[dropcap] »L[/dropcap]’État social est sous attaque, il faut le défendre!” C’est ce que l’on peut entendre s’écrier les fractions du PS au parlement. Mais qu’entend-on défendre via l’État social? Comment fonctionnent les institutions qui assurent cette paix sociale? Les compromis de classes ne mènent pas au socialisme. En Suisse ils ont mené au système complexe des caisses de compensations et des prestations et assurances sociales.

Dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, la prévoyance vieillesse et l’assurance maladie relevaient de la responsabilité individuelle jusque dans les années d’après-guerre. Soit on économisait pour payer sa retraite (si le salaire le permettait), soit on avait des enfants pour s’assurer. C’est à cette époque que l’État providence a émergé. Le premier pays à faire un développement significatif dans ce sens-là était le Kaiserreich allemand. Déjà au 19ème siècle plusieurs assurances sociales ont été créées.

La Suisse, de son côté, comme pour la plupart des acquis sociaux, est à la traîne. Mais il y a quand même une similarité frappante : les « pères » des Etats providences. Le chancelier allemand Otto von Bismarck a fait en Allemagne ce que Walther Stampfli (Conseiller fédéral, PLR) a fait en Suisse. Ces deux politiciens bourgeois n’ont aucunement agi par conviction socialiste ou par bienfaisance. Le but était d’atténuer les conflits de classe: si la survie des travailleurs et travailleuses était assurée, ils ne lutteraient que bien moins contre l’ordre bourgeois (ou monarchique).

L’État social suisse n’a jamais été en avance par rapport aux autres pays de l’OCDE. Le système fédéral suisse et la non-centralisation de l’État social ne fait que contribuer à sa faiblesse. Nous verrons cela dans la suite de l’article.

Nous verrons ensuite de quelle manière, dans un pays aussi riche que la Suisse, la classe dominante est parvenue à contenir le développement de l’État social, notamment via son élément central: l’Assurance vieillesse et survivants (AVS).

L’AVS

Le 6 juillet 1947, le peuple suisse – au suffrage uniquement masculin – acceptait la création de l’Assurance vieillesse et survivants: l’AVS, système que nous connaissons aujourd’hui encore.

Le système de compensations sociales qui existait jusque-là était composé de caisses de compensation indépendantes créées durant l’eEntre-deux-g Guerres par des milieux patronaux et les institutions du mouvement ouvrier, bien qu’une assurance vieillesse aite en 1918 déjà été une revendication de ce dernier durant la grève générale.

Le projet fédéral de 1943 fut mené par Walther Stampfli, un conseiller fédéral issu des milieux patronaux de l’industrie des machines. Ces mêmes milieux patronaux avaientqui jusque-là avaient toujours été réticents face à la création d’un système d’assurances de ce type, notamment pour conserver leur indépendance vis à vis de l’État.

Les conventions collectives du travail sont un très bon exemple de cette stratégie: négocier directement avec la bureaucratie syndicale, afin d’éviter une immersion de l’État dans le domaine et ainsi être soi-même en possession des outils de régulation dont ils pouvaient disposer à leur guise en fonction des contextes.

Le changement de cap du Conseil fédéral en automne 1943 en faveur de la création de l’AVS découle de plusieurs facteurs. Le premier est qu’il s’agit, avec ce projet, d’un projet d’une AVS minimale, donc un projet fixant des rentes très faibles et que ceci est donc “globalement conforme aux intérêts patronaux”, tout comme l’ont été les caisses de compensations existantes jusque-là.

Le deuxième facteur est que la mise en place d’une assurance-vieillesse apparaît de plus en plus comme une nécessité aux milieux dirigeants, ceci pour assurer la paix sociale et d’éviter de trop grands bouleversements sociaux.

Le projet sera donc réalisé et mis en place très rapidement.

Les caisses de compensation et la Centrale de compensation

Nous allons maintenant, pour mieux cerner et comprendre les enjeux de fonds de la réforme PV 2020, nous intéresser à la structure et au fonctionnement du système de l’AVS.

