me répond que nous devons surtout nous dépêcher, sinon on ne finira jamais.

Je monte sur une chaudière pour pouvoir travailler sur les appareils. Du coup, un installateur de chauffage fait une blague et me rappelle que cela n’est pas une surface de pose conforme selon la Suva. On rigole tous les deux et je réponds que nous ne devrions pas travailler ici, si on tient à notre santé. Il comprend tout de suite, devient sérieux et dit : “Ils nous sacrifient. Il paraît que nous devons d’abord devenir malade avant que nous puissions rentrer chez nous”. Lui aussi est membre d’UNIA et lui aussi espère un acte héroïque des syndicats.


C’est mercredi après-midi, je travaille dans un chantier avec un groupe de menuisiers. On monte une cuisine de luxe. Le client insiste pour que le travail soit fait maintenant, malgré la pandémie. Soudainement, un des menuisiers reçoit un SMS :  c’est une invitation d’UNIA de signer la nouvelle pétition de fermer les chantiers. Ils y disent : “Fermer maintenant les grands et petits chantiers !”. Le menuisier survole le SMS, l’interprète hâtivement et crie à travers le chantier : “Les chantiers ferment ! UNIA ferme les chantiers !” Tout le monde accourt, on sent de la confusion et aussi du soulagement. Le menuisier relit encore une fois le SMS. Fausse alerte, ce n’est qu’une pétition. Tout le monde retourne au boulot. Au moins, les deux apprentis rejoignent le syndicat.