[dropcap]L[/dropcap]e 23 juin 2016, le peuple de Grande-Bretagne a pris une décision historique. Après avoir fait partie de l’Union Européenne pendant 40 ans, il a voté pour lui tourner le dos. Cette décision a des conséquences immenses pour l’avenir de la Grande-Bretagne, de l’Europe et du monde.

Pourquoi ?
Les gens qui ont voté pour le « Leave » (Sortir) l’ont fait pour différentes raisons. Certaines progressistes et d’autres réactionnaires. La colère des anciennes communautés industrielles et minières du Nord, qui ont été condamnées à des années de déclin économique, de pertes d’emplois, de pauvreté et de marginalisation, était évidente. De telles communautés se sentent aliénées par une classe politique qui les dirige à distance depuis Westminster, et encore plus de la part d’une bureaucratie bruxelloise, éloignée et qui n’a rien fait pour elles.

L’argument du camp du « Remain » (Rester), prétendant que le fait d’être membre de l’UE signifie la prospérité et de meilleures conditions de vie pour tous, sonne creux pour beaucoup de gens vivant avec de bas salaires. Pour ces gens, la promesse de prospérité de l’UE était une imposture complète et une déception.

Pour ceux qui subissent la crise du capitalisme, le message de la campagne du « Remain » était perçu comme de l’autosatisfaction venant des politiciens professionnels bien nantis de la classe moyenne londonienne. C’était comme écouter le discours de gens vivant sur une autre planète et parlant un langage incompréhensible pour les gens ordinaires. Le fait que les députés du parti Travailliste – majoritairement blairistes – aient été choqués par le résultat montre à quel point ils ne comprennent pas la situation réelle en Grande-Bretagne. Et ces gens se considèrent eux-mêmes comme de grands réalistes !

Crise dans le parti conservateur
« Celui que les dieux veulent détruire, ils commencent par le rendre fou. » Cela pourrait être une épitaphe parfaite pour David Cameron et les dirigeants du parti Conservateur britannique. Des décennies de déclin peu glorieux ont réduit la Grande-Bretagne à une puissance de second rang à la périphérie de l’Europe. Cette vérité dérangeante n’a jamais été acceptée par l’aile droite du parti Conservateur, qui rêve de rétablir l’ancienne grandeur de la Grande-Bretagne. Quand Boris Johnson fanfaronnait fièrement que le 23 juin 2016 serait le « Jour de l’Indépendance de la Grande-Bretagne », cela montre à quel point ces gens sont éloignés de la réalité. Maintenant, la réalité est sur le point de leur donner une très sévère leçon.

La classe dirigeante britannique et ses représentants politiques d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les anciens et prévoyants maîtres du monde. Ils sont ignorants, stupides et myopes. Dans ce sens, ils sont le reflet fidèle des banquiers et des capitalistes qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et sont accrocs à la spéculation, au court terme et au parasitisme. Ceux-là, et non Bruxelles, sont les gens qui dirigent vraiment la Grande-Bretagne aujourd’hui et qui continueront à le faire demain.

Le dirigeant du parti Conservateur, M. Cameron, a de nombreux traits de la classe qu’il représente. Comme ses amis traders de la City, il semble être accroc au jeu. Mais tandis que ces derniers spéculent, en général, sur les actions et les capitaux, le dirigeant des Conservateurs pariait sur le référendum écossais et le gagnait de justesse. Maintenant, il a pris un plus gros pari sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’UE, et l’a perdu. Les conséquences pour la Grande-Bretagne et le parti Conservateur seront incalculables.

Les divisions dans le parti Conservateur
Les dirigeants en faveur du Brexit sont des réactionnaires de la pire espèce. Au mieux, ils représentent la tendance de droite traditionnelle du parti Conservateur, « Little Englander », qui a toujours été présente. Elle incarne les opinions et les préjugés de la base du parti Conservateur : les petits commerçants, les colonels à la retraite, les agents immobiliers et autres racailles réactionnaires qui, par le passé, étaient fermement tenus en laisse par la clique dirigeante des notables aristocratiques du parti Conservateur. Cette canaille chauvine et enragée a été relâchée par Margaret Thatcher, qui venait elle-même de ce milieu.

Tout comme la direction droitière du parti Travailliste au Parlement est déconnectée de sa base ouvrière, les dirigeants du parti Conservateur au Parlement – anciens élèves, respectables et bien établis, du Eton College, comme Cameron et Osborne – sont déconnectés de la base du parti qui vient d’une classe différente et a une psychologie différente.