La structure actuelle de l’AVS est constituée de deux “parties”. La première est la Centrale de compensation de l’AVS, basée depuis 1948 à Genève. Cette dernière sert de lien entre les différentes caisses, ceci en tenant une comptabilité des cotisations perçues et des prestations distribuées et  tient en plus de cela un registre de toutes les personnes assurées et percevant une aide. Cette Centrale est l’organe d’exécution des politiques sociales de l’État.

L’autre élément de ce système est aussi le plus important. Il s’agit de toutes les caisses directement responsables de l’exécution des politiques sociales: c’est ici que l’analyse devient intéressante pour notre thématique.

Il s’agit d’une multitude de caisses de compensation juridiquement indépendantes. Ces caisses ont été mises sur pied par des milieux patronaux durant l’eEntre-deux- guerres, ceci afin d’éviter de devoir rendre publics les salaires en distribuant des prestations sociales de manière ciblée aux travailleurs., De plus, ces caisses permettaient aux milieux patronaux ceci tout en leur permettant de mettre sur pieds des listes des travailleurs, commedont des “listes noires” comportant le nom de travailleurs ayant mené ou effectué des grèves et dont le nom était alors diffusé au sein des milieux patronaux. Ceci a donc permis l’élaboration d’une politique sociale aux mains du patronat et indépendante de l’État et du système syndical.

Il existe, au début des années 2000 et aujourd’hui encore, plus d’une centaine de ces caisses en Suisse (cantonales, des entreprises, …). Ces dernières sont chargées de l’administration quotidienne de l’AVS, de l’Assurance invalidité (AI), de l’assurance perte de gain en cas de service militaire ou de maternité (APG) ainsi que des allocations familiales.

Cet élément constitue le point clé de notre analyse. On constate donc que l’État n’exécute pas lui-même ses politiques sociales en matière d’AVS et d’autres compensations sociales mais que leur exécution dépend pour la grande majorité directement, aujourd’hui encore, des milieux patronaux. On observe donc ici clairement un modèle de contrôle patronal sur l’État social suisse.

Ceci nous amène à poser la question de l’État social, de son essence. Il faut noter qu’il n’existe pas de définition unanimement reconnue de “L’Etat social” mais que la question se pose plus que jamais avec une thématique comme l’AVS.

On peut légitimement se demander si l’on peut vraiment parler d’État social en Suisse. Ce qui est certain, c’est que les caisses de compensation dirigées par les milieux patronaux sont, comme le dit l’historien Pierre Eichenberger “un rouage clé de l’exécution des politiques sociales” et que ce cet “État social” est un champ de conflit entre le mouvement ouvrier et le patronat.

Les femmes et l’État suisse

L’AVS n’a pas été fondée sur l’idéea pensée d’une vraie assurance pour le peuple qui viendrait en aide à toutes et tous. Elle se base sur un principe: toutes celles et ceux payant des cotisations recevront une rente après leur retraite. Ce n’était pas le cas pour les femmes. Le droit matrimonial rendait possible que les femmes ne cotisent pas si elles n’étaient pas salariées. En revanche, les rentes étaient remboursées au mari, le patriarche. La rente de couple équivalait au 160% d’une rente individuelle.

Le mode de financement pour l’AVS et le droit du mariage renforçcaient le rapport de concurrence entre les sexes qui existait déjà auparavant sur le marché de  travail. Ce système ne pouvait perdurer qu’aussi longtemps que les femmes continuaient à s’y plier.

Et justement, jusqu’aux années 70, rien n’a changé. Même les syndicats ont continué àde promouvoir le système de prévoyance d’alors. L’adaptation et l’évolution de ce dernier aurait été un désavantage pour les intérêts masculins. Or, ces derniers qui avaient un taux de’organisation syndicalisation plus élevé que les femmes et détenaient à eux seuls le droit de vote jusqu’en de 1971.

Depuis la fin des années 70 l’âge de retraite des femmes a été baissé à plusieurs reprises dans le but d’égaliser leur discrimination économique. L’argument principal étant pourtant la faiblesse physiologique des femmes. Une rente spécifique aux femmes n’étant mise sur pieds qu’en 1997 lors de la 10e révision de l’AVS, révision abolissant la rente de couple. En revanche, l’âge de retraite pour les femmes a été élevé à 64 ans.

