Suite à sa défaite cinglante aux élections législatives de mai dernier, en Grande-Bretagne, Ed Miliband a démissionné de la direction du parti travailliste. L’élection du nouveau chef du Labour est en cours ; les résultats seront communiqués le 12 septembre.

En l’espace de quelques semaines, Jeremy Corbyn, député de la circonscription d’Islington, au nord de Londres, est passé du statut de parfait outsider à celui de favori, avec 43 % des intentions de vote. Dans ses discours, il attaque les politiques d’austérité et le « New Labour » de Tony Blair et Gordon Brown, cette prétendue « troisième voie » visant à liquider l’héritage socialiste du parti. Il propose de mettre fin aux politiques d’austérité et de développer des services publics gratuits et de qualité, notamment dans les domaines de la santé et l’éducation. Ce faisant, Corbyn a gagné le soutien des principaux syndicats affiliés au parti ainsi que de larges couches d’adhérents et sympathisants, dont de nombreux jeunes.

Panique des « blairistes »

Cet enthousiasme pour la candidature de Corbyn a semé la panique chez les dirigeants « blairistes », à commencer par les trois autres candidats : Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall. Corbyn ne mâche pas ses mots. Il a même proposé de traduire Tony Blair en justice pour avoir soutenu la guerre en Irak, en 2002. A la Chambre des Communes, Corbyn a systématiquement rejeté les consignes de vote du groupe parlementaire du Labour – par exemple lorsque ce dernier (dominé par l’aile droite) appelait à voter la contre-réforme du système de santé adoptée par le gouvernement conservateur de Cameron. Corbyn est aussi le seul candidat qui propose d’en finir avec la monarchie.

Une Sainte-Alliance s’est alors formée, appuyée par les grands médias, pour tenter de discréditer à la fois Corbyn et ses supporters. Outre les condamnations pour « irréalisme politique » auxquelles a droit, en Europe, tout candidat qui s’oppose aux politiques d’austérité, Corbyn a été accusé d’antisémitisme, de sympathies pour le Hezbollah et de passivité face à un scandale de pédophilie dans sa circonscription – entre autres.

« En fait de calomnies, tout ce qui ne nuit pas sert à celui qui est attaqué » : les dirigeants actuels du Parti travailliste devraient méditer cette phrase du Cardinal de Retz. Plus les critiques sont virulentes, plus Corbyn monte dans les sondages et plus les soutiens affluent. Se fiant à leur expérience passée, les gens se disent que si Tony Blair est contre telle ou telle proposition de Corbyn, c’est qu’elle doit être bonne. Sur internet et les réseaux sociaux, de nombreuses parodies ont fleuri qui tournent en ridicule les attaques grotesques contre Corbyn.

Purge

La dernière idée trouvée par les dirigeants du Labour, pour barrer la route à Corbyn, c’est l’invalidation de quelque 100 000 inscriptions au processus électoral de cette « primaire ». Le prétexte ? Ces 100 000 personnes ne« partageraient » pas les « valeurs » du Parti travailliste ; il s’agirait d’« agents trotskystes » et autres « infiltrés » cherchant à déstabiliser le parti !

En réalité, la campagne de Corbyn a su s’attirer le soutien de dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui ont saisi l’opportunité – prévue par les statuts – de voter en payant 3 livres sterling, sans forcément adhérer au Labour. Si cette campagne a pris un tel essor, portant le nombre d’électeurs potentiels à 610 000 (du jamais vu), c’est pour une raison évidente : elle a donné un moyen d’expression à l’énorme quantité de colère et de frustration qui s’accumulait, sous la surface de la société britannique – et qui s’était déjà exprimée, en Ecosse, lors du référendum sur l’indépendance. C’est cela que les dirigeants droitiers du Labour n’ont pas vu venir, car ils sont complètement déconnectés des conditions de vie et de l’humeur de la grande majorité de la population. En permettant à Corbyn de participer au scrutin et en l’ouvrant aux sympathisants du Labour, ils pensaient ne prendre aucun risque. Aujourd’hui, ils s’en mordent les doigts !

« Trop à gauche » ?

Le succès de Corbyn invalide totalement l’idée des dirigeants blairistes selon laquelle Miliband aurait perdu les élections parce qu’il était trop à gauche. C’est l’inverse qui est vrai. Au fil de sa campagne, Miliband avait abandonné les quelques mesures progressistes de son programme. A contrario, le succès de la campagne offensive de Corbyn prouve qu’un programme de gauche est à même de convaincre les masses.

Pour les marxistes britanniques, cette campagne est une formidable occasion de faire connaître leurs idées révolutionnaires. Sur place, nos camarades, organisés autour du journal Socialist Appeal, soutiennent activement Corbyn, avec comme mot d’ordre : « Voter Corbyn ! Lutter pour le socialisme ! » Ils soulignent que toutes les réformes progressistes du programme de Corbyn seront inapplicables sans une remise en cause de la propriété privée des banques et des grandes entreprises. Un signal fort dans ce sens consisterait à restaurer la fameuse « Clause IV » du Labour (supprimée par Tony Blair en 1994), qui inscrivait la socialisation des grands moyens de production parmi les objectifs fondamentaux du parti. Corbyn a évoqué cette possibilité, en précisant qu’il faudrait peut-être reformuler cette clause. Sous la pression des médias, des blairistes et de toute la société officielle, il a ensuite fait marche arrière sur cette question. Mais l’idée a été lancée – et on ne peut enterrer une idée dont l’heure est venue.

La situation en Grande-Bretagne valide les perspectives développées dans notre journal. Elle fait partie du même processus de radicalisation en cours en Europe, qui a commencé en Grèce et en Espagne. Après le choc de 2008, le vent est en train de tourner. La jeunesse et les travailleurs reprennent le chemin de la lutte !