Les dirigeants Conservateurs représentent les grandes banques et les monopoles de la City et posent un regard plein d’un mépris condescendant sur les fanatiques de droite de leur base. C’est une faille qui a été habilement exploitée par Michael Gove et Boris Johnson. Les gens comme Gove, des Thatchéristes de droites et des eurosceptiques, sont un reflet plus fidèle de l’opinion de la base et ont maintenu avec ferveur les principes droitiers de celle-ci.

Johnson et Gove ont nié à plusieurs reprises avoir l’ambition de remplacer Cameron en tant que Premier ministre, mais personne ne les croit. Après une campagne acharnée et intense, ramenée au plan personnel, les divisions demeureront et s’intensifieront. À un certain point, une scission ouverte dans le parti deviendra une possibilité très vraisemblable.

Nigel Farage
À l’extrême droite du mouvement pour le Brexit, on trouve Nigel Farage, le dirigeant de UKIP, qui a tenté pendant des années d’avancer ses positions xénophobes, anti-Europe et anti-immigration. Jusqu’à récemment, il était tenu à distance par les politiciens respectables. Mais la campagne du référendum sur l’appartenance à l’UE l’a mis au centre de la politique britannique, ce qui aura de sérieuses implications pour l’avenir.

Un peu plus d’une semaine avant le référendum, Farage dévoilait fièrement une gigantesque affiche montrant un grand nombre d’immigrants et de demandeurs d’asile – tous gens de couleur – assortis du slogan « point de rupture ». Cette démagogie raciste à peine voilée était une grossière tentative de détourner l’attention des travailleurs des causes réelles du chômage et de la crise du logement. Vous n’avez pas d’emploi ? Accusez les immigrants ! Vous n’avez pas de maison ? Accusez les immigrants ! La crise du système de santé ? Accusez les immigrants !

Nous avons ici toute la teneur de la campagne du Brexit. Tous les autres facteurs – la souveraineté, la démocratie, la fin de l’ingérence de Bruxelles – étaient entièrement secondaires comparés au principal message réactionnaire. Interrogé au sujet de l’affiche, Michael Gove a répondu : « quand j’ai vu ça, j’en ai frémi ».

Mais comme un journaliste TV lui a fait remarquer, un frisson est une réaction purement personnelle, qui n’a pas été suivie dans les faits sous la forme d’une condamnation publique. Ce petit incident montre bien la relation entre des gens comme Gove et Farage.

Bien sûr, il n’y a rien de nouveau par rapport à l’habituel et voilé message raciste colporté par UKIP. Mais il y a quelque chose de nouveau dans la façon dont ce poison, qui jusqu’ici était considéré comme inacceptable par les partis politiques traditionnels, est maintenant devenu acceptable. Quelque chose de pourri a été introduit dans la politique britannique.

Et maintenant ?
Le processus de séparation sera long et complexe, débutant par une période d’au moins deux ans de négociations sur les termes du « divorce ». Mais comme chacun sait, un divorce est généralement une expérience assez orageuse et amère.

Dans l’ensemble, le camp des opposants à l’UE avait une vision excessivement optimiste de la façon dont les choses tourneraient si la Grande-Bretagne votait pour son départ. Maintenant, nous allons être confrontés à la dure réalité de la position de la Grande-Bretagne vis-à-vis de l’Europe.

La réaction des autres dirigeants européens à la décision britannique de quitter le navire sera composée d’un mélange de sidération, de colère et de ressentiment. L’idée que la Grande-Bretagne pourrait établir des relations amicales et propices à la coopération avec l’UE après l’avoir quittée est pure utopie. La réalité est qu’Angela Merkel et les autres dirigeants européens ne peuvent se permettre de faire la moindre faveur à la Grande-Bretagne, même s’ils en avaient envie – ce qui n’est certainement pas le cas.

Déjà, il y a de plus en plus de rapports indiquant une augmentation générale des sentiments eurosceptiques à travers tout le continent. D’après les sondages, l’opposition à l’UE est plus importante en France qu’en Grande-Bretagne. Marine Le Pen réclame un référendum et d’autres partis anti-UE vont faire de même. Cela pourrait mener au démantèlement de l’UE.

Par conséquent, si Bruxelles se montrait trop conciliant vis-à-vis de la Grande-Bretagne, cela en encouragerait d’autres à suivre son exemple. Cela est inenvisageable. La classe dirigeante britannique va bien vite se rendre compte de la situation désespérée dans laquelle elle se trouve, et c’est la classe ouvrière et les pauvres qui vont devoir payer la facture.