Renforcement et perte de contrôle

Les rentes maigres instaurées lors de la fondation de l’AVS ont poursuivi une augmentation durant les trente années suivant sa création. Or, l’AVS seule n’a jamais permise une existence digne pour les personnes en bénéficiant. L’assurance sociale est donc devenue une composante  élément intégrateur de l’État que la gauche a défendu et défend aujourd’hui encore jusqu’au bout. L’architecte de plusieurs de sces révisions est Hans-Peter Tschudi, conseiller fédéral du PS de 1959 à 1973. Il introduisit entre autres les “prestations complémentaires”, un outil permettant de maintenir les rentes au niveau le plus bas.

A la fin des années 60, une ancienne revendication refit surface: la retraite populaire. Son objectif est de rassembler les moyens de prévoyance dans une seule caisse. En 1969, le POP et le PdT lancent leur initiative “pour une véritable retraite populaire” visant “une Prévoyance vieillesse générale et publique”. Les syndicats de l’USS avaient déjà choisi le camp de l’opposition à cette initiative: ils soutenaient les compromis de classe. Les dirigeants du mouvement ouvrier sont devenus partisans du modèle des trois piliers avec la caisse de retraite privée mais obligatoire, introduite dans les années 70.

L’initiative n’a donc pas disposé de chances réelles d’aboutissement, due au fait parce qu’elle devait faire face à la bureaucratie syndicale ainsi qu’au PS.

Les capitalistes pouvaient ainsi garder la plupart du contrôle sur les trois piliers. Ils ne s’opposaient pas fondamentalement à l’extension de l’AVS parce , ceci due au fait qu’elle est basée sur le principe “pay-as-you-go” et qu’ils n’ont pas de raison de  craindre une ingérence étatique à travers des sommes d’épargne importantes qui les concurrenceraient sur le marché d’investissements.

Depuis l’instauration des trois piliers, les organisations patronales ont encore plus de pouvoir sur les rentes. Ils contrôlent la plupart des caisses de compensation et des caisses de retraites. Les taux de conversion des entreprises sont fortement sous pression depuis quelques années, raison pour laquelle ils s’en prennent aux rentes.

La gauche réformiste soutient entièrement une réforme commetelle que le projet PV2020 et la considèrent même comme une amélioration de l’AVS alors que cette dernière vise en premieère ligneu à réduire le taux de conversion – ce qui est partielèlement compensé par une augmentation minime des cotisations et des rentes de l’AVS.

L’État social n’est pas le socialisme!

Les assurances sociales sont un acquis important du mouvement ouvrier. Les présenter comme un acquis de la société toute entière serait renier les luttes sociales acharnées de ce dernier.

Le capital n’a pas permis un socialisme partiel en permettant la fondation de l’AVS, surtout pas avec le système des trois piliers. Le contrôle patronal n’est certes pas absolu mais il n’en est pas faible pour autant.

Ils chapeautent de plus les caisses de compensation et les caisses de retraite. Il en va de même pour l’intégration étatique des assurances chômage initialement fondées et financées par les syndicats ainsi que l’obligation de disposer d’une assurance maladie (dans ce système de caisses privées dont les rentes augmentent continuellement). Cette disposition du système doit être comprise comme une offensive du capital. Il attaque le pouvoir ouvrier organisé.

Le développement de l’État social suisse montre très bien qu’il est lui-même un instrument important de maintien du pouvoir bourgeois. Les concessions aux ouvriers se limitent à ce qu’il faut pour maintenir la paix sociale et assurer les profits. La finalité de la sécurité sociale a une autre finalitésens que celle de libérer les individus de la pauvreté, de les assurer en cas de maladie ou encore d’assurer leur retraite. Les interventions cosmétiques qui améliorent de petites choses d’un côté ont toujours des désavantages massifs de l’autre.

La PV2020 fonctionne exactement de cette manière, c’est pour cela qu’elle doit être combattue. Si la gauche veut changer l’état social, il y a quelques principes qui doivent constituer sa ligne fondamentale:

  • Pas d’assurances ou de caisses privées pour les prestations obligatoires!
  • Rassemblement des institutions sociales en une seule assurance sociale contrôlée directement par la société!
  • Baisse des cotisations et de l’âge de la retraite ainsi que financement par impôts progressifs sur les salaires et les biens!

Vincent Loup & Michael Wepf
Fribourg & JS Lausanne