Les prévisions faites par les partisans du maintien, qui annonçaient une sévère crise économique, sont basées sur des faits. Une crise se prépare en Grande-Bretagne, et elle frappera durement la classe ouvrière.

D’un autre côté, les promesses infondées de Johnson et consorts, sur le fait que le pays pourrait « reprendre le contrôle » en quittant l’UE, seront bientôt mises à nu. Les négociations vont déterminer si le Royaume-Uni reste membre du marché commun sans être membre de l’UE, comme la Norvège actuellement. Mais cela voudra dire que la Grande-Bretagne devra accepter la liberté de circulation des travailleurs.

D’autres options sont possibles, parmi lesquelles un accord de libre-échange à la canadienne, un accord bilatéral à la suisse ou le retour aux règles fondamentales du commerce offertes grâce à l’appartenance à l’Organisation Mondiale du Commerce. Mais tous ces scénarios requerront des négociations longues et complexes, qui s’accompagneront d’une hausse du chômage et de la dégradation des conditions de vie.

Les partisans du Brexit ont déjà indiqué qu’ils s’attendent à une crise financière à court terme. Boris Johnson a essayé de dissiper les craintes de la population en déclarant que la livre sterling « fluctuait naturellement ». Malgré tout, les fluctuations actuelles sont clairement sur une pente descendante. Et le milliardaire spéculateur Georges Soros a averti que l’impact de cette crise serait plus important que celui du krach de 1992.

L’économie britannique va se contracter. Les investissements vont chuter en même temps que la livre et les prix de l’immobilier. Cela veut dire que les prix des produits importés vont augmenter, et avec eux tous les prix. En d’autres termes, la classe ouvrière de Grande-Bretagne a été trompée par les partisans du Brexit, comme elle aurait été trompée par les partisans du maintien. Dans tous les cas, la classe dirigeante lui aurait fait payer la crise de son système.

Conséquences pour l’Écosse
Le résultat de ce référendum est lourd de conséquences pour l’Écosse. Il creuse le fossé qui la sépare du reste du Royaume-Uni. L’Écosse a voté à 62 % pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, position partagée par l’ensemble des 32 conseils locaux. Selon les membres de la campagne « L’Écosse est plus forte en Europe », cette majorité pour le « Remain » est exceptionnelle.

En Écosse, ce résultat pose bien plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Dans son ensemble, le Royaume-Uni a choisi le Brexit, ce qui laisse entrevoir un départ de l’Écosse contre son gré. La secrétaire aux Affaires étrangères du gouvernement écossais, Fiona Hyslop, a ainsi déclaré que « toutes les options sont examinées » pour « protéger les intérêts de l’Écosse », et a averti qu’il y aurait des « suites » si le Royaume-Uni prenait une décision contre la volonté du peuple écossais.

Selon la Première ministre Nicola Sturgeon, l’Écosse a voté « fort et clair » pour rester dans l’Union Européenne, au sein de laquelle les Écossais « voient leur avenir ». Elle a déclaré que ce résultat entraînerait une mise à l’agenda d’un nouveau référendum pour l’indépendance de l’Écosse.

L’imprudent pari de Cameron menace donc une nouvelle fois le Royaume-Uni, qui pourrait bien voir la Grande-Bretagne se transformer en une Petite Angleterre.

Conséquences pour le parti Travailliste
Comme on pouvait s’y attendre, le vote pour le Brexit est utilisé par les Blairistes du parti Travailliste pour lancer une nouvelle campagne contre le dirigeant Jeremy Corbyn. Selon les députés blairistes, les efforts de Corbyn pour le maintien au sein de l’UE ont « manqué d’enthousiasme ». Pauvre Jeremy ! S’ils pouvaient, ils lui reprocheraient même le mauvais temps, déterminés qu’ils sont à se débarrasser de lui quoi qu’il fasse.

En guise de défense face aux accusations de « tiédeur » envers sa campagne, Corbyn a déclaré : « Nombreux sont ceux qui ne sont pas vraiment contents de l’Union Européenne. Ce que j’ai souligné, c’est qu’il y a de bonnes choses dans l’UE (les conditions de travail, les normes environnementales), mais également d’autres problèmes qui ne sont pas abordés correctement, notamment les inégalités économiques en Grande-Bretagne… J’ai donc dit que nous devrions voter pour le maintien, pour changer et réformer l’UE. »

À la différence du chef du parti Travailliste, les Blairistes de la droite du parti étaient de fervents défenseurs de l’Union Européenne capitaliste, en parfait accord sur ce point avec Cameron, Osborne et la City londonienne. Mais ils étaient et demeurent totalement déconnectés des électeurs du parti Travailliste.

Ces opportunistes bien nantis de la classe moyenne ne comprennent pas le ressentiment, la méfiance et même la haine que les travailleurs ordinaires vouent à l’establishment politique siégeant à Westminster, aile droite du parti Travailliste incluse. La plupart des travailleurs ne voient plus de réelle différence entre les députés blairistes et les Conservateurs. La campagne du référendum les a confortés dans cette opinion, bien fondée.

Politiquement, il est impossible de distinguer les Blairistes des « Cameronistes » du parti Conservateur. Ils viennent de la même classe sociale, jouissent du même style de vie privilégié, sont membres des mêmes clubs et ont exactement la même psychologie de classe. Ils ont fait campagne côte à côte avec Cameron et Osborne, des politiciens détestés par les travailleurs pour leur politique brutale de coupes et d’austérité, politique en grande majorité acceptée par l’aile droite du parti Travailliste.

Cette aile a déclaré la guerre à Jeremy Corbyn et ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas été démis de ses fonctions. La crise au sein du parti Conservateur, aggravée suite au référendum, plane sur les élections prochaines. L’aile droite du parti Travailliste va donc intensifier ses attaques brutales contre Jeremy Corbyn avant qu’elles n’aient lieu.

Instabilité politique
Une période d’instabilité politique est désormais inévitable. Des appels à de nouvelles élections générales se sont déjà fait entendre, afin de permettre aux députés des deux camps de présenter leurs plans pour la suite. Selon Jacob Rees-Mogg, député conservateur de base, des élections générales à l’automne ne seraient « pas impossibles ». D’autres semblent indiquer qu’elles se tiendraient plus probablement en mars ou juin 2017.

Depuis que Corbyn est à la tête du parti Travailliste, une féroce campagne médiatique, totalement soutenue par la faction parlementaire blairiste, l’a déclaré « inéligible ». Mais le véritable problème de la classe dirigeante se trouve à l’opposé du jeu politique : le gouvernement conservateur est profondément impopulaire et fragmenté, de la tête aux pieds. Le vote de jeudi était en réalité un référendum sur le gouvernement de Cameron, pas sur l’Union Européenne. Les résultats parlent d’eux-mêmes.

À court terme, Johnson, Gove et consorts vont certainement reprendre la tête du parti Conservateur et former un nouveau gouvernement. Ils poursuivront ensuite leurs attaques contre les travailleurs. On nous imposera toujours plus d’austérité, alors que de nombreuses personnes voient le vote Brexit comme une façon d’y mettre un terme. Elles encaisseront un choc et se sentiront trahies, ce qui provoquera un retour de flamme de leur part, et remettra la lutte des classes à l’ordre du jour, avec une intensité exceptionnelle.

Si des élections générales ont lieu dans ces conditions, il est probable que le parti Travailliste l’emporte. Cette perspective fait horreur à la classe dirigeante, qui mettra tout en œuvre pour s’y opposer. Grâce à leurs comparses parlementaires du parti Travailliste, ils remueront ciel et terre pour se débarrasser de Corbyn avant toute élection. S’ils échouent, il se peut que les Blairistes provoquent la scission du parti et rejoignent l’aile conservatrice proche de Cameron, bien qu’on ignore si le parti Conservateur restera lui-même uni.

Il serait grand temps que Momentum (l’aile gauche du parti Travailliste) ait une idée de son avenir, car il est nécessaire de relever le gant jeté par l’aile droite du parti Travailliste, et de lui renvoyer au visage. Il faut que Momentum commence à faire campagne pour le renvoi des parlementaires travaillistes qui dénigrent, attaquent et s’opposent constamment au chef du parti, provoquant la division et le discrédit du parti, et devenant ainsi complices des Conservateurs. C’est la seule voie qui permettra au parti Travailliste de se rénover et d’opposer une alternative crédible de gauche au gouvernement discrédité et réactionnaire des Conservateurs.

Ce qu’il ne faut pas faire
Un vieux proverbe dit, en substance : « celui qui chevauche un tigre aura des difficultés lorsqu’il devra en descendre ».

Pendant la campagne du référendum, nous avons assisté au développement d’un front uni, dont la voix dominante était celle de la réaction ouverte et éhontée. Le discours ouvertement raciste de Nigel Farage fut couvert d’un vernis de respectabilité par Gove et Johnson, eux-mêmes soutenus par certains politiciens du parti Travailliste. Ceux-ci reflétaient les courants les plus réactionnaires et rétrogrades, teintés d’un nationalisme hérité du stalinisme moribond.

À ces tendances, il faut ajouter un certain nombre de groupes de gauche, dont certains se prétendent marxistes, qui tentèrent de justifier leur soutien au Brexit par toutes sortes d’arguments étranges et de contorsions intellectuelles. Nous nous sentons autorisés à leur poser une simple question et à en attendre une réponse simple : en quoi le fait de soutenir la campagne pour le Brexit a-t-il fait progresser la conscience de classe des travailleurs britanniques ? Nous sommes impatients d’entendre la réponse, même si nous ne pensons pas un instant qu’une réponse concrète soit possible.

Certains ont essayé de répondre que la campagne pour le Brexit était dirigée contre l’establishment en général et contre le gouvernement Cameron en particulier. Il y a un peu de vrai dans cet argument, qui reste néanmoins un exemple frappant de ce type de sophisme utilisant une particule de vérité et ignorant la masse d’informations qui la contredise complètement.

Il est vrai que le gouvernement Cameron est haï par la classe ouvrière qui souhaite de tout son cœur l’attaquer, l’affaiblir et le renverser. C’est là un réflexe progressiste que nous soutenons pleinement. Néanmoins, il ne suffit pas de poser la question du renversement de Cameron. La question la plus importante est de savoir qui va le remplacer. C’est sur ce point que toute la fausseté et l’indigence des arguments des soi-disant soutiens de gauche du Brexit sont les plus clairement exposées.

Si Gove et Johnson prennent la tête du parti Conservateur, ils commenceront par intensifier les politiques d’austérité qui ont été mises en place par Cameron et Osborne. Ils ont déjà dit à demi-mot que l’austérité devait être maintenue, revenant ainsi sur les promesses qu’ils avaient faites pendant la campagne. Ce sont des partisans d’une politique économique libérale à la Thatcher. Ils augmenteront d’un cran la campagne de privatisation de biens publics, accéléreront les projets de privatisation du système de santé et tailleront encore plus dans les acquis sociaux.

Après l’assassinat de Jo Cox, certains de ces partisans de gauche du Brexit se sont empressés de protester qu’ils se dissociaient du racisme et de la xénophobie, et appelèrent à une campagne contre le racisme. Mais comment est-il possible de faire cela tout en continuant dans le même temps à participer à une campagne qui incitait à la xénophobie et au racisme ? C’est une version politique de la quadrature du cercle.

Bien sûr, nous ne nous faisons aucune illusion sur le rôle joué par les règlements de l’UE dans la défense des travailleurs britanniques. Mais il est parfaitement exact, comme Jeremy Corbyn l’avait correctement signalé, que l’aile droite des Conservateurs utiliserait immédiatement la rupture d’avec l’UE comme excuse pour s’attaquer à tout ce qu’ils considèrent comme des réglementations inutiles et désagréables, en commençant par les règles qui limitent la durée hebdomadaire du travail, fixent un salaire minimum, les retraites, les congés et tout ce qui s’en suit.

En quoi cela pourrait-il être interprété comme un mouvement vers la gauche reste un mystère pour tout le monde, à l’exception de ces « marxistes » pitoyables, qui ont rejoint de façon si enthousiaste la chorale réactionnaire du Brexit. Ils doivent maintenant assumer les conséquences de leurs actes.

Quelle devrait être l’attitude des marxistes ?
La réponse à cette question est vraiment très simple. Ce qui est progressiste est ce qui sert à élever le niveau de conscience de classe de la classe ouvrière. Ce qui est réactionnaire est ce qui tend à abaisser ce niveau de conscience. En quoi le soutien au Brexit élève-t-il la conscience de la classe ouvrière britannique ?

La nature réactionnaire de la campagne pour le Brexit était clairement exposée aux yeux de tous. Elle était basée presque entièrement sur la xénophobie, le sentiment anti-immigrant et avait des connotations racistes évidentes. Elle faisait appel non pas à la conscience de classe, mais se basait sur les sentiments les plus arriérés, rétrogrades et même réactionnaire des couches les plus arriérées de la classe ouvrière.

Céder aux caprices d’une telle campagne, la soutenir de quelconque manière, ne pouvait pas être présenté comme élevant la conscience de classe, mais plutôt comme une tentative opportuniste de s’attirer les bonnes grâces des couches les plus arriérées. Mais comme Trotsky l’a expliqué, la tentative de gagner aujourd’hui en popularité en nageant dans le courant est le plus sûr moyen de préparer un désastre pour demain.

Allons droit au but. Il s’agissait là d’une dispute entre deux segments rivaux de la classe dirigeante et du parti Conservateur. Il n’y a aucun atome de contenu progressiste d’un côté ou de l’autre. Et il n’y a rien qui dit que la classe ouvrière doit prendre parti à chaque division de la classe dirigeante, au contraire.

Il est vrai qu’il y avait de nombreux autres facteurs dans ce tournant massif en faveur du Brexit, qui incluait des portions significatives de la classe ouvrière. Il y a un sentiment d’aliénation puissant à l’égard de l’establishment et de ses représentants politiques, les Conservateurs et l’aile droite des Travaillistes. Il y a le profond sentiment, particulièrement dans des régions touchées par un chômage élevé et la pauvreté, « qu’ils ne nous représentent pas ».

Nombreux auront voté hier, pas tant sur la question de savoir si la Grande-Bretagne devrait rester ou pas dans l’UE, mais simplement pour protester contre le gouvernement conservateur et tout ce qu’il a fait. C’est un instinct complètement compréhensible, correct et progressiste. Cependant, même les instincts les plus progressistes de la classe ouvrière peuvent être abusés et utilisés à des fins réactionnaires.

Au XIXe siècle, Karl Marx s’est retrouvé dans une situation similaire quand il y eut une scission dans la classe dirigeante britannique sur la question du protectionnisme ou du libre-échange. Marx a étudié la question et en est venu à la conclusion que même si le principe de libre-échange est plus progressiste que le protectionnisme, il fallait néanmoins recommander aux travailleurs de s’abstenir plutôt que de soutenir l’un ou l’autre camp dans cette dispute.

Je répète ce que j’ai dit dans mon dernier article : « Il n’y a aucun atome de contenu progressiste ni dans la campagne pour le Brexit, ni dans celle pour rester dans l’UE. Ils défendent les intérêts de deux ailes de la classe dirigeante et du parti Conservateur. Et ils n’ont rien en commun avec la classe ouvrière. Nous n’avons rien à faire ni avec l’un ni avec l’autre. »

Les référendums, comme les élections, peuvent nous raconter une partie de l’histoire, mais seulement une partie. Ils sont comme une photographie qui révèle l’état d’esprit du public à un moment donné. Cependant, il est impossible de parvenir à un tableau complet du processus si nous ne le prenons pas dans son ensemble. Comme pour les vagues sur l’océan, nous n’en voyons que la surface. Pour comprendre la signification réelle de ce résultat, nous devons pénétrer sous la surface. C’est seulement en regardant derrière les chiffres qu’il est possible de discerner les courants profonds et puissants qui circulent dans les profondeurs de la société britannique.

Seule une position de classe indépendante aurait pu dissiper le brouillard de confusion, en expliquant que la cause réelle du chômage et des mauvaises conditions de logement était la crise du capitalisme et les tentatives des Conservateurs d’en faire porter le poids sur les épaules de la classe ouvrière et des couches les plus pauvres de la société.

Si Corbyn avait maintenu une position de principe d’opposition à l’UE, en expliquant clairement sa nature de classe, posant une alternative internationaliste et socialiste, il n’y aurait pas eu la confusion que nous avons vue parmi de larges couches de la population. À la place, toute la discussion a été réduite à la question futile de savoir si la classe ouvrière serait mieux dans ou hors de l’Union Européenne capitaliste.

Tout le problème a été posé de la mauvaise manière. En fait, il fait peu de différence pour la classe ouvrière que la Grande-Bretagne reste ou pas dans l’UE. Dans tous les cas, la classe capitaliste continuera d’attaquer les conditions de vie et les droits des travailleurs. L’alternative réelle est de mener une lutte vigoureuse contre les coupes budgétaires et l’austérité, pour la transformation socialiste de la société en Grande-Bretagne, en Europe et à l’échelle mondiale. Cela commence par la bataille pour vaincre l’aile droite blairiste dans le parti Travailliste, par renforcer Corbyn et obtenir un gouvernement travailliste de gauche élu pour accomplir tout ceci. C’est le seul espoir pour le futur.

Londres, le 24 juin 2016